À trois heures de route au nord-ouest de New York, Kaelan Castetter arpente les bureaux à l’abandon qui jouxtent sa manufacture de produits à base de cannabidiol. Dans quelques mois, le vaste espace de 3 000 m² sera entièrement consacré à l’exploitation du cannabis, dont l’usage récréatif est légal dans l’État de New York depuis mars 2021.

 

« On va construire un complexe ultramoderne, de classe internationale pour cultiver le cannabis et étudier sa génétique à côté de notre usine de produits finis », décrit-il. Kaelan Castetter est le patron d’Empire Standard, un site qui a ouvert l’an dernier dans la banlieue de Binghamton. L’entreprise fabrique des huiles, des baumes, des cosmétiques, des cigarettes, des bonbons et des boissons à partir de cannabidiol (CBD), une substance non-addictive du cannabis appréciée pour ses vertus relaxantes, et approvisionne des détaillants de la région.

 

Des entreprises comme Empire Standard vont ainsi pouvoir faire pousser des variétés de cannabis à forte concentration en tétrahydrocannabinol (THC), la molécule psychoactive de la plante.

 

Une opportunité historique

Devant la chaîne de montage de l’usine de Binghamton, des employés en blouse de travail assemblent des petites boîtes en plastique contenant des fleurs de chanvre CBD sous la direction de Jim Castetter, le père de Kaelan. À 55 ans, ce pionnier du secteur est aujourd’hui le chef des ventes d’Empire Standard après de multiples aventures entrepreneuriales, plus ou moins licites, dans l’industrie du cannabis new-yorkais.

 

« Combien de fois dans votre vie avez-vous la chance d’entrer sur un marché établi avec un produit qui était interdit à la vente ? C’est unique », explique-t-il. « On s’est trouvé au bon endroit, au bon moment avec suffisamment de passion, d’ambition et de savoir-faire pour pouvoir en tirer profit. »

 

De son côté, Kaelan Castetter est convaincu que l’État de New York va devenir un centre mondial de la vente de marijuana, au même titre que la Californie. « Il ne pouvait y avoir de meilleur moment pour que New York légalise le cannabis avec 30 000 à 50 000 emplois à la clef et des milliards de dollars injectés dans l’économie », s’enthousiasme-t-il, confiant avoir vu son activité s’essouffler pendant la pandémie. Ce jeune entrepreneur de 24 ans compte faire passer ses effectifs d’une quinzaine de salariés à plus de cent.

 

La France à la peine dans le domaine

La loi française n’en est pas encore là. Dans l’Hexagone, il est encore interdit d’exploiter la fleur et les feuilles de chanvre où se concentrent les cannabinoïdes, même si elles sont issues de variétés aux teneurs en THC réduites. Pourtant, les produits à base de CBD ont la cote. Ce marché florissant laisse entrevoir des opportunités de diversification chez les agriculteurs.

 

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Mais le flou qui plane sur l’éventuelle autorisation d’exploiter la plante entière (toujours à faible teneur en THC) persiste. L’interprofession du chanvre soutient qu’il est prématuré d’investir tant que le cadre légal n’est pas défini, alors qu’une filière semble déjà s’organiser.

 

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Le chemin est encore long aux États-Unis

Les retombées économiques de la légalisation aux États-Unis ne devraient toutefois pas être immédiates. Pour produire, distribuer ou vendre du cannabis, les professionnels devront posséder une licence d’exploitation, octroyée par une commission en cours de formation. « Les premières licences seront accordées au mieux d’ici à la fin de l’année, et seulement si tous les voyants sont au vert », prévient Cristina Buccola, une avocate new-yorkaise spécialiste de l’industrie.

 

Le cannabis récréatif, désormais légal dans seize États américains et à Washington, reste en outre interdit au niveau fédéral, ce qui laisse envisager de possibles contestations dans l’application de la loi.

 

« En cas de conflit, le gouvernement gagne presque à tous les coups », résume Cristina Buccola. Motif d’espoir pour les partisans d’une légalisation dans tout le pays, le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, qui représente l’État de New York, s’y est dit favorable et veut travailler à sa mise en œuvre.

 

Des objectifs « ambitieux » en justice sociale

La loi new-yorkaise se distingue de celle d’autres États américains par d’ambitieux objectifs en matière de justice sociale. Elle prévoit de reverser une partie des taxes sur la vente de cannabis (un montant estimé à 350 millions de dollars par an) vers les communautés les plus affectées par la répression contre les drogues aux États-Unis — les Noirs et les Latinos.

 

Les casiers judiciaires des personnes condamnées pour possession illégale de cannabis seront purgés. Et la moitié des licences seront réservées à des minorités, des entreprises appartenant à des femmes, des anciens militaires blessés ou des agriculteurs sinistrés.

 

« New York a établi ces priorités dans la loi, mais il va falloir aller au fond des choses et créer un secteur vraiment accessible à tous », avertit Kaelan Castetter, qui s’efforce de recruter des salariés issus de la diversité.

 

La légalisation a été soutenue par la population

Au sein de la population, la légalisation n’a jamais été autant soutenue : 68 % des Américains y sont favorables, contre moins de 50 % il y a une décennie, selon un sondage réalisé à la fin de 2020 par Gallup.

 

Une évolution que Jim Castetter attribue à « un changement de génération, de mentalité et de structure politique. Aujourd’hui, tout le monde se rend compte que consommer du cannabis n’est pas une si grande affaire. »