Pour entamer l’après-midi de son colloque « État de l’agriculture en 2023 », l’Académie de l’agriculture a tenté d’analyser la situation agricole et agroalimentaire du Maghreb. Après une photographie sur les défis actuels de la région, les panélistes ont éclairé sur les enjeux géopolitiques qui s’y trament.

Lorsqu’il s’agit d’évoquer l’affaiblissement européen au Maghreb, les importations de blé tendre depuis la France vers l’Algérie sont un bon baromètre. « La France a toujours été le premier fournisseur de l’Algérie mais depuis peu, il y a une réorientation vers le marché russe », souligne Omar Bessaoud, professeur d’économie rurale au Ciheam de Montpellier. Les chiffres sont édifiants. « Nous étions à environ 25 % de blé russe importés en 2022, mais, cette année, l’Algérie pourrait passer à 43 % », estime-t-il.

Jean-Jacques Hervé, membre de l’académie et spécialiste de la Russie et de l’Ukraine, ne fait ailleurs pas mystère de la menace que ces pays représentent pour l’Europe. « L’offre ukrainienne est intéressante en qualité, notamment sur la teneur en protéines, mais aussi en prix », avoue-t-il. Et la guerre n’a pas changé la donne. Les accords chapeautés par la Turquie pour la sortie des céréales de Mer Noire ont permis de ne pas couper les flux.

Problème d’asymétrie

Si la menace est bien réelle, elle n’explique qu’en partie la détérioration des relations entre Maghreb et Europe. Karim Daoud, agriculteur tunisien et membre du réseau Synagri, relate par exemple son expérience de négociateur pour l’accord commercial avec l’Union européenne Aleca. « Les relations étaient complètement asymétriques, rappelle-t-il. La Tunisie s’est retrouvée comme un sous-traitant de l’Union européenne. Ce que nous voulons ce sont des relations gagnant-gagnant. »

Omar Bessaoud pointe une autre faiblesse dans les échanges, « les discussions ne se font pas avec les 27 mais avec seulement 3 pays. L’Italie, l’Espagne et la France ». Avant d’identifier lui aussi la concurrence qui se renforce, « les positions commerciales de l’Europe déclinent au bénéfice de la Chine, la Russie ou de la Turquie ».

Un poids commercial trop faible

Jean-Louis Rastoin, professeur à Montpellier Supagro, a tenté de justifier cette possible « négligence européenne » avec quelques chiffres. « L’Europe est le premier exportateur de produits agricoles et agroalimentaires du monde. Mais le Maghreb ne représente aujourd’hui que 3 % du total », détaille-t-il.

Pour ce qui est des céréales, Jean-Jacques Hervé avance, lui, une différence majeure de méthode entre l’Europe et ses concurrents en Afrique. « Les producteurs russes et ukrainiens sont les premiers concernés par la commercialisation de leurs produits. Ils ne se déchargent pas sur les traders. »

Plus de coopération

Le débat ne s’est toutefois pas arrêté aux échanges commerciaux. Pour les intervenants, il y a d’autres pistes possibles, notamment dans la coopération. « L’Union européenne doit nous aider à créer un environnement plus favorable pour la transition écologique et les conséquences des changements climatiques, a appelé Karim Daoud. Il faut trouver un moyen de faire travailler les agriculteurs maghrébins et européens entre eux. Nous avons tout intérêt de nous rapprocher. » Pour Omar Bessaoud, cela passera aussi par la recherche. « L’Europe a une avance de vision sur la conservation des sols ou la gestion de l’eau à la parcelle par exemple. Il y a une expérience qui peut être transférée et ça peut faire l’objet de partenariats entre nos pays. »