La méthanisation agricole va-t-elle enfin connaître le boom que tous les spécialistes des énergies renouvelables lui promettent depuis plus de dix ans ? C’est en tout cas ce que les agriculteurs tentés par cet investissement peuvent espérer à la lecture du rapport « L’agriculture face au défi de la production d’énergie », remis aux sénateurs fin juillet. Écrit au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), il est considéré comme un indicateur fort de l’orientation des politiques publiques à venir par ses deux rapporteurs, le député du Rhône, Jean-Luc Fugit, et le sénateur de l’Aude, Roland Courteau.
Pour ces deux parlementaires, le verdict est sans appel : « La méthanisation représente un mode de production d’énergie vertueux et majeur à privilégier dans le monde agricole et qui lui est spécifique. » Il faut donc la soutenir à tout prix, quitte à couper les robinets des subventions à d’autres filières, comme l’éolien terrestre. Et il est temps car, ainsi que le souligne l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF), « la France reste très en retard sur ses objectifs, notamment en nombre d’installations ». L’AAMF estime que 600 méthaniseurs devraient être en fonctionnement cette année alors que le plan Énergie méthanisation autonomie azote (EMAA) visait les 1 000 méthaniseurs à la ferme d’ici 2020.
La « méthanation », sortie du chapeau
En dépit de cet enthousiasme affiché, il ne s’agit pas pour les parlementaires de rédiger un chèque en blanc aux agriculteurs méthaniseurs. Car ils profitent aussi de ce rapport pour sortir quelques squelettes du placard de la filière biogaz et notamment pointer du doigt sa production de gaz à effet de serre (GES).
Là où le bât blesse, c’est que le biogaz issu de la méthanisation, c’est-à-dire la fermentation anaérobie des matières organiques, contient entre 50 et 60 % de méthane, mais aussi entre 40 et 50 % de dioxyde de carbone (CO2). C’est bien entendu le CO2 qui pose problème. Mais le député Fugit, qui est chimiste de formation, propose de traiter ce gaz à effet de serre par « méthanation ». Ce processus consiste à produire du méthane de synthèse à partir d’hydrogène et de dioxyde de carbone, grâce à un catalyseur. La production totale de méthane sur la ferme est donc plus importante qu’avec une installation classique et les rejets de gaz à effet de serre sont limités. Cependant, l’enthousiasme des parlementaires ne doit pas faire oublier que la méthanation en est encore à ses balbutiements.
En région Centre-Val de Loire, le projet MéthyCentre, piloté par une filiale d’Engie et le CEA-Liten, se donne pour objectif de démontrer la faisabilité technique et économique de la méthanation couplée à la méthanisation. Des exploitations d’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher fourniront les intrants d’origine agricole. Mais la mise en place d’un tel réacteur sur une exploitation, sans une armée d’ingénieurs à son chevet, semble encore du domaine de l’utopie.
L’AAMF reste d’ailleurs très prudente sur le sujet. Si elle souhaite que les « méthaniseurs puissent avoir la possibilité d’évoluer vers d’autres technologies de production comme la méthanation et la pyrogazéification », elle ne conditionne pas le futur développement de la filière à l’adoption de ces techniques. Enfin, pour que la méthanation reste vertueuse, l’hydrogène doit être produit à partir d’électricité décarbonée.
Inspections obligatoires
Dans sa logique de réduction des rejets de GES mais aussi pour améliorer l’acceptabilité des projets de méthanisation auprès des riverains, l’OPECST propose d’organiser une vigilance sur la qualité des installations par un suivi régulier et des contrôles de sécurité ponctuels. L’objectif serait notamment de détecter rapidement les fuites de méthane et les problèmes de nuisances.
L’Ademe s’inquiète aussi régulièrement « de l’absence de filière industrielle et technologique adaptée aux intrants français, la plupart des installations étant des solutions étrangères, notamment allemandes, basées sur les seuls lisiers et ensilages ». Cette situation a entraîné des problèmes de casse, principalement en raison de la présence de pierres et de corps étrangers. Le rapport propose de réfléchir à la mise en place d’une certification pour les agriculteurs méthaniseurs, à l’image du Certiphyto en pulvérisation. Les exploitants qui se lancent dans le biogaz peuvent donc s’attendre à la mise en place de visites de « contrôleurs méthanisation ».
Gestion fine du digestat
L’OPECST n’élude pas non plus le problème du digestat et propose d’intégrer la gestion de ce résidu dès la conception du projet de méthaniseur. Cela consisterait notamment à « installer des ateliers de traitement du digestat avec des étapes de compostage, séchage et hygiénisation ». Des étapes supplémentaires qui promettent de compliquer le travail de l’agriculteur méthaniseur et surtout de faire exploser le coût de l’installation.
Enfin, Jean-Luc Fugit et Roland Courteau proposent de défendre le droit à l’injection de biogaz dans le réseau et d’encourager le raccordement des installations existantes. Un vœu pieux auquel l’AAMF oppose la réalité de la baisse des tarifs de rachat qui pourrait faire disparaître la filière injection. Et de rappeler que la cogénération, qui convient bien aux territoires isolés, est trop laissée de côté. De quoi alimenter encore le débat et rajouter peut-être quelques étages à cette future usine à gaz de la méthanisation agricole.