Pour sauver salades, asperges et fraises menacées de pourrir dans les champs faute de main-d’œuvre, le Royaume-Uni mobilise à tout-va, appelant à la rescousse chômeurs, étudiants… et saisonniers européens. Un comble juste après le Brexit.
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Des saisonniers roumains en renfort au Royaume-Uni
À peine plus de deux mois après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, assortie de la promesse d’un durcissement de l’immigration de la part du gouvernement de Boris Johnson, un charter transportant 180 travailleurs agricoles roumains qualifiés a atterri jeudi 16 avril 2020 à Londres.
Selon la presse britannique, il s’agit du premier de six vols affrétés par des exploitants agricoles pour combler le manque provoqué par les restrictions sur les déplacements imposées par de nombreux pays en pleine pandémie de coronavirus.
L’ambassadeur roumain offusqué
L’arrivée en charter des saisonniers roumains, mis en quarantaine à l’hôtel à leur arrivée avant d’être acheminés en car vers leur destination, a fait s’étrangler l’ambassadeur de Roumanie à Londres. Il a jugé l’opération « pas opportune » dans la situation actuelle, mais a reconnu ne pas pouvoir contrôler les initiatives privées.
« À mon avis, on ne devrait pas transporter un nombre important de personnes en provenance ou vers la Roumanie », a ajouté le diplomate. Joints par l’AFP, les ministères roumains des Affaires étrangères, de l’Intérieur et des Transports se sont refusés à tout commentaire.
L’opération a été organisée par G’s Fresh, un producteur alimentaire situé dans la région de Cambridge, qui a expliqué vouloir disposer d’un « pourcentage de travailleurs expérimentés » pour « former » sa nouvelle main-d’œuvre. L’exploitation a payé entre 200 et 250 livres sterling (entre 230 et 290 euros) par passager, soit environ le double du prix moyen.
L’entreprise, qui a besoin de 3 000 saisonniers chaque année, a recruté près de 500 employés sur le sol britannique ces trois dernières semaines pour travailler dans les champs de salades à partir de la dernière semaine d’avril.
90 % des travailleurs saisonniers sont étrangers
Le Royaume-Uni a mis en place le 24 mars 2020 un confinement qui proscrit tous les déplacements non-essentiels. Ces mesures de restriction liées à la pandémie de Covid-19 ont bloqué la venue de nombre de travailleurs saisonniers. Déjà moins nombreux depuis le référendum de 2016 sur la sortie de l’Union européenne, ils ont été découragés par la baisse de la livre sterling et l’atmosphère parfois xénophobe qui avait entouré les débats politiques.
Environ 70 000 saisonniers sont employés chaque année dans le secteur agricole pour ramasser les fruits et légumes, parmi lesquels 90 % de travailleurs étrangers. Ils sont essentiellement issus de la Roumanie, de la Bulgarie et de l’Ukraine, selon l’Association des producteurs britanniques. « Ces gens viennent année après année » et « leur situation financière dépend de leur venue » au Royaume-Uni pendant la saison de la récolte, a déclaré à l’AFP le directeur général Jack Ward.
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Un programme « Nourrissez la nation »
Cette opération s’est jointe ainsi à la mobilisation générale décrétée par le secteur agricole. À l’heure où le confinement a dopé la demande alimentaire des ménages, un appel national baptisé « Nourrissez la Nation » a été lancé, afin de trouver des candidats pour prendre la direction des champs.
As part of the Alliance of Ethical Labour Providers, we are looking for passionate people from across the UK to help #FeedTheNation. Apply now! https://t.co/ZrZYUsZAzm #KeyWorker #COVID19 pic.twitter.com/4WbXXghzX8
— Concordia Charity (@ConcordiaVol) March 29, 2020
Relayé dans les journaux et sur les réseaux sociaux, ce programme constitue « une excellente opportunité pour quiconque souhaite s’impliquer, afin de faire en sorte que les fruits et légumes du pays parviennent à nos consommateurs », a salué Jack Ward, PDG de l’Association des producteurs britanniques.
Reconnus par le gouvernement comme des « travailleurs clés », les saisonniers ont le droit de se déplacer pour se rendre sur leur lieu de travail. S’ils ont des enfants, ceux-ci peuvent bénéficier de solutions de garde, via les écoles locales.
Selon l’Union nationale des agriculteurs (NFU), il y a eu des « signes » positifs montrant un intérêt du public pour ces emplois temporaires. « À ce jour, nous avons reçu plus de 33 500 marques d’intérêt pour le programme — de personnes de tout le Royaume-Uni et d’ailleurs. Parmi eux, 16 % ont ensuite postulé pour un job — soit actuellement un peu plus de 5 500 », indique Concordia, une des trois agences de recrutement qui ont lancé le programme « Nourrissez la Nation ».
L’agence souligne que « 90 % des candidats sont des citoyens britanniques dont la moitié a perdu ses revenus en raison de la pandémie de coronavirus ». Pour beaucoup, ce sera leur première saison car « seuls 30 % ont déjà travaillé dans le secteur agricole », souligne Concordia.
C’est une première aussi pour cette association internationale, basée à Brighton, sur la côte sud de l’Angleterre et habituellement spécialisée dans les échanges internationaux. Au lieu de partir vivre une expérience à l’étranger au printemps, certains jeunes candidats choisiront à la place de se retrousser les manches pour cueillir salades, fraises et framboises.
> Voir aussi :Jobagri, le site de l’emploi agricole