La Commission européenne veut renforcer la protection des forêts, notamment en forçant les États à rendre des comptes et en indemnisant les propriétaires s’ils ne coupent pas d’arbres, un projet fustigé par la filière bois et par plusieurs des Vingt-Sept.
L’état de conservation des forêts est « médiocre »
Après le « plan climat » présenté mercredi 14 juillet 2021, la Commission européenne a déroulé vendredi 19 ses propositions destinées à préserver les forêts, gigantesques « puits de carbone » naturels couvrant 43 % du continent.
Alors que l’Union européenne (UE) veut réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990, l’état de conservation des forêts est « médiocre », sous pression du réchauffement climatique (scolytes, sécheresses…) comme des activités humaines, s’inquiète Bruxelles.
L’exécutif européen a déjà une « feuille de route » pour planter trois milliards d’arbres supplémentaires via une « dynamique citoyenne » volontaire.
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La Pac pourrait « récompenser » les bons élèves
La Commission propose désormais d’imposer aux États des objectifs contraignants de « restauration de la nature » et d’établir une surveillance renforcée avec collecte de données harmonisée au niveau de l’Union européenne.
Surtout, elle propose un système d’indemnités aux propriétaires de forêts pour « récompenser leurs efforts » s’ils adoptent des techniques vertueuses (rétention d’eau…) ou laissent intactes certaines surfaces. Des contreparties qui pourraient s’incorporer à la Politique agricole commune (Pac) et encourager l’agroforesterie (associations d’arbres et cultures).
Virginijus Sinkevicius, commissaire à l’Environnement, a promis vendredi 16 juillet 2021 « une étroite collaboration avec États et acteurs du secteur forestier » pour définir des « pratiques durables » faisant l’objet de « certifications volontaires ».
Une stratégie « déconnectée » du terrain
Le sujet est sensible : dix États membres (France, Finlande, Autriche…) avaient écrit à la Commission pour dénoncer d’avance un projet « ignorant le rôle multifonctionnel des forêts, réduit à des considérations environnementales sans tenir compte des aspects socio-économiques ».
La filière bois représente 20 % des entreprises manufacturières de l’Union européenne, soit 3,6 millions d’emplois.
« Si on ne cultive pas les forêts, comment faites-vous de la construction bois ? » réagissait récemment le ministre français de l’Agriculture, Julien Denormandie. « La gestion des forêts est de la compétence des États membres. Il est bien normal de s’étonner que la Commission rédige un texte sans concertation », se justifiait-il sur Twitter.
La gestion des forêts est de la compétence des États-membres. Il est bien normal que les États s’étonnent que la Commission rédige un texte sans concertation et sans tenir compte des conclusions du Conseil adoptées par tous les États membres en novembre dernier !
— Julien Denormandie (@J_Denormandie) July 10, 2021
D’autant que la « stratégie forêts » proposée devra être négociée par les États et les eurodéputés. « Cette stratégie est basée sur l’idéologie et l’émotion, déconnectée de la réalité du terrain », abondait vendredi Fanny-Pomme Langue, secrétaire générale de la Confédération européenne des propriétaires de forêts. « Les propriétaires choisissent la gestion adéquate pour leurs terres […] Ils ont besoin de soutien politique, sociétal et économique », insistait-elle, estimant que Bruxelles propose des financements insuffisants.
Virginijus Sinkevicius s’est défendu : « Nous écoutons les acteurs forestiers, nous faisons notre possible pour protéger leurs revenus », a-t-il insisté, appelant cependant aussi à encourager l’écotourisme pour « diversifier » les ressources.
Discovering Zaberfeld & discussing the #EUForests Strategy with forest owners, foresters, scientists, NGOs, the nature conservation & state forest associations of BaWü.
— Virginijus Sinkevičius (@VSinkevicius) July 5, 2021
Enriching to hear your traditions, concerns & ideas to ensure a thriving future for them!#EUGreenDeal pic.twitter.com/4lCvkxLXeE
> À lire aussi : Comment le ministère voit l’exploitation agricole économe en carbone (23/06/2021)
Le « déni » de l’Union sur « l’état tragique des forêts »
Dans son « plan climat », Bruxelles propose une cible européenne d’absorption via les « puits de carbone » naturels, fixée à 310 millions de tonnes équivalent CO2 d’ici 2030.
Les ONG environnementales, elles, jugent la « stratégie forêts » insuffisante pour enrayer surexploitation et coupes rases.
« Il manque les garde-fous concrets pour empêcher l’intensification des coupes […] les forêts perdent déjà leur capacité de stocker le carbone tant leur santé se détériore », observe Sabien Leemans, de WWF.
The new #EUForestStrategy recognises the urgent need to strengthen the protection and restoration of Europe's forests
— sabien leemans (@SabienLeemans) July 16, 2021
But can it deliver
Our reaction https://t.co/aS7yPvUiEB
And key takeaways #EUforests #EUGreenDeal #Fitfor55 pic.twitter.com/6EVjqwIZp7
Alors qu’actuellement les États ne partagent pas leurs données sur les forêts, l’organisation Fern salue l’idée d’un système d’informations harmonisé mais déplore l’absence d’« indicateurs contraignants ». « En s’opposant au projet initial de la Commission, (les États) sont dans le déni sur l’état tragique des forêts », estime Kelsey Perlman, de Fern.
« Les lobbies de l’industrie forestière sont passés : le texte est trop faible pour empêcher les forêts d’être brûlées pour faire de l’énergie », soupire l’eurodéputée (Verts) Marie Toussaint.
Le #paquetclimat, publié hier par la Commission
— Marie Toussaint (@marietouss1) July 15, 2021
propose de ne préserver que le bois issu des forêts primaires, tourbières et zones humides ; et de "minimiser" les coupes rases.
C'est bien. Mais largement insuffisant pour le #climat et la #biodiversité.
L’Union européenne veut inclure la biomasse parmi les « énergies renouvelables », au risque d’encourager la monoculture (plantations d’arbres à but strictement économique). Ce que dénonce l’activiste Greta Thunberg. « Vous pouvez planter des arbres, mais pas des forêts », écosystèmes complexes qui « ne sont pas renouvelables », a-t-elle tweeté.
We ask the European Commission @vonderleyen and @TimmermansEU to #StopFakeRenewables and remove forest biomass from the Renewable Energy Directive.
— Greta Thunberg (@GretaThunberg) July 11, 2021
You can plant trees, but you cannot plant forests. Forests are not renewable. pic.twitter.com/NREBqmVKaK