D’un côté, une file de chars bourrés de munitions sur la route, de l’autre, des camions remplis de blé qui se faufilent dans Kiev pour accéder à un imposant moulin à farine de la ville. La symbolique de l’arme militaire et de l’arme alimentaire a ressurgi avec force dans un conflit comme celui qui oppose la Russie à l’Ukraine.

De tout temps, les vertus du blé, assez facile à stocker et apte à subir de multiples transformations pour nourrir les populations, en font un objet de pouvoir, voire un motif de conquêtes.

S’il semble illusoire de chercher à décrypter, dans le cerveau de Vladimir Poutine, toutes les raisons profondes du déclenchement de ce conflit, force est de reconnaître que la carte géo-économique de l’Ukraine parle d’elle-même. En particulier, la localisation de ses riches terres noires de céréales et des moyens logistiques pour les écouler correspond aux lignes de front les plus brûlantes. Au point de caresser le rêve, en maîtrisant la production et les flux commerciaux, de créer une sorte d’OPEP [NDLR : organisation des pays exportateurs de pétrole] du blé avec plusieurs pays satellites, qui aurait la Russie pour épicentre.

Depuis la relative stabilisation de sa production, l’Ukraine a révélé de solides arguments à faire valoir. Au point de devenir un arbitre des marchés. Grâce à d’importants progrès techniques, le pays a en effet appris à maîtriser les aléas climatiques. L’augmentation de ses capacités de stockage, que les bombes ont plutôt épargné jusqu’à présent, a aussi étayé un édifice céréalier à la fois convoité et source de résistance. Alors le blé, incontournable nerf de la guerre ?

S’il serait bien prétentieux de tirer des conclusions hâtives et pouvant être extrapolées, force est de constater que l’arme alimentaire joue une fois de plus un rôle stratégique prépondérant dans les conflits et la stabilité des États. La spéculation et la volatilité extrêmes font d’ailleurs rarement bon ménage avec la paix des peuples.

Dès lors, les regards se tournent vers l’Union européenne et son réarmement non seulement militaire mais aussi agricole. Sans préjuger de leurs effets, les aides annoncées ces derniers jours pour « doper la production agricole » (lire À la une, p. 16) ne seront sans doute pas de nature à renverser la table. Il faudra en effet bien plus que les dérogations pour utiliser les jachères si l’ambition vise non seulement à renforcer notre sécurité alimentaire mais aussi à contribuer à la régulation de l’offre en cas de conflits.