« En modifiant l’expression de certains gènes, des chercheurs de l’Inra, en collaboration avec l’Université de Californie à Davis et le China National Rice Research Institute sont parvenus à créer des plantes de riz hybrides dont les graines produisent des plantes strictement identiques à leur plante mère, informe l’Inra dans un communiqué du 10 janvier. Leurs travaux, qui viennent d’être publiés dans les revues Nature et Nature Biotechnology, constituent une avancée majeure. »
Les méthodes d’amélioration des plantes reposent, d’une part, sur la capacité à produire des combinaisons génétiques performantes à partir de croisements entre lignées et, d’autre part, à stabiliser ces combinaisons pour produire des semences possédant les mêmes caractéristiques.
Les hybrides F1 sont utilisés depuis les années 1930 en agriculture. Issus du croisement entre deux lignées pures de plantes présentant des gènes d’intérêt, ils cumulent les avantages de chacun des parents, ce qui se traduit par une vigueur hybride supérieure à la valeur de chacune des lignées parentales. Ils sont produits par l’élimination des organes mâles suivie de pollinisation manuelle (maïs, tomate) ou par la pollinisation contrôlée de plantes exclusivement femelles (colza, betterave). Cependant, en raison des échanges qui s’effectuent entre les chromosomes des hybrides F1 lors de la méiose, leur descendance ne possède pas leurs caractéristiques. Pour obtenir des plantes identiques, il est donc nécessaire de semer chaque année des graines hybrides F1 obtenues à partir des mêmes lignées parentales.
Stabiliser les combinaisons hybrides
Depuis plusieurs dizaines d’années, les scientifiques cherchent un moyen de stabiliser les combinaisons hybrides performantes. Ils se sont notamment intéressés à l’apomixie, autrement dit la capacité de certains végétaux (notamment certaines espèces de pissenlits et d’aubépines) à produire des graines sans méiose ni fécondation, donc sans reproduction sexuée.
Les plantes issues de ces graines étant génétiquement identiques à la plante mère, il s’agit donc de reproduction clonale par graines. Les chercheurs de l’Inra ont récemment démontré qu’en inactivant, chez la plante modèle Arabidopsis puis chez le riz, trois gènes impliqués dans la méiose, on transforme celle-ci en mitose (procédé MiMe), avec pour conséquence des chromosomes identiques à ceux de la plante mère dans les cellules reproductrices ou gamètes.
Mais pour parvenir à l’apomixie, une autre condition est nécessaire. Il faut que le gamète femelle produise un embryon sans fécondation. C’est cette étape fondamentale qui vient d’être franchie, de deux manières différentes, grâce à deux collaborations entre l’Inra et l’équipe de Venkatesan Sundaresan de l’Université de Californie à Davis d’une part, et celle de Kejian Wang du China National Rice Research Institute d’autre part. Ces deux équipes ont en effet découvert indépendamment deux moyens de lancer l’embryogenèse sans fécondation du gamète femelle par un gamète mâle.
Fixation de la vigueur hybride à la descendance
Pour cela, elles ont inactivé chez le riz, à l’aide de Crispr-Cas9, les trois gènes impliqués dans le procédé MiMe mis en évidence par l’Inra. L’équipe de Venkatesan Sundaresan aux États-Unis a ensuite activé dans les gamètes femelles un gène dénommé Babyboom 1 qui, en temps normal, ne s’exprime qu’après la fécondation. En parallèle, l’équipe de Kejian Wang en Chine a inactivé le gène Matrilineal (aussi nommé Not Like Dad), impliqué dans la fécondation. De cette façon, les deux équipes sont parvenues à déclencher l’embryogenèse sans fécondation, et à produire des grains de riz génétiquement identiques à la plante mère hybride. Mieux, l’équipe américaine a montré que ces clones produisent à leur tour des clones : après trois générations, ils sont encore identiques aux semences initiales. Il est donc possible de fixer la vigueur hybride dans la descendance d’hybrides F1 de riz !
Perspectives phénoménales
Pour le moment, les taux de production de clones de graines obtenus par les équipes américaines et chinoises sont insuffisants pour envisager une application immédiate en production de semences, mais les chercheurs étudient déjà comment les améliorer.
Cette découverte pourrait, à terme, révolutionner les stratégies d’amélioration des plantes en permettant de créer des clones d’hybrides F1 pour la plupart des espèces d’intérêt agronomique. La simplicité du processus permettrait en outre de multiplier les combinaisons hybrides testées pour créer de nouvelles variétés, ce qui pourrait se traduire par un accroissement de la diversité des variétés cultivées.
Autre perspective liée à cette découverte : les agriculteurs pourraient ressemer les graines des plantes qu’ils ont cultivées, avec l’assurance d’obtenir la même vigueur hybride de génération en génération. Un avantage pour les agriculteurs, et plus particulièrement ceux des pays émergents, pour qui l’achat annuel de semences représente un coût non négligeable. Pour être profitable à tous, cette révolution méthodologique devra s’accompagner de l’évolution du modèle économique des filières de création variétale et de production de semences.