Agréablement surpris. Tel est le sentiment de Pascal Chevrey, responsable de secteur à la coopérative Bourgogne du Sud, qui est venu témoigner à nos 16es rencontres Agrodistribution, en binôme avec Christophe Mauchamp, un de ses adhérents agriculteurs. « Nous constatons que nous avons les mêmes problématiques et contraintes, quelles que soient la région et la structure », tient-il à préciser. Pour Anne-Laure Durand, agricultrice sur 140 ha de grandes cultures et lin fibre en Seine-et-Marne, versée dans l’agriculture de conservation des sols, sa venue à notre débat traduit « une envie de participer à quelque chose de différent, de rencontrer du monde et aussi de donner mon avis sur un sujet qui m’intéresse ».
Durant trois heures, Pascal, Anne-Laure et les six autres participants à nos rencontres ont pu échanger autour de la relation entre l’agriculteur et le technico-commercial, fil rouge de cette 16e édition portée par une enquête de la société d’études ADquation. Ce fil directeur avait déjà été abordé en 2010 ; les évolutions de ces dernières années nous ont incités à y revenir. Pour les coopératives et négoces agricoles, le TC est une des courroies de transmission essentielles auprès des exploitations. L’animateur du débat, Alain Baraton, qui forme et coache les équipes terrain de ces entreprises depuis plus de vingt ans, a rappelé en introduction la genèse de la relation agri-TC qui remonte « aux années soixante avec la loi d’orientation agricole complémentaire d’Edgar Pisani. Nous en sommes le résultat. Ce ne sont que deux générations avant nous. L’impulsion portée par cette loi, réformée par le dispositif EGalim, a fait naître un binôme métier, agriculteur et TC, quasiment unique en France et en Europe par son niveau d’intensité. »
Une enquête qui peut interpeller
Du relationnel créé, de l’écoute et des réponses apportées, dépend l’avenir de cette relation. Dans un contexte de changement de paradigme, avec des agriculteurs mieux formés et informés n’hésitant plus à recroiser différents avis ou conseils, le TC et son entreprise sont amenés à se repositionner pour être en adéquation avec les nouveaux besoins des exploitations. Un avenir qui va se bâtir sur des bases plutôt encourageantes au regard des résultats de notre enquête ADquation et des propos tenus lors du débat, avec cependant des points de vigilance qui sont à relever.
En effet, cette enquête réalisée auprès d’un échantillon d’agriculteurs représentatif souligne « une qualité de relation quasi unanimement reconnue », avance Benoît Leygnier, d’ADquation. Presque tous sont satisfaits de leur TC principal (97 %), dont un tiers de très satisfaits (voir infographie ci-contre). En 2010, ce niveau de satisfaction était de 93 %. Or, souligne Alain Baraton, « il y a une dizaine d’années, on nourrissait des craintes sur le devenir de cette relation et, aujourd’hui, nous constatons au contraire son renforcement, aussi bien sur le terrain que par ce sondage. » Jeune TC au négoce Moisdon, en Ille-et-Vilaine, Gwendal Hercouët, confirme : « Quand je regarde la relation que je peux avoir avec certains agriculteurs, je ne suis pas du tout surpris de ce taux de satisfaction. » Pascal Chevrey estime que la satisfaction des adhérents est « une règle de base. Le TC est là pour venir en aide vis-à-vis de leurs demandes. »
Pour sa part, Geneviève Nguyen, qui participe en tant qu’enseignante-chercheuse de l’Ensat à des études sur l’évolution des structures d’exploitation agricole et le conseil (lire p. 34), observe : « Le TC a un rôle central dans l’exploitation agricole, notamment sur le plan technique. Cette relation s’est construite sur le temps long, donc elle ne va pas changer du jour au lendemain. » Et c’est une des raisons, selon elle, pour laquelle « on voit encore peu l’impact de la loi sur la séparation conseil et vente en phytos ». En effet, notre enquête ADquation révèle que 69 % des agriculteurs ne notent pas d’impact de cette législation sur la relation avec leur TC, notamment ceux en élevage, hors-sol exclus (81 %). Par contre, ils ne sont plus que 59 % en grandes cultures. Pour Laurent Gatine, responsable région à la coopérative Agora qui a choisi la vente en phytos comme la plupart des coops et négoces, cette disposition de la loi EGalim n’est pas encore bien apprivoisée par tous les agriculteurs de sa zone très orientée élevage. « On a du mal à faire passer ce tournant, ainsi que l’obligation de prendre la responsabilité de leur conseil, surtout pour les agriculteurs de plus de 50 ans, reconnaît-il. Ça reste très compliqué parce qu’on est assis sur les habitudes. » Quant à la coopérative Euralis qui a fait le choix du conseil, un de ses conseillers d’exploitation, Philippe Dulucq, détaille dans son témoignage (p. 32) la transformation opérée. Une évolution qu’il vit bien pour un métier « que je pratique depuis 33 ans et que j’adore. Nous avons été bien accompagnés pour cette transformation. »
Cette loi, qui a généré beaucoup d’incertitudes, pourrait expliquer en partie le fait que 20 % des agriculteurs interrogés par ADquation ressentent que leur TC principal n’est pas confiant dans l’avenir de son métier (infographie p. 25), 61 % le sentant plutôt confiant. Toutefois, ils sont plus nombreux, 73 %, à le percevoir confiant dans celui du métier d’agriculteur, encore plus qu’en 2010 (64 %). Les agriculteurs présents aux rencontres portent cependant plutôt un regard positif sur le métier de TC. Alexis Moreau, adhérent et administrateur d’Océalia, coopérative qui tend à se développer, voit le TC comme « le contact idéal entre l’augmentation de la taille d’entreprise et la nécessité de ne pas perdre l’agriculteur qui a besoin d’une présence sur le terrain. » Quant à Christophe Mauchamp, il espère que, malgré le développement du numérique, « la génération des jeunes agriculteurs continuera de travailler avec des TC parce que la relation humaine est très importante ». L’enquête ADquation semble aller dans ce sens avec des exploitants de moins de 50 ans jugeant favorablement le niveau de compétence de leur TC principal (lire p. 31). Mais cela n’enlève rien à la nécessité d’être vigilant tout en restant ouvert aux évolutions des attentes des agriculteurs (p. 28). Ainsi, des signaux faibles émergent. D’une part, 7 % des agriculteurs annoncent n’avoir aucune relation suivie avec un TC de coopérative ou négoce (lire p. 34), alors qu’ils étaient inexistants en 2010. D’autre part, l’item « pas du tout satisfait de la relation » ressort aussi pour la première fois cette année, cité certes par seulement 1 % des agriculteurs. Mais ce très, très léger frémissement ne participe-t-il pas à démontrer la recherche d’un autre type de relation, qui est sans doute à construire ? Si ce n’est déjà en cours au vu des investissements engagés au niveau des équipes terrain (lire pp. 31-33).