Si vous avez raté notre conférence au Space ce 15 septembre 2021 sur la transmission des élevages, il est encore temps de vous rattraper avec cette sélection de trois conseils pour bien passer à la main. Vous en trouverez d’autres dans notre hors-série publié cette année (voir l’encadré ci-dessous).
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Faire le deuil de la valeur patrimoiniale
Avant de s’accorder sur un prix de cession avec le repreneur, un travail d’évaluation de l’entreprise agricole à céder est nécessaire. Et à ce jeu, la solution la plus favorable au cédant est loin d’être celle toujours retenue.
« On va chercher aujourd’hui un compromis entre la valeur patrimoniale et la valeur économique, explique Morgane Carn, directrice de service — Conseil économique agricole au Cerfrance Brocéliande. Pour trouver la valeur patrimoniale, on reprend l’intégralité des biens qui composent l’exploitation et on va les évaluer en fonction de leur vétusté et en fonction de leur adaptation au travail quotidien. Mais cette valeur patrimoniale présente parfois un décalage avec la valeur économique qui correspond au potentiel de rentabilité de l’activité. C’est regarder quelle activité est possible et de déterminer à partir de celle-ci la rentabilité dégagée. »
« Aujourd’hui, on est encore malheureusement bloqué sur des valeurs patrimoniales », regrette Jean-Yves Deslandes, référent en installation et transmission des élevages au groupe coopératif Eureden. Il est amené dans certains cas à évaluer des exploitations à la demande d’associés coopérateurs.
« Généralement, on est déphasé par rapport à l’estimation patrimoniale, en raison de la vétusté et de l’état de l’entreprise, explique-t-il. Il y a des gens qui continuent d’investir et dont l’exploitation est, entre guillemets “reprenable en l’état” et d’autres où certains travaux sont nécessaires ». Trouver le bon accord entre le cédant et le repreneur est « une gymnastique », conclut Jean-Yves Deslandes.
« Il y a la valeur économique des choses et les futurs travaux qu’il faut intégrer dans le prix de la reprise, précise Daniel Conan, ancien naisseur-engraisseur de porcs à Riec-sur-Bélon (Finistère). On aura du mal à expliquer à notre successeur qu’il va gagner de l’argent si on ne peut pas lui présenter trois ou cinq derniers bilans positifs. C’est aussi simple que ça. »
« C’est quand même les bilans comptables et les résultats sur les dernières années qui vont permettre de vérifier si l’entreprise est transmissible », surenchérit Philippe Lescoat, enseignant-chercheur à AgroParisTech et fils d’éleveur.
Daniel Conan savait aussi qu’il devait intégrer la valeur de sa maison d’habitation, construite sur le site de l’exploitation, dans la valeur de la reprise. « Je ne vais pas me plaindre mais son prix se rapproche plus d’un mobil-home que d’un chalet à la montagne. Mais il n’y avait pas trop le choix. La ferme était vendue en un seul ensemble. »
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Anticiper, anticiper, anticiper
C’est le maître mot d’une transmission réussie. Plus l’exploitant s’y prend tôt, plus il maximise ses chances de passer les clés de sa ferme dans les meilleures conditions. Car la transmission guidera aussi les investissements des dernières années de l’exploitant.
Pour Morgane Carn, il y a 2 périodes à distinguer. « Une première phase qui se situeraient 10 ans avant la transmission qui consiste à visualiser les valeurs et l’organisation de son exploitation : comment est détenu le foncier ? Quelles sont les volontés de tous les associés ? Car on peut avoir des personnes qui partent en retraite, mais d’autres qui ne sont pas arrivés à l’âge de départ. Ce sont des choses qu’il faut anticiper et partager au sein d’un projet commun. »
C’est une réflexion qui doit aboutir à plusieurs décisions. « Ce sont les choix d’investissements qui sont faits sur les 10 dernières années et éventuellement la mise en place de dispositif d’optimisation fiscale ou de structuration juridique », ajoute la directrice de service du Cerfrance Brocéliande.
« Cinq ou trois ans avant, il faut travailler sur la valorisation de l’exploitation. Parfois, c’est la première découverte un petit peu brutale pour certains éleveurs quand vient la comparaison entre la valeur patrimoniale et la valeur économique », prévient Morgane Carn.
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Rendre l’exploitation la plus attractive possible
Avec une moyenne d’âge élevée chez les exploitants, nombre de fermes devront prochainement être cédées. Rendre l’exploitation la plus attractive possible est un véritable enjeu.
« La question du prix est importante mais il n’y a pas que ça. Le repreneur est attaché à un prix, mais il est aussi attaché à un lieu où il va venir s’installer. Parfois un prix est annoncé par le cédant et il est accepté parce qu’il y a un coup de cœur pour le site. Et parfois, le prix est intéressant mais il n’y a pas de coup de cœur », explique Annette Hurault, conseillère en transmission à la chambre d’agriculture de Bretagne.
Certaines décisions permettent d’habiller au mieux la mariée. « Parfois, on a des cédants qui ont préparé véritablement leur transmission à travers des échanges parcellaires ou même, en achetant le foncier mis en vente par certains propriétaires pour sécuriser le foncier pour le repreneur, détaille Annette Hurault. On le voit au niveau du répertoire départ installation (RDI). Le premier critère que regardent les repreneurs, c’est la qualité du parcellaire. Dans un marché déséquilibré où il y a beaucoup d’offres par rapport à la demande, il faut être prêt à y consacrer un peu d’argent et rester motivé jusqu’au bout. » La conseillère précise que l’essentiel des repreneurs qu’elle rencontre ne recherche pas forcément de « gros fonciers ». « On a la moitié (NDLR : des candidats inscrits au RDI) qui recherche entre 30 et 40 hectares. Je schématise mais pour un jeune qui veut faire du lait en conventionnel, c’est entre 70 et 80 hectares. »
La motivation du cédant à travailler sur son exploitation jusqu’au bout de sa carrière est aussi un facteur de transmissibilité souligne la conseillère de la chambre d’agriculture de Bretagne.
« C’est comme si vous vendez une voiture ou une maison, il faut vraiment qu’elle soit propre et accueillante pour en espérer un meilleur prix. Me concernant, on a toujours maintenu en état car c’est quand même plus agréable de travailler dans un endroit propre et un peu fleuri », témoigne Daniel Conan.