Le manque de précipitations et la publication de l’USDA (ministère américain de l’Agriculture) le jeudi 12 mai 2022, qui souligne des pertes de production, poussent encore les prix des céréales plus haut. A contrario, ceux du colza, du soja et des tourteaux s’affaissent sous le poids des réductions de la demande.
Les prix du blé gagnent 20 €/t cette semaine
Le prix du blé sur l’échéance de septembre sur Euronext a franchi allégrement la barre des 400 €/t cette semaine, clôturant à 413,75 €/t hier soir et grimpant encore actuellement (419 €/t aux alentours de 15h30).
Sur le marché physique, le blé rendu Rouen vient d’augmenter de plus de 20 €/t pour l’ancienne récolte (à 403,25 €/t) et celui de la nouvelle récolte de 17 €/t à 412,75 €/t pour la période allant de juillet à septembre.
Les conditions climatiques à l’œuvre
Les prix réagissent très fortement aux inquiétudes climatiques grandissantes, en France notamment. Dans sa publication hebdomadaire de ce vendredi 13 mai 2022, CéréObs vient d’annoncer une nette réduction du pourcentage des blés français en bonne ou excellente condition au 9 mai, passant à 82 % contre 89 % le 2 mai.
Cela illustre les dégâts consécutifs, sur une large part du pays, des très faibles précipitations. Le pourcentage pourrait encore baisser dans le rapport de la semaine prochaine puisque celui-ci, au 20 mai, reflétera les conditions des cultures telles qu’elles seront lundi prochain.
Néanmoins, des pluies sont tout de même annoncées par endroits pour la semaine prochaine. Si elles se concrétisent, elles pourraient venir limiter les dommages. Dans un environnement mondial privé d’une large part des blés ukrainiens, cette situation qui se dégrade en France et dans l’ensemble de l’Union européenne est perçue comme explosive pour les prix.
Elle vient s’ajouter à l’effet des fortes températures en Inde qui ont amputé la récolte de blé mais ne l’ont pas détruite, loin de là. Dans sa publication mensuelle d’hier soir, l’USDA l’a estimée à 108,5 millions de tonnes contre 109,6 millions de tonnes en 2021. De notre côté, nous retenons une estimation de 106 millions de tonnes pour la récolte indienne en 2022, ce qui n’empêchera pas l’Inde de rester une grosse exportatrice de blé sur la scène internationale en 2022.
Le sec en Europe s’additionne aussi au manque de pluie prévalent depuis plusieurs mois sur les plaines de blé d’hiver aux Etats-Unis. Toujours dans sa publication hier soir, l’USDA a estimé la récolte d’hiver en baisse de 8 % par rapport à celle de 2021.
Au total, la récolte américaine a quand même prévu d’augmenter légèrement, après le désastre de l’an dernier pour les blés de printemps. Toutefois, la progression attendue n’est que modeste, avec 47,1 millions de tonnes contre 44,8 millions en 2021. Cette estimation de l’USDA a fait flamber Chicago hier soir, ainsi qu’Euronext ce matin, car celle-ci est plus basse que ce que la moyenne des opérateurs attendait.
Baisse de l’euro et achats de l’Afrique du Nord
Deux autres facteurs qui ont poussé les prix français à la hausse ces derniers jours sont également à mentionner. Tout d’abord, la nouvelle baisse de l’euro face au dollar renforce la compétitivité des blés européens sur le marché mondial. Ensuite, l’Algérie est revenue sur le marché et vient d’acheter, jeudi 12 mai, 450 000 tonnes de blé tendre pour chargement en juillet à un prix moyen de 466 $/t à destination.
Vu le niveau de prix mentionné, il est probable que les blés européens (bulgares, roumains et français) feront partie des origines retenues. De son côté, la Tunisie a également acheté 100 000 tonnes de blé pour chargement entre le 1er juin et le 31 juillet.
Ces éléments et la publication par l’USDA d’un stock de blé en baisse à la fin de la prochaine campagne ont poussé les prix vers le haut. Le bilan mondial indique pourtant que les prix sont déjà très élevés par rapport à l’état réel des stocks prévus. Que se passerait-il si le projet annoncé hier par la Commission européenne réussissait à fonctionner ?
Plan d’action de la Commission pour aider les exportations ukrainiennes
En effet, la Commission européenne a annoncé un plan d’action pour aider l’Ukraine à exporter ses produits agricoles, via l’Union européenne, en établissant des itinéraires logistiques alternatifs à la voie maritime. Pour ce faire, elle a proposé la mise en place d’une plateforme pour faciliter les échanges entre les acteurs de la chaîne logistique et la mise à disposition de matériel (camions, péniches, etc.).
Cependant, la tâche semble de grande ampleur. Un flux est déjà en place au départ de l’ouest de l’Ukraine vers les pays frontaliers mais il est ralenti par les procédures douanières ainsi que la nécessité de transbordement à la frontière à cause des écartements différents des rails en Ukraine et en Europe. Selon l’Union européenne, il y aurait, en ce moment, environ 16 jours d’attente pour que les wagons puissent passer la frontière, voire 30 jours par endroits.
Vers le Danube, les flux sont ralentis par la destruction de certains ponts. Il sera donc important de suivre les mesures qui vont être prises. Si l’Union européenne réussissait à faire sortir des volumes importants de grains, sur les plus de 20 millions de tonnes bloquées en Ukraine, un impact sur les prix pourrait se ressentir.
Envolée aussi des prix de l’orge
L’orge évolue de la même manière que le blé. Elle gagne 23 €/t à Rouen pour l’ancienne récolte à 418,5 €/t (base juillet) et 11 €/t pour la nouvelle récolte (397,5 €/t rendu Rouen).
Ces hausses, qui placent désormais l’orge française à 417 $/t Fob Rouen en nouvelle récolte sur le marché mondial (ou à 450 $/t en ancienne récolte) discriminent complètement les orges françaises qui valent maintenant 90 $/t de plus que les orges russes et 70 $/t de plus que les orges australiennes. Comme pour le blé, la Tunisie s’est portée aux achats cette semaine, contractant 75 000 tonnes d’orge fourragère pour chargement entre juin et juillet.
Sur le créneau brassicole c’est l’embrasement également. Les orges d’hiver et de printemps de la récolte de 2022 gagnent 30 €/t depuis la semaine dernière (à 430 et 450 €/t respectivement Fob Creil). Néanmoins, c’est un peu la confusion sur ce marché avec des écarts de cotations qui montent jusqu’à 50 €/t entre les différentes sources.
Dans tous les cas, les prix grimpent, à la suite de ceux du blé mais surtout aussi à cause des inquiétudes découlant de la sécheresse actuelle. Le bilan brassicole de l’Union européenne pour 2022-2023 s’annonçait proche de l’équilibre, moins tendu que pour 2021-2022, mais les conditions actuelles peuvent très vite tout remettre en cause.
Les prix du maïs grimpent modérément
Les prix du maïs montent encore un peu cette semaine et c’est pour la nouvelle campagne que la hausse est la plus marquée. Fob Bordeaux, le maïs de la récolte de 2022 gagne 9 €/t à 353 €/t (base juillet) et Fob Rhin, il gagne 13 €/t à 353 €/t. Pour les maïs de la récolte de 2021, les variations se situent entre +5 € à Bordeaux et +1 €/t Fob Rhin à 359 €/t et 351 €/t respectivement.
Parmi les éléments haussiers, les semis aux États-Unis continuent d’afficher du retard à cause des pluies, avec à peine 25 % des surfaces semées au début de la semaine. Le retard atteint jusqu’à deux semaines dans plusieurs États. Dans sa publication du jeudi 5 mai, l’USDA a d’ailleurs confirmé la baisse attendue de la surface et de la production pour sa première prévision de l’année pour le bilan de 2022-2023 des États-Unis.
En Ukraine, l’avancée des semis confirme le très net retrait de surface attendu pour la prochaine récolte. Au début de la semaine, les semis n’étaient avancés qu’à 50 % des intentions, elles-mêmes en baisse d’une année sur l’autre, contre 72 % de progression à la même date l’an dernier, qui était alors déjà une année tardive.
En France, les semis touchent à leur fin. Le ministère de l’agriculture a publié cette semaine une première estimation de surface à 1,46 million d’hectares, en baisse par rapport à la récolte de 2021. Cette estimation va dans le sens de ce qui était attendu par les opérateurs. Les pluies se font maintenant attendre pour assurer de bonnes levées dans de nombreuses régions.
La demande ne faiblit pas pour l’éthanol aux Etats-Unis. En revanche, les ventes, ou export sales, du premier exportateur mondial marquent le pas cette semaine car les prix élevés du maïs pèsent sur la demande mondiale.
Légère baisse des prix du colza
Cette semaine les prix du colza en France ont légèrement diminué — de 7 à 9 €/t — pour atteindre 847 €/t rendu Rouen et 849 €/t en Fob Moselle, prix de la nouvelle récolte. Cette légère diminution est principalement due aux inquiétudes quant à la demande de la Chine, affectée tant par les confinements qui s’éternisent dans plusieurs grandes villes, dont Shangaï, que par le ralentissement de sa croissance économique (phénomène également constaté dans de nombreux autres pays, en raison d’une inflation très élevée).
En conséquence de cette moindre demande, les prix de l’huile de palme et de l’huile de soja sont en baisse sur la semaine, tout comme le prix du baril de pétrole. Ce recul du brut a tout de même été limité par le projet d’embargo européen sur le pétrole russe. Ainsi, les prix du colza, malgré leur petit recul, restent fermes, conséquence de la tension régnant sur le complexe oléagineux.
Par ailleurs, les semis de canola au Canada sont à surveiller. Alors que des pluies soulagent certaines parties de l’ouest et du sud des Prairies, d’autres sont toujours assez sèches. À l’inverse, les régions de l’est et du nord des Prairies canadiennes connaissent des pluies en abondance, retardant les semis, ce qui pourrait affecter le potentiel de rendement où même, si la situation perdure, la surface semée de canola.
Nouveau recul du prix du tourteau de soja
La demande chinoise en soja et tourteau de soja est atcuellemnt très faible. Elle est affectée par une situation sanitaire dégradée et des confinements longs mais aussi par une économie en berne, qui limite la demande en viandes, œufs et produits laitiers. Cela continue de peser sur les prix du tourteau et du soja cette semaine.
Par ailleurs, la demande en tourteau de soja est affectée à l’échelle mondiale par les difficultés financières des élevages, durement touchés par l’inflation de leurs coûts de production, mais également par des crises sanitaires. L’épizootie de grippe aviaire, assez sévère en France, des derniers mois a entraîné une perte de cheptel volailles non négligeable tandis qu’une épidémie de peste porcine a flambé au début de l’année en Thaïlande.
Les prix du tourteau de soja chutent le plus fortement, avec un déclin de 26 $/t en une semaine pour l’échéance de juillet sur le marché de Chicago. En France, le tourteau de soja perd encore 11 €/t cette semaine pour atteindre 508 €/t. En l’espace de deux mois, les prix du tourteau de soja sur le marché français ont chuté de 10, et les gains engrangés en février et mars, à la suite du déclenchement du conflit russo-ukrainien, sont désormais totalement effacés.
Les graines de soja reculent aussi
Pour le soja, le recul des prix est un peu plus modeste cette semaine. Le prix du soja à Chicago a reculé de 12 $/t pour l’échéance de juillet et de seulement 4 $/t sur la nouvelle campagne de novembre 2022.
La parution des premiers bilans de 2022-2023 de l’USDA pour le soja a en effet entraîné un rebond des cours hier, ce qui a compensé en partie le recul des prix des jours précédents. L’USDA prévoit que malgré un fort rebond de la production de soja aux États-Unis à l’automne 2022, grâce à une forte progression de la surface, les stocks américains ne devraient que très peu remonter, ce qui maintiendra le bilan américain dans une situation de déficit en nouvelle campagne.
La raison principale est une forte augmentation attendue de la trituration, tant aux Etats-Unis, qu’en Amérique du Sud et dans les pays émergents, y compris la Chine. Du côté des travaux des champs, les semis se poursuivent aux Etats-Unis, et le petit retard des dernières semaines pourrait être comblé en partie sur les prochains jours, la météo s’annonçant favorable.
Chute des cours des pois dans le sillage du tourteau de soja
La faiblesse de la demande animale entraîne également le recul du pois en une semaine. Le pois fourrager départ Marne perd 16 €/t entre le 6 et le 13 mai, et retombe à 404 €/t, faute d’intérêt des acheteurs.
Le prix du tournesol de la nouvelle récolte remonte
Au contraire des autres graines oléagineuses, la situation est plutôt haussière pour le tournesol cette semaine. La principale raison est le temps sec qui s’installe dans la plupart des régions d’Europe productrices de tournesol. Elles affichent toutes d’un déficit hydrique depuis le début de mai.
Les tournesols tout juste semés souffrent par endroits et il faudrait que le retour des pluies soit rapide pour stabiliser la situation. Les prévisions météorologiques pour les deux prochaines semaines ne sont pour le moment pas très rassurantes de ce point de vue là en Italie, en Espagne, dans le sud de la France, en Roumanie, ainsi que dans l’ouest de la Hongrie et de la Slovaquie.
Ainsi, le tournesol de la nouvelle récolte à Saint-Nazaire a gagné 5 €/t, que ce soit en qualité standard (à 825 €/t) ou oléique (à 845 €/t). Le cours du tournesol ukrainien a aussi un peu rebondi sur le rapproché (+12,5 $/t) en raison d’un afflux de demande, la graine ukrainienne étant très compétitive. Elle s’affiche en départ frontière de l’ouest 190 $/t moins chère que sa rivale bulgare, prix fob mer Noire.
Les énormes stocks de tournesol qui ne peuvent être triturés en Ukraine, du fait de l’activité industrielle fortement perturbée par le conflit, pèsent en effet sur les prix locaux. Le prix de l’ancienne récolte du tournesol oléique à Saint-Nazaire a, quant à lui, légèrement décliné (–10 €/t) faute de demande, mais reste à un niveau historiquement élevé (995 €/t), en raison des très faibles disponibilités restantes.
À suivre : climat en Europe et Amérique du Nord, change euro/dollar, programme d’aide de la Commission pour l’exportation des produits ukrainiens, guerre en Ukraine.