Une semaine après la circulaire de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, autorisant la chasse de régulation en période de confinement, les instances agricoles majoritaires (FNSEA, JA et APCA) et la Fédération nationale des chasseurs (FNC) ont demandé que les préfets tiennent compte « non seulement du grand gibier mais aussi des autres espèces à problème qui provoquent des dégâts », dans une lettre ouverte datée du 10 novembre 2020. Une telle action commune entre chasseurs et agriculteurs est rare. Surtout connaissant leur pomme de discorde : les dégâts de grand gibier.
Des dérogations contestées
Les chasseurs peuvent être autorisés, par arrêté préfectoral et dans le respect des gestes barrières, à tirer, à l’affût ou en battue, sangliers, cerfs et chevreuils, ainsi que des espèces dites « nuisibles » (corvidés, ragondins…). Des dérogations qui déclenchent la colère des associations écologistes, qui comme l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages) et la LPO (Ligue de protection des oiseaux) ont préparé des recours contre ces « passe-droits ».
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Front commun
Il ne s’agit « en rien d’octroyer un privilège pour les chasseurs », s’indignent les signataires du courrier, mais bien de poursuivre des missions d’intérêt général : réguler pour éviter des dégâts agricoles et forestiers et surveiller les dangers sanitaires que sont la PPA (peste porcine africaine) et l’influenza aviaire. À cette liste, on peut ajouter celle de réduire les collisions routières (lire l’encadré). Ou de protéger des biens privés ou communs, à l’exemple du terrain de foot du village de Gestel (Morbihan) ravagé par des sangliers en septembre dernier. Sur le terrain, agriculteurs et chasseurs ont fait valoir cette nécessité de régulation.
En Charente, « dès le nouveau confinement, j’ai pris contact avec les chasseurs pour que nous portions nos demandes ensemble, explique ainsi Christian Daniau, président de la chambre d’agriculture, habitué à travailler en bonne intelligence avec Bruno Meunier, son alter ego de la Fédération des chasseurs (FDC). Il faut que les chasseurs puissent assurer leur mission de service public et prélever du grand gibier. » Une mission d’autant plus importante que 20 % des sangliers tués en Charente le sont en novembre.
« Ne pas s’en occuper maintenant, c’est laisser s’accroître leurs populations et, au sortir du confinement, risquer des dégâts plus conséquents dans les parcelles. » Depuis le début du mois, les battues font le plein. Les chasseurs jouent le jeu, d’autant plus volontiers que la chasse au petit gibier leur reste interdite. Déjà se pose la question du mois de décembre et des suivants si le confinement était prolongé. Les agriculteurs demanderont sans doute que le pigeon ramier soit inclus dans les espèces prélevables.
Les populations de corvidés «hors de contrôle»
En Ille-et-Vilaine, l’arrêté préfectoral qui autorise la chasse aux sangliers, cervidés et nuisibles « va dans le bon sens », pour Yves Rolland, en charge des dégâts aux cultures à la FDSEA. Cependant, pour les nuisibles, seul le piégeage est autorisé. « Pour les corvidés, ce sera insuffisant pour empêcher les dégâts dans les semis de printemps tant les populations sont hors de contrôle », alerte l’élu, qui craint aussi que les contraintes sanitaires et techniques pesant sur les chasseurs soient un frein pour atteindre les prélèvements prévus de sangliers. « S’ils ne sont pas assez nombreux, nous demanderons des battues administratives en janvier », poursuit l’agriculteur, qui a encore subi cette année des dégâts sur 4 ha de maïs.
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Pour Louis Garnier, président de la FDC de Haute-Loire, « la décision de pouvoir réguler le grand gibier est indispensable car les conditions automnales sont particulièrement favorables à la fructification forestière », et par voie de conséquence à la reproduction des sangliers. Le plus petit département cynégétique de France compte 5 700 chasseurs et plus de 3 000 sangliers tués chaque année. Des tirs nécessaires au regard des dégâts : réglés par la FDC, ils ont atteint 275 000 € (238 000 € pour le sanglier) durant la saison 2018-2019. Au niveau national, ce montant atteint 46 millions d’euros pour une facture globale de 77 millions d’euros en intégrant les frais d’estimation et les moyens de prévention.
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Comité de lutte
Cet automne, la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Bérangère Abba, a relancé les travaux du comité de lutte contre les dégâts de gibier en réunissant agriculteurs, chasseurs, parlementaires et services de l’État. L’objectif de ce groupe de travail : élaborer des mesures de portée nationale, mais aussi « une boîte à outils » à disposition des territoires pour limiter les dommages.
« Il faut tout mettre en œuvre pour réduire le nombre de sangliers, martèle Jean-Michel Granjon, éleveur laitier dans la Loire et responsable de la commission des dégâts de gibier à la Confédération paysanne. Pour résoudre le problème, 25 à 30 % des mères doivent être tuées, les agrainages stoppés, le piégeage autorisé… Tout dépend de la volonté des chasseurs. »
Lydie Deneuville, de la Coordination rurale, se réjouit de la reprise du dialogue avec ces derniers : « On avance, pas assez vite sans doute, mais on avance. Il faut s’accorder sur une palette de moyens et faire un bilan annuel. Par exemple, pour la nouvelle taxe à l’hectare mise en place par la loi chasse, on aura des retours sur la saison 2020-2021. » Le comité doit rendre ses conclusions avant la fin de l’année.
Aurore Cœuru