Initialement prévu pour le 1er janvier 2021 puis décalé à la suite de la crise sanitaire, le nouveau cahier des charges bio entrera en vigueur le 1er janvier prochain. « Ce nouveau règlement n’est pas une révolution, c’est un règlement en continuité, a assuré Serge Jacquet, de l’Inao (1), venu le présenter lors du salon Tech & bio, le 22 septembre 2021. Il limitera les dérogations en encadrant davantage et comportera quelques nouveautés. » Des nouveautés, ou nouvelles exigences, qui risquent d’impacter les producteurs.
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Moins de dérogations
« À partir de 2022, les organismes certificateurs ne recevront plus que les demandes de dérogation à l’utilisation de semences non-biologiques, indique Gilles Billon, responsable d’affaires chez Bureau Veritas, organisme certificateur. Les autres types de dérogations devront maintenant être remontés directement à l’Inao de façon dématérialisée. L’organisme certificateur procède au contrôle, puis l’Inao statue. » Cette nouvelle procédure permet notamment à l’Inao de créer une base de données sur les achats et les besoins de semences et d’animaux biologiques sur le territoire.
En effet, d’ici à 2035, l’utilisation de semences conventionnelles en bio ne devrait plus être possible. La disponibilité de semences bio doit être élargie et intégrer la viticulture et l’arboriculture. Le nouveau règlement supprime également le seuil intermédiaire des six mois de conversion. Dès 2022, la période de conversion minimale, si elle est nécessaire, passe à un an. Dans le cas des cultures pérennes, le plan de conversion doit être achevé au bout de cinq ans maximum, contre huit ans actuellement.
La dérogation pour l’achat de poulettes non-bio prend également fin au 31 décembre 2021. La notion de bien-être animal est consolidée avec l’interdiction de la taille des dents, de la caudectomie pour les porcs, ou de l’épointage des volailles. Les demandes de dérogations à ces pratiques devront être déposées annuellement auprès de l’Inao.
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Coût de l’alimentation
Le nouveau règlement impose une alimentation 100 % biologique du bétail. La dérogation qui permettait aux éleveurs d’introduire 5 % d’aliments conventionnels dans la ration disparaît au 1er janvier 2022. Elle reste accessible jusqu’en 2026 pour les porcelets de moins de 35 kg et les volailles de moins de 18 semaines.
« En production d’œufs, la part du bio dans l’alimentation est actuellement autour de 97 %, explique Benoît Drouin, vice-président du Synalaf (2) et producteur de volailles de chair bio. Il va falloir remplacer ces 3 % restants, souvent des protéines, par d’autres matières non-conventionnelles et donc plus chères. » Les problématiques sont identiques pour les élevages bovins, surtout laitiers, dépendants de sources protéiques extérieures.
L’autonomie alimentaire doit également être renforcée. La part obligatoire d’aliments bio provenant de l’exploitation ou de la région passe de 20 % à 30 % en élevage de porcs et de volailles dès le 1er janvier 2022. Pour les ruminants et les équins, cette proportion augmente également de + 10 % avec un délai supplémentaire de deux ans.
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Nouveaux aménagements
Le nouveau règlement bio prévoit également de nouveaux aménagements des bâtiments d’élevage. Les éleveurs de volailles de chair ont l’obligation d’introduire des perchoirs dans les quatre ans. Pour les pondeuses, les vérandas ne sont plus considérées comme surface de bâtiment à partir de 2025 mais comme « annexe extérieure de bâtiment ».
Le nouveau cahier des charges précise aussi que les animaux doivent sortir dès leur plus jeune âge. Pour les poulettes, l’accès au plein air doit être donné au moins un tiers de la vie de l’animal sur des parcours avec une diversité de végétation suffisante. En élevage porcin, les courettes extérieures ouvertes sur trois côtés doivent présenter un minimum de 5 % de découverture. Pour les éleveurs de bovins allaitants, la réforme du cahier des charges met théoriquement fin à l’engraissement en bâtiment.
Déstabilisation des filières
« Un audit est en cours avec le ministère de l’Agriculture, confie Bernard Roby, éleveur de bovins allaitants et représentant de l’Interbio Nouvelle-Aquitaine. On évalue les conséquences d’une telle réglementation sur les filières et l’impact financier chez les éleveurs. » Avec l’accès au plein air renforcé, l’éleveur craint notamment de devoir s’approvisionner en aliments extérieurs pour compléter la ration des animaux en cours de finition.
« Nous avons des filières qui fonctionnent aujourd’hui. Avec l’accès à l’extérieur pour finir les bovins, nous risquons de saisonner notre production, explique-t-il. Par exemple, nous ne pourrons plus satisfaire nos contrats pour la restauration hors domicile. Par ailleurs, le fumier fera défaut pour fertiliser nos terres. » L’accès au plein air et à la lumière naturelle conduira également à une plus grande variabilité du cycle de ponte et des rendements.
« On estime des pertes de 10 à 20 œufs par poule », souligne Benoît Drouin. En septembre 2020, l’Itavi (3) a mené une étude sur les conséquences du nouveau règlement bio sur le coût de production des œufs. Entre la moindre productivité et le coût alimentaire supérieur, l’étude montre une hausse de + 15 % du coût de production de l’œuf. « Cette étude va être réitérée. Dans le contexte d’inflation actuel, nous serons au-delà des 15 %, indique Benoît Drouin. C’est plutôt une hausse de + 0,05 € par œuf qu’il faut prévoir, cela représente + 0,30 € pour une boîte de six œufs. »
Un frein aux conversions
« Si le changement avait eu lieu dans un autre contexte économique, cela aurait été plus facile, affirme Benoît Drouin. Il va falloir essayer de vendre nos produits. L’inflation est repartie et les produits sous SIQO (signes de qualité et de l’origine) seront les tributaires. »
« En viande, d’autres labels risquent de prendre notre place sur le marché et vont déséquilibrer l’ensemble de la filière, souligne Bernard Roby. Certaines coopératives risquent de mettre la clef sous la porte. »
Les représentants des filières craignent également un freinage des conversions, voire des déconversions. « Ce phénomène va être lié à la demande, répète Benoît Drouin. Il va falloir que les consommateurs soient là. »
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(1) Institut national de l’origine et de la qualité.
(2) Syndicat national des labels avicoles de France.
(3) Institut technique de l’aviculture.