Pour se rendre à son lycée, un jeune des territoires ruraux effectue en moyenne 23,2 kilomètres de trajet. La distance classique pour aller chez son médecin dépasse aussi la vingtaine de kilomètres, contre 3,5 kilomètres en zone urbaine. Situation comparable pour profiter de la piscine ou du cinéma le plus proche. « Les anciens pouvaient tout faire à vélo ou à mobylette, note Mathis, 17 ans, lycéen près de Guéret dans la Creuse. Aujourd’hui, sans voiture, tu ne fais rien ».
Très chère mobilité
S’il existe une très grande diversité de jeunes qui vivent dans les territoires ruraux eux-mêmes aussi très divers, des caractéristiques communes émergent en matière de mobilité. « Dans la ruralité, le déplacement est omniprésent. Chez les enfants, dès l’école maternelle, certains sont soumis à prendre le taxi pour aller à l’école, beaucoup deviennent internes aux collèges et aux lycées.
Pour se déplacer, il y a la voiture… et la voiture. Le choix de la mobilité en milieu rural est très restreint », constate Gérard Hernja, responsable d’ECF le LEEM, le laboratoire de recherche consacré aux problématiques d’éducation à la mobilité, lors d’un webinaire organisé en mai 2021.
Se déplacer, accéder à un emploi, à un loisir et à la santé leur coûtent aussi plus cher que pour les jeunes citadins, relève un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), paru en 2017 sur la place des jeunes ruraux.
Leçon de morale
Alors que la voiture a permis de s’émanciper dans les campagnes, les injonctions à limiter les trajets face au dérèglement climatique se multiplient par ailleurs aujourd’hui. « Qu’ils roulent à vélo ou à l’électricité ! » : la crise des gilets jaunes nés autour des ronds-points, donne lieu depuis 2018 à des « discours très moralisateurs » à l’égard de la population rurale, reprend le docteur en sciences de l’éducation Gérard Hernja.
« On le voit sur la voiture, on le voit aussi avec les agriculteurs : on s’adresse aux ruraux comme on s’adresserait à des personnes en retard ». Il déplore un manque de respect à l’égard de la ruralité. « Les « Khmers verts » veulent donner ordre aux ruraux de rouler dans des transports qui fonctionnent mal. Ca ne peut pas se passer comme ça », renchérit Olivier Jacquin, sénateur du parti socialiste de Meurthe-et-Moselle, et auteur du rapport « Mobilité dans les espaces peu denses en 2040 ».
Alternative limitée
« Il y a eu beaucoup de fermetures de gare car le rail n'était pas rentable sur le plan économique, rappelle de son côté Mélanie Gambino, géographe spécialiste des espaces ruraux, également chercheuse au Lisst (laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires - Unité mixte de recherche Université Toulouse-Jean Jaurès, CNRS).
Les opérateurs privés de covoiturage ont aussi peu investi les campagnes à cause de la faible densité de ces espaces. La puissance publique doit intervenir. Les lignes de bus régulières ne sont souvent actives que du lundi au vendredi ou cantonnées aux transports lycéens. C'est insuffisant pour demander aux jeunes ruraux de limiter leur recours à la voiture ».
Dans une interview accordée le 5 septembre aux Echos, la chercheuse revient sur l’interdiction, en 2035, de vendre des véhicules neufs thermiques pour passer à des modèles électriques. « Cela ne fera qu’aggraver cette question de coûts. En clair, on ne pourra pas obliger ces jeunes ruraux à abandonner la voiture thermique pour adopter une mobilité décarbonée sans une politique publique d'offre de transports collectifs. »
D’autant que de la capacité à se déplacer résulte celle d’accéder à un emploi à la campagne. 45 % des jeunes ruraux ayant le permis et un CAP trouvent un poste (seulement 19 % s’ils n’ont pas le permis), indique le rapport du CESE. Cette mobilité influe aussi sur le choix de leur métier. Les jeunes ruraux font des études plus courtes après leur baccalauréat, « en raison de l’absence de proximité de l’offre de formation et des freins financiers à la mobilité ».
Enfin, ils entrent plus tôt sur le marché du travail, avec une surreprésentation de catégories d’ouvriers et d’employés, ainsi qu’une proportion assez élevée de « sans emploi », d’autant plus chez les jeunes femmes. Elles représentent dans les territoires ruraux, 61 % des demandeurs d’emploi de -25 ans.
A portée de vélo
Face à la difficulté également des jeunes ruraux d’accéder au logement notamment dans les périodes de formation (stage et alternance), un certain nombre d’entre eux choisissent de ne pas quitter leur région et de s’adapter au marché local. Confrontés aussi à une offre de services de proximité insuffisante et à la faiblesse de la couverture numérique dans les campagnes, ils disposent en outre de peu d’équipements culturels. Il n’est pas étonnant au final que la confiance dans les institutions représentatives ait fortement baissé parmi les jeunes en milieu rural, selon le Cese. Toutefois, le bénévolat reste chez eux plus fréquent que dans les villes.
Les différentes analyses et évaluations présentent un constat partagé sur le fait que la coordination des politiques publiques en direction de la jeunesse demeure insuffisante. « Ce sentiment fort dans la ruralité d’être méprisé par la ville -personnifiée par Paris -, et d’être tenu à l’écart des décisions persiste », ajoute Gérard Hernja. Une vie à portée de vélo ou de mobylette, est-ce vraiment trop rêvé ?