En juillet 2017, le Sénat a estimé « prioritaire » « la féminisation de la gouvernance de la profession en encourageant l’engagement des agricultrices ». Dans son rapport « Femme et agriculture : pour l’égalité dans les territoires », la chambre haute indiquait avoir été alertée depuis longtemps sur les graves difficultés auxquelles elles étaient confrontées, en particulier « le parcours du combattant » pour les rares investies de responsabilités au sein des organisations professionnelles agricoles. Il y a cinq ans, celles-ci apparaissaient encore comme des « pionnières ». « Face à cette situation, la délégation aux droits des femmes du Sénat est favorable à une évolution volontariste des organisations professionnelles agricoles vers une féminisation affirmée de leurs instances de décision », soulignait le rapport.
Qu’en est-il cinq ans plus tard ? La fin de la période des pionnières n’a toujours pas sonné. Alors qu'un quart des chefs d'exploitation sont des femmes et que, selon le ministère de l'Agriculture, 30 % des entreprises ou exploitations agricoles sont dirigées ou codirigées par une femme, les instances de décision de la profession demeurent très masculines.
Des femmes d’exception
Leur accession à la tête des principaux syndicats, en 2017 pour la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, en 2003 pour la porte-parole de la Confédération paysanne, Brigitte Allain et en 2022, pour la présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floc’h, ont été perçues comme des évènements. Ils montrent surtout à quelles conditions les femmes peuvent accéder à ce type de mandat. Issues du milieu agricole et héritières d’un engagement militant parental, « elles présentent en réalité un parcours d’ascension typiquement masculin, note Clémentine Comer, docteure en politique. Elles ont par ailleurs progressivement franchi les étapes un peu « canoniques » de la carrière militante. Ce sont des femmes d’exception. Et l’on ne peut pas miser une politique sur des exceptions. Il faut se rendre compte de la réalité sociale du terrain et se demander ensuite comment on accompagne les femmes lambda dans la prise de mandat ».
Dans les chambres d'agriculture
La loi du 4 août 2014, pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, avait vocation à balayer les vieilles habitudes. Pour les chambres d’agriculture, elle a instauré le fait que « les listes de candidats présentées pour chaque collège comportent au moins un candidat de chaque sexe par groupe de trois candidats, sauf impossibilité tenant soit au nombre limité de sièges à pourvoir, soit aux conditions d'éligibilité aux chambres régionales ». Grâce à cette obligation juridique, les chambres comportent désormais un tiers de femmes élues. Leurs bureaux, qui n’entrent pas dans les champs de la loi, sont quant à eux restés très masculins. Le conseil d'administration de la chambre d’agriculture France (ex-Assemblée permanente des chambres d'agriculture) ne compte, de son côté, toujours que 2 femmes sur 34 membres et son bureau, une élue sur treize. Le Sénat avait recommandé que les chambres d'agriculture, dans leurs instances dirigeantes , y compris ses bureaux, une proportion minimale d'un tiers de femmes, pour les membres élues. Les efforts restent à concrétiser.
Des écarts entre syndicats
La féminisation des syndicats agricoles doit aussi être encouragée, prévenaient en 2017 les sénatrices. Si Christiane Lambert a été « élue par un conseil d'administration de 69 personnes, dont 17 % de femmes », le conseil d’administration national du syndicat compte aujourd’hui 11 femmes sur 67 membres (16 %), le bureau n’en dénombre que trois sur 25 personnes (12 %). Chez Jeunes Agriculteurs (JA), les résistances apparaissent encore plus grandes, puisque seulement deux femmes sur ses 22 membres siègent au sein de son conseil d’administration. Parmi les quinze élus du bureau, on compte aussi seulement deux femmes.
La Confédération paysanne atteint de son côté la représentativité, avec l’obligation dans ses textes officiels, d’un tiers de femmes minimum dans les instances nationales depuis 2002. Le secrétariat national, élu le 8 juillet 2021, compte notamment trois femmes et six hommes. À la Coordination rurale, sept femmes et douze hommes composent le comité directeur national.
La MSA féminine
En 2017, Christiane Lambert faisait par ailleurs remarquer aux sénatrices qui l’interrogeaient : « On compte beaucoup de femmes à la MSA (…) très peu au Crédit Agricole et encore moins au sein des coopératives ».
Cinq ans plus tard, la Mutualité sociale agricole confirme la donne, elle atteint la représentativité au sein de son conseil d'administration, avec 3 femmes sur 9 membres (1er collège), 6 femmes sur 12 (2e collège), 2 femmes sur 6 (3e collège) et une femme sur deux pour les représentants des associations familiales. Le comité de direction restreint (5 femmes / 5 hommes) accède également à la parité, elle est dépassée pour celui élargi avec dix-huit femmes et quinze hommes.
Concernant le Crédit Agricole, si son conseil d'administration compte 11 femmes sur 25 membres élus par l'assemblée générale, respectant ainsi la proportion de 40 % de femmes prévue par la loi Copé-Zimmermann, votée en 2011, sur l’égalité professionnelle, son comité de direction ne compte que 13 femmes sur 58 membres.
Coopérative : le fief masculin
S’agissant des coopératives agricoles, le rapport du Sénat recommandait « l'établissement de statistiques sexuées » sur leur gouvernance, faute d’éléments. « Un travail a depuis été mené. Cela avance », explique Marine Nossereau, directrice juridique et fiscale, en charge de l’animation de la commission gouvernance de la Coopération agricole. En 2018, plusieurs administratrices de coopératives se sont ainsi réunies pour créer les Elles de la Coop et réfléchir sur les difficultés d’accès des femmes à leur conseil d’administration. Un webinaire s’est tenu en juin 2022 sur le même sujet.
Mais les coopératives ont beaucoup de retard à rattraper. « Cela dépend des secteurs, reprend Marine Nossereau. La viticulture compte par exemple davantage de femmes que les grandes cultures. Elles sont peu nombreuses en revanche dans l’élevage, même laitier, qui reste masculin ». En 2017, seulement 8,4 % de femmes accédaient aux conseils d’administration des coopératives agricoles. En 2022, elles sont toujours en très nette sous-représentation, avec 9,8 % des sièges.
Sujet prioritaire
En dent de scie, les évolutions en matière de féminisation des structures agricoles restent très relatives. La représentativité, à hauteur d’environ 25 %, demeure rarement atteinte. Le sujet est toujours jugé secondaire, même dans un contexte tendu de renouvellement des générations. Pourtant, plus les actifs de l’agriculture seront formés et outillés à égalité, plus ils auront la capacité de prendre des décisions éclairées pour leur système, comme leur profession.