Pause ou coup d’arrêt ? Après des années de croissance florissante et ininterrompue, le marché du bio s’est retourné avec des chiffres 2021 de consommation en baisse sensible et certains débouchés saturés comme le lait, les œufs, les carottes ou la pomme (lire « À la Une » page 14). Un phénomène enclenché bien avant que la question du pouvoir d’achat ne redevienne aussi centrale et que l’inflation ne redécolle comme en ce moment, ce qui va ajouter aux difficultés du secteur.
Si, du côté de certaines organisations de la filière, on est plutôt dans le déni sur la responsabilité du prix final dans cette érosion, il paraît bien établi que le bio se heurte au mur du portefeuille des Français. « Le commun des consommateurs n’a pas les moyens de se payer de la nourriture bio », soulignait dans notre précédente édition un maraîcher bio désenchanté. Faute d’acheteurs, il a dû se résoudre à jeter 10 000 € de mâche, confiait-il dernièrement à nos confrères de Ouest-France.
D’autre part, ce n’est pas un hasard si la grande distribution (Leclerc et Système U, par exemple) communique, en ce moment, via des spots publicitaires sur des premiers prix en bio, afin de rattraper par la manche le consommateur et le persuader que cela reste abordable. Facile pour elle de rogner sa marge sur quelques produits d’appel quand, par ailleurs, elle se gave sur le reste du rayon bio ! C’est du reste de notoriété publique et cela a été pointé du doigt par de nombreuses enquêtes : avec le bio, les GMS engrangent des marges nettement supérieures à ce qu’elles prennent en conventionnel. À force d’avoir cru le filon inépuisable et d’avoir tiré sur la corde, elles portent une responsabilité certaine dans ce recul de consommation. N’oublions pas que la grande distribution pèse pour plus de la moitié des ventes de produits bio.
L’autre explication tient à la hiérarchie des critères d’achat et à son bouleversement récent. C’est dû notamment au développement d’offres plus économiques, qui mettent en avant l’argument local (très recherché), durable, équitable…
Ajoutons que de nouvelles allégations très parlantes pour le consommateur portant sur les produits phyto, comme le « zéro résidu de pesticides », se posent de plus en plus en challenger du bio. Une étude FranceAgriMer/Interfel a d’ailleurs montré leur fort développement en fruits et légumes (en tomates principalement), même si les volumes sont, pour l’instant, modestes. Elle souligne le consentement à payer plus élevé pour de tels produits, entre 10 et 30 centimes par kilo, ce qui est en dessous du bio.
Le nouveau label Bio France, porté par la FNAB (1) et intégrant des critères sociaux et de biodiversité, se veut une riposte. Mais séduira-t-elle au-delà du seul cercle des consommateurs militants ? On peut en douter, tant la question du pouvoir d’achat est en train de tout emporter. En tout cas, l’avis de gros temps qui secoue actuellement le marché du bio doit au moins servir d’avertissement aux politiques qui se dessinent à Bruxelles (25 % de bio en Europe en 2030), afin de ne pas envoyer les agriculteurs dans le mur.
(1) Fédération nationale d’agriculture biologique.