Le blé et l’orge voient de nouveau leur prix grimper cette semaine alors que le maïs reste plus paisible. En effet, les bonnes nouvelles concernant la production brésilienne de maïs pèsent sur son prix. Les prix oléagineux n’en finissent pas de grimper, poussés par le manque d’huile de tournesol.
Le prix du blé rebondit
Les prix du blé sont repartis à la hausse cette semaine sur le marché européen. Rendu Rouen, le blé se situe aux alentours de 380 €/t (base juillet), une progression de presque 14 €/t depuis vendredi dernier. Cette progression n’empêche pas des fluctuations importantes d’un jour à l’autre, en hausse ou en baisse. Le vendredi 25 mars 2022 en milieu de journée, le contrat de mai d’Euronext affiche aussi une progression de près de 15 €/t par rapport à sa clôture du 18 mars.
C’est la poursuite de la guerre en Ukraine qui continue de soutenir les prix après les espoirs suscités il y a un peu plus d’une semaine par des discussions sur un éventuel cessez-le-feu. Les nouveaux dommages apportés aux infrastructures ukrainiennes viennent apporter la triste confirmation que le pays restera pendant longtemps dans une situation où il ne pourra pas exporter et où les semis de printemps et récoltes moissonnées cet été seront en partie détruits.
Le 23 mars 2022, la société Bunge a annoncé qu’une de ses installations portuaires à Mykolaiv avait été endommagée par un bombardement. Cette installation, selon Reuters, comporte une usine de trituration ainsi que des silos pour le stockage et le chargement portuaire. Le 23 mars aussi, lors de la rencontre organisée par Intercéréales à Paris, le directeur général de Soufflet Négoce précisait que les ports maritimes ukrainiens mettraient du temps avant leur remise en marche.
Inquiétudes pour la production mondiale de blé en 2022
L’Ukraine ne peut donc pas exporter et cela risque de durer longtemps. C’est la raison pour laquelle nous avons réduit, dans notre dernier rapport Stratégie Grains, de 6 millions de tonnes les exportations de blé ukrainien d’ici à la fin de la campagne mais surtout réduit aussi de 9 millions de tonnes ces mêmes exportations pour la prochaine campagne de 2022-2023 (à 12 millions de tonnes seulement). Le cabinet d’analyse ukrainien APK table sur une estimation du même ordre de grandeur (10 millions de tonnes pour les exportations de blé ukrainien en 2022-2023).
La récolte de blé cet été dans ce pays sera aussi très perturbée : nous attendons une réduction de 30 % par rapport au potentiel de départ mais les dégâts pourraient être plus importants encore. Ces dégâts vont fortement affecter la production mondiale de blé d’autant plus que les agriculteurs canadiens commencent de nouveau à s’inquiéter du manque de pluies pour leurs semis de printemps. Aux États-Unis (USA) en revanche, la situation hydrique s’est plutôt améliorée cette semaine sur les blés d’hiver si bien que ce point, combiné à des ventes plus faibles que prévu par les opérateurs, a poussé Chicago vers le bas.
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Le marché mondial du blé reste actif
La Russie, de son côté, continue d’exporter. De plus les bateaux dans la mer Noire évitent les côtes ukrainiennes en naviguant vers le Sud, avant d’obliquer vers l’Ouest, le long des côtes turques. Dans ce contexte, les importateurs font tout ce qui est possible pour trouver des offres alternatives ; l’Inde est par exemple très sollicitée, que ce soit par des pays d’Asie mais aussi par l’Égypte par exemple.
En retour, les régions exportatrices de l’Inde réfléchissent à la manière de répondre à cette demande exceptionnelle (au-delà des flux indiens élevés déjà engagés avant la guerre en Ukraine). Le gouvernement du Madhya Pradesh est ainsi en train d’étudier une réduction de la taxe que les exportateurs doivent payer quand ils achètent du blé à l’État. Par ailleurs, plusieurs exportateurs indiens ont demandé cette semaine que le gouvernement de leur pays accroisse les disponibilités de transport ferroviaires afin de fluidifier le trafic vers ou en provenance des ports du pays.
Les achats se poursuivent ainsi sur le marché mondial : le TMO (office de régulation du marché turque) a acheté cette semaine 245 000 tonnes de blé pour chargement en avril ; il a acheté aussi 210 000 tonnes de blé sur le marché turc. L’Iran, de son côté, a contracté 195 000 tonnes pour livraison en avril-mai. L’Europe et la France sont, elles, très actives actuellement en direction de l’Afrique du Nord.
Les prix du maïs français s’affaissent un peu plus
Les prix du maïs se sont de nouveau affaissés cette semaine, perdant 2 €/t à 374 €/t Fob Rhin (base juillet). L’affaissement a été généralisé sur le marché mondial, les prix US abandonnant 3,5 $/t (à 351 $/t Fob) et les prix brésiliens 15 $/t (à 362 $/t). Les conditions de culture pour la seconde récolte brésilienne sont bonnes actuellement et cela permet cette semaine à l’agence brésilienne Safras et Mercado de prévoir des exportations de maïs brésilien de près de 35 millions de tonnes pour la campagne en cours (par rapport à 28 millions de tonnes en 2020-2021). Même si les perspectives restent médiocres pour la récolte argentine qui a souffert de sécheresse en début de cycle, les grosses disponibilités envisagées au Brésil rassurent un peu le marché mondial, marqué, comme pour le blé, par la forte défaillance des exportations de l’Ukraine.
Pour l’Europe, il ne faut pas perdre de vue toutefois que la grosse partie du disponible exportable brésilien n’arrivera sur le marché que cet été seulement. L’approvisionnement de l’UE en maïs d’ici là va rester compliqué en l’absence de maïs ukrainien, d’autant plus que les importateurs doivent veiller à la qualité des maïs importés (OGM ou non, certifiés ou non pour l’éthanol…).
Dans ce contexte, les décisions de la Commission européenne visant à renforcer la sécurité alimentaire mondiale et à soutenir les agriculteurs et les consommateurs de l’Union européenne (UE) étaient très attendues. Parmi ces décisions, celles qui concernent le relâchement de certaines exigences en matière de qualité des produits importés pour les aliments pour animaux vont sans doute permettre à l’Espagne d’importer du maïs argentin même si ce dernier ne respecte les normes sanitaires européennes.
Parmi ces décisions aussi, l’on trouve la dérogation exceptionnelle et temporaire pour permettre la production de toute culture sur des terres en jachère, en 2022. Selon le commissaire européen à l’Agriculture, la surface de l’Union européenne à 27 potentiellement mobilisable (jachères et cultures fixatrices d’azote) pour les cultures de printemps de la récolte de 2022 s’élèverait à environ 4 millions d’hectares, principalement localisés en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne (70 % du total).
L’impact de cette décision, qui arrive tardivement par rapport aux décisions d’assolement, est difficile à quantifier en termes de gains de surfaces et de production pour la campagne en cours. Tous les agriculteurs n’auront pas la possibilité de modifier à la volée leurs stratégies d’assolement, raisonnées bien en amont. Dans un contexte de prix élevés pour les intrants, notamment fertilisation et carburant, la décision de remettre en cultures des terres laissées en jachères devrait être bien raisonnée.
À l’échelle de l’UE 27, nous pensons qu’une augmentation de l’ordre de 300 000 à 400 000 hectares des surfaces cultivées serait réalisable ce printemps. Ce chiffre, en raison de sa forte incertitude, sera évidemment à affiner à mesure que les semis avanceront. En posant l’hypothèse que les États membres autoriseront bien toutes les cultures à être cultivées sur les jachères, nous pensons que parmi les cultures de printemps, le tournesol et le maïs, sont celles ayant le plus de marge de progression en termes de surface.
Les prix de l’orge suivent ceux du blé
Le prix de l’orge gagne 9 €/t cette semaine rendu Rouen (base juillet). Sur le marché mondial, les orges australiennes se renchérissent de 2 $/t. Le marché des orges est moins affecté que celui du blé ou du maïs par la situation de l’Ukraine qui avait quasi terminé sa campagne d’exportation au début de la guerre.
Les prix brassicoles restent stables, à 420 €/t (base juillet) pour les orges de printemps Fob Creil.
Le prix du colza continue de grimper
Les cours de l’ancienne récolte de colza n’en finissent pas de monter, portés par un déficit extrêmement prononcé en huiles végétales dans l’UE, particulièrement en huiles destinées à l’alimentation humaine. Le manque d’huile de tournesol entraîne un report des achats sur les autres huiles, dont l’huile de colza en priorité. Cela entraîne un fort intérêt des triturateurs pour le colza.
Les stocks disponibles en colza de l’ancienne récolte étant au plus bas, les prix négociés, pour les quelques volumes restants, se font à des niveaux astronomiques. Le prix du colza rendu Rouen et Fob Moselle a ainsi progressé de presque 50 €/t en une semaine, à respectivement 987,5 €/t et 997,5 €/t. La barre des 1 000 €/t a même été franchie le 22 mars, à la suite d’une flambée du cours du pétrole, qui a progressé à presque 115 $ le baril sur le marché de New York (avant de redescendre légèrement sur la fin de la semaine). Ainsi, mercredi, les colzas en France ont atteint des niveaux records, de 1 014 €/t en Fob Moselle et de 1 004 €/t en rendu Rouen.
L’or noir a aussi soutenu le cours du colza sur la semaine : en effet, par rapport au 17 mars, il est en hausse de plus de 9 %. La tenue de plusieurs sommets internationaux au milieu de la semaine avait fortement tiré les prix à la hausse. Ils portaient sur l’éventualité d’un boycott du pétrole russe des pays de l’UE et de l’Otan. Ces rendez-vous n’ayant pas abouti à un consensus, les prix du pétrole ont finalement diminué entre le 22 et le 24 mars 2022. La hausse du cours du pétrole sur la semaine a résulté aussi du ralentissement des ventes de pétrole russe, en raison des sanctions économiques touchant la Russie. Le retrait de l’accès au système de paiement international Swift de plusieurs banques russes affecte en effet les volumes achetés à la Russie. Sur le long terme, l’offre mondiale va en pâtir.
À noter que l’Union européenne a annoncé dans son plan décrit le mercredi 23 mars 2022 vouloir soutenir les pays qui prendraient la décision de réduire momentanément les obligations d’incorporation de biocarburants. Ce feu vert de la Commission pourrait conduire à des décisions des États Membres, dans les jours ou semaines à venir, de limiter la consommation obligatoire de biodiesel et de bioéthanol dans les transports. Cela réduirait les besoins industriels d’huiles et de céréales de l’UE. Si de telles décisions sont prises par de grands pays consommateurs, cela serait de nature à faire un peu baisser les prix du colza.
Des prix du tournesol très volatils
La très faible disponibilité en huile de tournesol en Europe a entraîné une forte hausse des marges de trituration du tournesol. Les volumes disponibles sont donc très convoités. Les prix du tournesol restent, comme la semaine dernière, à des niveaux records. Le prix est toujours de 1 000 €/t pour le tournesol oléique à Saint-Nazaire au 24 mars 2022 (il a toutefois chuté de 70 €/t le 23 mars, avant de remonter).
Les tournesols de la nouvelle récolte sont également échangés à des prix élevés, bien que moins hauts par rapport aux prix de l’ancienne récolte. Les prix rapportés sont autour de 840 €/t pour le tournesol à Saint-Nazaire, soit en hausse de 5 €/t sur la semaine. Sur le début de la prochaine campagne, le déficit en huiles végétales dans l’UE devrait être encore important, puisque le conflit en Ukraine devrait avoir un impact sur la production et les exportations du pays pendant plusieurs mois.
Même si une chaîne de transport logistique par trains et camions-citernes s’organise, avec beaucoup de difficultés, via la frontière polonaise vers les ports bulgares, les volumes concernés resteront très limités. Seul un arrêt du conflit serait de nature à soulager le déficit européen en huile. L’incertitude sur la durée des combats participe à la montée des prix sur la nouvelle campagne.
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Le prix du soja augmente un peu
La demande en huile desoja est aussi soutenue par le manque d’huile de tournesol, principalement pour les usages industriels. Les tourteaux de soja bénéficient aussi d’un bon courant de demande à l’échelle mondiale, étant donné que les volumes de tourteau de tournesol exportés au départ de la mer Noire se sont effondrés. Les prix du soja continuent donc de monter, à la suite des cours des huiles et tourteaux de soja.
Le soja US gagne ainsi 12 $/t en une semaine sur l’échéance de mai 2022, et presque 10 $/t sur septembre 2022.
La récolte brésilienne est désormais avancée à 70 %, et les premiers champs commencent à être récoltés en Argentine. La météo des dernières semaines a été plutôt favorable au soja argentin, après que ce dernier a subi une longue période de sec. Aux États-Unis, les semis devraient débuter d’ici à quelques semaines.
Le tourteau de soja toujours très cher
À Montoir, les prix sont en léger recul sur la semaine (–6 €/t), les niveaux élevés des cours ayant temporairement freiné l’intérêt des fabricants d’aliments pour cette matière. Toutefois, le prix du tourteau de soja reste très élevé, à 596 €/t sur des livraisons rapprochées, à peine en dessous des records des semaines passées.
Au départ de l’Argentine, le tourteau de soja a vu son prix monter de 7 $/t sur mai 2022, et de presque 30 $/t sur septembre 2022 en une semaine. La demande mondiale est forte, en raison des larges volumes de blé et maïs actuellement bloqués à l’intérieur du territoire ukrainien. Le conflit se prolongeant, les échéances éloignées commencent elle aussi à monter, portées par des achats de couverture des fabricants qui cherchent à sécuriser leurs approvisionnements.
Les tourteaux et les cultures protéagineuses sont ainsi fortement sollicités pour couvrir les besoins des animaux. Le pois fourrager départ Marne voit son prix augmenter de 7,5 €/t sur la semaine à 397,5 €/t.
À suivre : conflit en Ukraine, performance de l’Inde à l’exportation, évolution des exportations russes, prix du pétrole, climat en Europe (colza), semis de printemps en Europe et mer Noire, récoltes de soja en Amérique du Sud, politiques biocarburants des pays tels que l’UE, les USA, le Brésil, l’Argentine ; contexte sanitaire mondial.