La détermination du prix de vente d’un bien immobilier – foncier, bâtiments –, ou son juste prix en cas de succession ou donation, est un sujet sensible. C’est pourquoi le notaire a recours à différentes approches.
L’État a ouvert au public les données concernant les transactions immobilières à titre onéreux sur les cinq dernières années à l’adresse https://app.dvf.etalab.gouv.fr. Ces informations brutes restent cependant peu utilisées par les officiers ministériels.
1. Approche théorique : les indicateurs
Pour travailler, le notaire s’appuie tout d’abord sur les documents officiels, notamment sur l’arrêté ministériel fixant chaque année la valeur vénale moyenne des terres par département, par région naturelle et nature de cultures – valeurs maximales, minimales et dominantes –, en distinguant les terrains loués et libres de tout bail. Il utilise aussi les tableaux publiés par le service statistique du ministère de l’Agriculture. Ces informations sont comparées avec les références publiées par les Safer. « Le croisement de ces données nous donne un faisceau d’indices qu’il est nécessaire d’affiner par la suite », précise Maître Charlotte Acin, notaire au sein du pôle de droit rural à l’étude Office 21 Notaires associés, à Poitiers.
2. Affiner le prix : les questions à se poser
Pour être au plus proche de la réalité, le notaire affine ses informations par un questionnaire sur le bien.
• La catégorie de terres. Le classement des terres selon leur qualité et leur nature permet d’être plus précis pour se reporter aux indicateurs.
• Les terres libres ou louées. En cas de bail rural, une décote, plus ou moins forte, sera appliquée selon la durée du contrat en cours. Elle sera quasi inexistante à moins de deux ans du terme et, en revanche, plus importante au début d’un bail de dix-huit ans, par exemple.
• La structure du parcellaire. Un îlot d’un seul tenant sera plus vendeur qu’un terrain morcelé. Les conditions d’accès s’avèrent, selon les cas, être des contraintes (enclave, servitude de passage…) ou des atouts.
• Les éléments particuliers. On tient compte des éléments en présence – bâtiment, bois, chemin, étang, irrigation, drainage… –, mais aussi de l’existence d’un zonage qui peut être qualitatif (AOP, par exemple) ou environnemental (zone Natura 2000, contrat MAEC).
• Les productions particulières (vignes, vergers, maraîchage, plantes médicinales…) influencent fortement le prix des terres. S’il y a de la TVA à régulariser sur la plantation, il s’agit de déterminer qui du propriétaire ou du locataire est le détenteur des plants. « Le prix ne sera pas le même si le vendeur est propriétaire et que les vignes sont au bilan de la société. Elles seront valorisées à ce titre dans les parts sociales », explique Denis Rochard, maître de conférences à la Faculté de droit de Poitiers. Autre exemple, pour les terres en agriculture biologique, « la situation sera très différente selon qu’elles sont déjà en bio ou en cours de conversion ».
3. Des moyens de pression, à ne pas négliger
Qu’il s’agisse de l’exercice d’un droit de préemption ou de contrôle de l’Administration, le prix reste encadré.
• Droit de préemption. Lorsqu’un fonds rural est mis en vente, le notaire a l’obligation de purger les droits de préemption (État, fermier, Safer). Il est tenu de notifier la vente à la Safer. « En cas de prix trop élevé, nous rappelons au client le risque de préemption par la Safer, avec révision du prix », précise Maître Acin. Si celle-ci estime que le prix et les conditions sont exagérés, elle peut adresser une offre d’achat à ses propres conditions.
Par ailleurs, le fermier bénéficie d’un droit d’achat prioritaire qui prime, sous certaines conditions, celui de la Safer. En cas de prix trop élevé, il peut demander une fixation judiciaire de celui-ci auprès du tribunal paritaire des baux ruraux.
• Fiscalité. L’aspect fiscal s’avère parfois déterminant dans l’élaboration du prix. Car qui dit vente, dit calcul d’une éventuelle plus-value. Par ailleurs, la cession peut être soumise à des droits de mutation.
L’expert
« Un label pour les notaires ruraux »
Denis Rochard, maître de conférences à la faculté de droit de Poitiers
« En 2018, dans le cadre de l’Institut notarial de l’espace rural et de l’environnement (Inere), le Conseil supérieur du notariat (CSN) a mis en place le label « Notaire conseil au monde rural ». Celui-ci a pour objectif de répondre aux besoins spécifiques des exploitations agricoles confrontées à un droit en constante évolution et à ses nombreuses ramifications, aussi bien civiles, fiscales que sociales ou urbanistiques. Le label garantit que le notaire a suivi un cycle de formations spécifiques en droit rural, validé par un examen. La première promotion d’une centaine de notaires a été agréée à la fin de 2018. »
Ruranot
Des notaires spécialisés en rural ont décidé de se fédérer au sein d’un GIE pour mutualiser leurs connaissances et informer le grand public, sous le slogan « Notaires de vos terres », sur le site Ruranot. Celui-ci sera lancé officiellement en septembre 2019.
L’expert
« Un rôle de conseil qui oblige à contrôler »
Charlotte Acin, notaire à Office 21 Notaires associés, à Poitiers
« En cas de vente, très souvent, le vendeur et l’acheteur se mettent d’accord sur le prix. Nous sommes là pour vérifier que le montant est en accord avec le marché, en tenant compte des atouts et des contraintes des terres proposées. Officier ministériel, le notaire est neutre. Notre rôle de conseil nous oblige à contrôler, pour pouvoir justifier d’un prix auprès de la Safer, de l’administration fiscale ou de cohéritiers. En cas de transmission à titre gratuit, il nous est demandé une plus grande expertise, notamment pour le calcul de soultes. Il n’est pas rare, dans ce cas, que nous fassions appel à des experts fonciers et ruraux. En présence de bâtiment, le recours à l’expert est quasi systématique. »