La filière des orges brassicoles s’est réunie ce 11 avril 2019. Dans son introduction, Didier Lenoir, agriculteur en Bourgogne et président du comité des orges brassicoles, rappelait que la récolte d’orges française s’élevait à 11 millions de tonnes en 2018 : un peu plus de 8 en orges d’hiver et 3 en orges de printemps.

 

Sur ce tonnage, 5,2 millions de tonnes étaient brassicoles : 3 d’orges d’hiver et 2,2 d’orges de printemps. C’est 20 % de plus qu’en 2017. En 2019, les semis d’orges augmenteraient de 8 % selon Céré’Obs, passant de 1,8 à 1,9 million d’hectares du fait notamment de la forte progression des variétés de printemps : +17 %, à 569 000 ha.

Retour sur les campagnes précédentes

Après une année 2016 « catastrophique », selon Didier Lenoir, qui a entraîné « la pire récolte depuis 1945 en 2017 », rapporte Delphine Letendart, de Groupama Assurances mutuelles, puis « des cumuls d’événements différents séquencés, d’humidité puis de sécheresse, sur la deuxième partie de campagne de 2018 », poursuit-elle, 2019 pourrait être une excellente année sous réserve que la météo soit favorable, disait en substance Luc Pelcé, d’Arvalis. Toutefois, le marché mondial est chahuté, d’une part par le conflit sino-australien et d’autre part par le Brexit, dont on se demande s’il aura lieu un jour.

 

Alexandre Jonet, de Granit Négoce (Axéréal), rappelle que « la récolte de 2018 en Europe a été atypique, voire déroutante après un automne pluvieux en 2017 en Scandinavie qui a empêché les semis d’hiver, pour se reporter sur les orges brassicoles de printemps (+27 %) ». Résultat : un surplus d’orge de brasserie était attendu et à l’origine de signaux baissiers sur le marché.

 

Finalement, la sécheresse qu’ont connu l’Europe du Nord, l’Allemagne et l’Europe de l’Est a réduit de moitié le surplus scandinave. Il est alors craint de ne pas avoir assez d’orge de brasserie. « L’Europe doit donc importer alors qu’elle est structurellement exportatrice », poursuit Alexandre Jonet. Mécaniquement, les prix augmentent : « Le marché bondit et finalement prend 60 €/t. Sauf qu’au 15 août, ils repartent à la baisse et perdent 81 €/t. »

Augmentation de l’offre

Comment expliquer cette fluctuation ? Il y a d’abord eu une augmentation du taux de sélection de l’orge de brasserie, motivée par deux facteurs. L’Europe de l’Ouest a été motivée par les prix élevés et les primes brassicoles très fortes. Et l’Europe de l’Est a été contrainte d’utiliser des orges avec des qualités dégradées en raison des problèmes logistiques engendrés par les basses eaux. La France a été forcée de conserver ses très bonnes orges avec de faibles teneurs en protéines sur le territoire.

 

Parallèlement, le stock de report de la récolte de 2017 en Scandinavie a été sous-estimé (responsable en partie de la baisse des prix). Autre élément dépressif sur le marché, en raison du Brexit (voir plus bas), les Britanniques devaient vendre 100 % des orges de brasseries en Europe continentale avant la date fatidique du 31 mars 2019. Les importations russes avaient aussi été estimées à 100 000 tonnes selon certaines sources, « mais en réalité c’était plus proche de 20 000 tonnes », assure Alexandre Jonet. Le marché a donc envoyé un signal pour augmenter l’offre.

Allègement de la demande

Un travail a aussi été effectué pour alléger la demande. Les orges d’hiver françaises ont été excédentaires et ont apporté « une solution aux malteurs plutôt que de malter des orges à 12,5-13 % de protéines », poursuit-il. Certains d’entre eux ont fait le choix de vendre des malts indexés sur la récolte de 2018 avec des couvertures sur la récolte de 2019. « Finalement, le marché a tellement travaillé qu’on s’est retrouvé avec un surplus d’orges de brasserie d’hiver et de printemps », s’exclame Alexandre Jonet.

 

Alors que l’Europe pensait devoir importer 500 000 tonnes d’orges de brasserie en août, des surplus ont été constatés. Celui d’orge d’hiver a été valorisé en fourragère et une bonne partie de l’orge de printemps a été exportée vers les pays tiers (180 000 tonnes). « Le marché a trouvé ses solutions. Finalement, la récolte de 2018 va finir avec quasiment pas de stocks », résume Alexandre Jonet.

Un impact fort de la géopolitique

Mais pour son collègue Julien Darley, « les éléments perturbateurs de contexte vont prendre certainement plus d’importance que les tableaux offre-demande ». La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a notamment des effets collatéraux sur le Canada et l’Australie.

 

« La Chine a déclenché une investigation contre le dumping que l’Australie aurait fait sur le marché des orges. Ce n’est rien d’autre qu’une réaction à l’affaire Huawei, géant des télécommunications chinoises, dont un contrat a été supprimé sous la pression de Trump ! Une personne de cette entreprise a aussi été arrêtée au Canada, arrestation forcée par les États-Unis. En conséquence, les deux canadiens Richardson et Viterra se sont vu refuser leur capacité à exporter du canola vers la Chine. On se demande où tout ça va s’arrêter ! Aujourd’hui, l’Australie est dans l’incapacité d’exporter vers la Chine. On se demande si ça ne sera pas le cas du Canada demain », craint Julien Darley.

Le Brexit bloque les échanges

Concernant le Brexit, la deadline devait être le 31 mars 2019. « Les Britanniques se sont organisés et dépêchés d’exporter au maximum les orges, reprend Julien Darley. Depuis cette date, on ne peut plus rien faire car il n’y a plus de règles établies sur les échanges entre l’Angleterre et le reste de l’Union européenne. »

 

Il n’y a aucune indication ni sur le coût de revient de l’orge à l’importation, ni sur le prix de vente pour les Britanniques. « Le business entre l’Angleterre et l’Europe continentale est complètement arrêté », poursuit-il. Theresa May a obtenu un report au 31 octobre voire au 22 mai « pour ne pas avoir à organiser les élections européennes », ironise Julien Darley. Donc « on ne touche à rien. »

 

Or, la Grande-Bretagne fournit tous les ans des orges dans le bilan européen. Le pays est excédentaire de 300 000 tonnes chaque année, « ce n’est pas une paille », souligne-t-il ! Pour l’instant rien n’a été vendu en Europe continentale sur la récolte 2019. « Mais le business a continué à tourner. »

 

Or les prix de la récolte 2019 sont tellement plus bas que la récolte 2018 (-40 à 50 euros/t) que « les brasseurs se sont rués dessus pour fixer les prix ». À la suite de quoi, il a fallu chercher des couvertures fournies par les Français et les Scandinaves. « Les Britanniques ont loupé la moitié du film et les malteurs sont couverts jusqu’à janvier février 2020. »

 

Ils pourraient s’adresser à l’Amérique du Nord, qui n’a pas besoin d’orge, ou à l’Amérique du Sud, qui, elle, est bien approvisionnée avec sa récolte de décembre 2018 et reste exportatrice. Quant à la Chine, « oui en théorie mais non dans les faits. Donc les Britanniques vont avoir des problèmes avec leurs surplus exportables. »

Des perspectives pour l’Europe

On peut espérer des perspectives haussières pour les marchés européens si l’Australie n’a durablement plus la capacité de fournir la Chine, puisque celle-ci devra bien s’approvisionner quelque part. En effet, l’Argentine n’a plus grand-chose à vendre. Il reste donc l’Europe et en particulier la France.

 

« Si Trump obtient ce qu’il souhaite auprès du gouvernement chinois, tout cela peut s’arrêter du jour au lendemain. Et ce sera un pétard mouillé, craint Julien Darley. Je ne sais pas vous dire où on va et si ça va durer suffisamment longtemps pour que l’on connaisse sur la récolte 2019 des exportations vers la Chine, qui seront peut-être un record de tous les temps en orges de brasserie et aussi en orges fourragères. »

 

Factuellement, les dernières tonnes de la récolte 2018 qui sont en train de partir sur la Chine sont déjà liées à ces affaires-là. En revanche, sur la nouvelle récolte, le business qui a été fait n’est pas lié à cette guerre commerciale.

Et pour la France

Les surfaces d’orge d’hiver en France se redressent après quelques années de baisse (1,3 million d’hectares) et une hausse significative des orges de printemps est annoncée (569 000 ha) pour 2019-2020. « Il faut faire attention car il y a beaucoup d’émotion autour des colzas retournés, mais il ne faudrait pas oublier que les surfaces de tournesol, maïs et protéagineux vont croître avec, en parallèle, la baisse de celles de blé dur. Je serais plus prudent avant d’annoncer 600 000 ha », tempère Julien Darley. Mais il conclut sur une note positive : « Pour 2019-2020, le disponible exportable n’est plus si gigantesque que ça. En revanche, nous étions des piètres fournisseurs d’orges de printemps mais avec la hausse des surfaces, on a de quoi fournir sur le marché mondial. »