Deuxième coup de semonce ! Après un premier vent de panique concernant notre approvisionnement en nourriture au début de la crise du Covid, la guerre en Ukraine nous remet brutalement les points sur les « i » quant à la fragilité des équilibres alimentaires mondiaux. Cette fois, par la force des choses, alors que plusieurs millions de tonnes de céréales et de tournesol manquent cruellement à l’appel et que l’ONU craint un « ouragan de famine », l’alerte semble avoir porté au plus haut niveau (France, Europe, pays du G7). Au point que l’Europe a décidé d’autoriser la culture sur jachères, même s’il faut bien sûr relativiser la portée de cette mesure.

La charge symbolique est en tout cas forte. « L’Europe comprend enfin qu’il est utile de produire », cinglait dernièrement Sébastien Abis, le directeur du club Demeter, dans l’hebdomadaire Le Point. Mais ira-t-elle jusqu’à admettre qu’elle fait fausse route avec l’initiative très controversée « Farm to Fork », qui s’avère être au final une stratégie de décroissance de la production agricole, sous couvert d’objectifs environnementaux décrétés à la hache (six études aboutissent à ce même résultat) ?

D’ailleurs, à peine cette remise en question était-elle posée sur la table, notamment par le ministre français Julien Denormandie, que des ONG montaient en meute au créneau pour crier au scandale (nos boîtes mail « bombardées » en témoignent !). Mais le plus scandaleux n’est-il pas d’avoir avec ce genre de stratégie une attitude nombriliste, en disant implicitement aux pays bien moins dotés par la nature d’aller voir ailleurs qu’en Europe pour se nourrir ?

Quand on sait que seulement dix pays de par le monde, dont le nôtre, et certains de nos voisins européens, produisent 90 % du blé mondial – à cause de leurs avantages pédoclimatiques –, on peut se dire que nous avons une responsabilité vis-à-vis de la sécurité alimentaire de la planète. Sans oublier derrière toutes les considérations géopolitiques qui vont avec (les « printemps arabes » ont à la base été déclenchés par des tensions sur l’alimentation). Que ces pères-la-morale aillent donc expliquer aux pays du Maghreb et du Moyen-Orient, et à leur population galopante que nous allons bientôt tirer le rideau ! Avons-nous vraiment d’autre choix que de produire plus face aux perspectives démographiques qui s’annoncent ? Dire cela ne signifie pas pour autant que l’environnement est une option. Est-ce à ce point inentendable d’affirmer que demain nous allons essayer de produire plus avec moins ?

Il serait temps de faire confiance aux paysans qui ont bien compris les enjeux de ce siècle : la raréfaction des ressources fossiles, le défi climatique, les exigences sociétales et environnementales, et qui tentent des voies alternatives. Ce n’est sûrement pas avec des stratégies hasardeuses comme « Farm to Fork », poussée jusque dans les arcanes de Bruxelles et dans la tête d’un vice-président de la Commission euro­péenne par un ancien de Greenpeace, qu’on y parviendra…