L’invasion de l’Ukraine par la Russie pousse presque tous les prix vers le haut, céréales et huiles végétales en tête, mais les cours connaissent des rebonds au jour le jour.
Explosion des prix du blé puis affaissement
Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie hier, la pression retombe légèrement aujourd’hui et cela succède à la panique généralisée hier qui a touché les marchés boursiers, financiers, ceux de l’énergie et des grains aussi .
L’échéance mai 2022 d’Euronext est grimpée jusqu’à 341,75 €/t hier dans la journée avant de clôturer à 315 €/t : c’était la plus forte variation au sein d’une journée jamais observée et une hausse finalement de 21 €/t par rapport à la clôture du 23 février. Aujourd’hui 25 février, en milieu d’après-midi, cette échéance a reperdu 18 €/t depuis hier soir, à 296,5 €/t. Malgré cet affaissement, le blé reste plus cher de 20 €/t sur Euronext par rapport à son niveau de la semaine dernière. Sur le marché physique, difficile d’avoir une idée claire cet après-midi : hier 24 février, les prix ont grimpé à 310 €/t rendu Rouen (+49 €/t par rapport à la semaine dernière) mais ils rechutent aussi de 23 €/t à 287 €/t en base juillet aujourd’hui dans le sillage d’Euronext et de Chicago alors que les opérateurs essaient de juger la situation et d’estimer la conséquence de la guerre sur les flux.
En raison de l’invasion, les ports ukrainiens de la mer Noire sont fermés mais les ports russes et bulgares fonctionnent aujourd’hui. La circulation est arrêtée en revanche en mer d’Azov, même pour les bateaux russes. Un bateau de Cargill, selon Reuters, a été touché par un projectile sur la mer Noire, sans dégâts semble-t-il.
Des quantités de blé encore importantes à exporter de Russie et d’Ukraine
Par rapport au potentiel d’exportations de l’Ukraine cette campagne, nous estimons qu’il restait environ 5 millions de tonnes de blé à charger au départ de ce pays au 24 février (par rapport à un total de 24 millions de tonnes de blé prévues pour être exportées sur l’ensemble de la campagne). Une partie de ces volumes devront être fournis par d’autres exportateurs et l’ampleur de la substitution dépendra évidemment du temps que le conflit va durer. Du côté russe il reste environ 9 millions de tonnes à charger sur un total de campagne attendu entre 31 à 33 millions de tonnes. Même si les ports russes de la mer Noire fonctionnent, la situation va toutefois aussi affecter les ventes russes : peu d’opérateurs vont vouloir prendre le risque de traiter avec la Russie et il n’est pas certains que tous les contrats déjà passés soient honorés. Ce sont donc de gros volumes de blé qui vont devoir changer d’origine, alors que les disponibilités mobilisables sont très faibles en Amérique du Nord, limitées par des certificats en Argentine et modérées dans l’Union européenne où seul le bilan français est encore bien excédentaire. L’Australie peut encore approvisionner le monde avec de gros volumes et l’Inde aussi mais ces pays seront ils logistiquement capables de remplacer tout ce qui pourrait manquer de la mer Noire ?
Face à cette situation, l’Égypte a annulé un appel d’offres hier après avoir reçu une seule offre, française, à presque 400 $/t Fob. Le Liban, lui, très dépendant du blé ukrainien, annonce aujourd’hui être en discussion avec l’Inde surtout mais aussi la France, les USA et d’autres pays européens.
Les prix français de l’orge atteignent un record
Le prix de l’orge fourragère rendu Rouen a atteint un niveau record hier soir, à 301,5 €/t, soit pas moins de 45,5 €/t de plus que la semaine dernière, où les marchés espéraient encore un apaisement des tensions entre la Russie et l’Ukraine. La reconnaissance par Vladimir Poutine de l’indépendance des régions séparatistes de Louhansk et Donetsk a marqué une première progression des prix mardi, avant leur ascension spectaculaire observée jeudi (soit un gain de 23 €/t d’un jour sur l’autre). En prix Fob Rouen base juillet, l’orge fourragère a gagné 45,5 $/t à 347,74 $/t, niveau également inédit. L’orge a suivi l’impulsion du blé et du maïs dans une moindre mesure, dont la progression a pulvérisé les records.
Les prix australiens ont eux aussi nettement augmenté, mais plus modérément, poursuivant leur progression de la semaine dernière à 285 $/t, soit 10 $/t de plus que la semaine précédente.
Sur les marchés à terme ce matin, les prix du blé perdaient cependant nettement du terrain et les prix physiques de l’orge feront sans doute de même aujourd’hui.
À ce jour, les exportations d’orge de l’Ukraine sont déjà largement engagées ; les seuls volumes restant à exporter d’après nos prévisions concernant la destination Chine. La situation est différente pour la Russie, qui devait encore exporter des volumes d’orge en direction du Moyen-Orient. Si la navigation des bateaux russes depuis les ports de la mer Noire devait être amenée à être bloquée pour un long moment (ce qui n’est pas le cas pour le moment au contraire de la situation en Ukraine où les ports sont fermés), les marchés mondiaux de l’orge pourraient connaître certains bouleversements ; toutefois, étant donné le peu qui reste à charger au départ de l’Ukraine, les échanges mondiaux d’orge devraient a priori moins pâtir de la situation que ceux des autres céréales.
Le marché des orges brassicoles est resté assez indifférent à la situation en mer Noire : l’orge d’hiver Fob Creil a perdu 15 €/t cette semaine, alors que l’orge de printemps s’est renchérie de 3 €/t ; l’influence des inquiétudes concernant la prochaine récolte d’orge de printemps en Espagne se fait déjà sentir, tandis que les conditions de culture de l’orge d’hiver française récolte 2022 s’affichent à un niveau particulièrement satisfaisant pour le moment (d’après le rapport Céré’Obs).
Les prix du maïs flambent aussi
L’échéance mars d’Euronext en maïs a clôturé à 280 €/t hier soir, en hausse de 26 €/t sur une semaine, poussée comme le blé par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Néanmoins, le fait marquant aujourd’hui est la déconnexion du maïs par rapport au blé : alors que le blé est en train de perdre cette après-midi plus de 25 €/t par rapport à sa clôture d’hier soir, le maïs ne perd que 6,5 €/t sur l’échéance juin 2022 et gagne même encore 9,5 €/t à l’heure d’écrire ces lignes pour l’échéance mars.
Sur le marché physique, après une nette montée hier, les valeurs se stabilisent aujourd’hui, aux alentours de 297 €/t Fob Rhin en base juillet, soit +32 €/t sur la semaine.
L’annonce de pluies bénéfiques dans les prochains jours en Amérique du Sud a pesé cette semaine sur les prix du maïs avant la forte hausse suscitée par la guerre en mer Noire. En revanche, l’USDA, dans sa conférence annuelle sur les perspectives à moyen terme cette semaine, a publié une première estimation des ensemencements de maïs aux USA en baisse par rapport à l’an dernier, au profit du soja, à cause notamment du coût des engrais. Cela pourrait conduire à un affaissement de la production de maïs US pour la récolte 2022.
Mais, au-delà de cette annonce, c’est surtout la situation en mer Noire qui dirige les prix. Il était prévu que l’Ukraine assure presque 20 % des exportations mondiales de maïs, soit environ 33 millions de tonnes. Elle en a réalisé 20 millions de tonnes actuellement depuis le 1 er octobre. Il lui reste donc plus de 10 millions de tonnes à exporter avant la fin septembre soit un tiers de son programme annuel. Si une partie de ces sorties ne peuvent avoir lieu, l’impact sera très important sur les autres origines exportatrices et les importations de l’UE, grosse consommatrice de maïs ukrainien, seront mises partiellement en péril.
Les prix du soja frôlent les records historiques de 2012 à Chicago
Les cours du soja progressent encore cette semaine. La séance d’hier était marquée par une grande agitation sur les cours en raison de l’invasion russe en Ukraine : à Chicago, sur le rapproché, le cours a évolué entre 608 et 649 $/t le 24 février, et a clôturé à 610 $/t. Le record de 659 $/t de 2012 n’a pas encore été battu.
Par rapport à la semaine dernière, à Chicago, la tonne de soja a gagné 26 $/t sur le rapproché, et 23 $/t sur l’échéance juillet. Le prix du soja Fob Brésil gagne 37 $/t sur le rapproché (à 667 $/t) et 31 $/t sur juillet. L’évolution de la situation en Ukraine est très difficile à prévoir. Le fonctionnement des usines de trituration et des ports est fortement perturbé, voire totalement arrêté. Cela pousse de nombreux opérateurs à chercher des alternatives aux huiles, graines et tourteaux ukrainiens : toutes les origines et produits hors d’Ukraine en bénéficient, comme les huiles de soja au départ de l’Amérique du Sud. Leurs prix ont augmenté d’un peu plus de 2 % en une semaine.
Au Brésil, environ 40 % de la récolte est réalisée, dont 70 % au Mato Grosso, 75 % au Goias, 25 % au Paraná. Le fort contraste d’humidité entre régions centrales et régions du Sud du Brésil va enfin commencer à se résorber, après plus de deux mois d’excès hydrique au Nord et de déficit au Sud. En effet, de fortes précipitations devraient tomber sur les bassins de production sud-brésiliens et argentins. Sur les dix prochains jours, il est attendu 75 à 150 millimètres, soit entre 150 et 250 % des volumes habituels en cette saison. Ces précipitations, à condition qu’elles ne soient pas trop excessives, devraient permettre une amélioration de l’état des cultures argentines, dans la mesure où celles-ci se trouvent encore en plein stade de maturation (68 % de la surface est en remplissage de gousses selon la note hebdomadaire de la Bolsa de Cereales de Buenos Aires, publiée le 24 février). Une stabilisation de l’état des cultures sud-américaines serait bienvenue, après des mois de décembre, janvier et février très secs qui ont entraîné des pertes de soja de 30 millions de tonnes au moins en Amérique du Sud. Le bilan mondial de soja s’annonce particulièrement tendu sur cette campagne.
Légère hausse du tourteau de soja
Le prix du tourteau de soja augmente moins que celui du soja, la demande en tourteau de soja étant modérée par la mauvaise santé économique des élevages porcins. A Chicago, sur le rapproché, il progresse de 17 $/t (à 513 $/t). À Montoir, la progression est de 8 €/t sur le rapproché (à 540 €/t). Le prix du tourteau se rapproche de plus en plus des records de 2012, où la tonne s’était échangée à près de 555 €. L’approvisionnement du marché européen en tourteaux de tournesol de la mer Noire pourrait être encore fortement perturbé sur les prochaines semaines ou mois en raison de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Cela pourrait maintenir les prix des tourteaux européens à des niveaux élevés.
Forte hausse des prix du colza en France
L’invasion et les bombardements de l’Ukraine par la Russie engendrent des perturbations sur l’activité commerciale, avec notamment des arrêts de chargements dans les ports, mais également des arrêts d’usines de trituration ; tout cela affecte les achats de graines et d’huile de tournesol et se reporte sur le prix du colza. En effet, des acheteurs indiens ont été obligés de se tourner vers l’huile de palme et l’huile de soja en raison de volumes importants d’huile de tournesol ukrainienne bloqués dans les ports. Ces incertitudes quant aux échanges au départ de la mer Noire tirent les prix vers le haut, les pays importateurs devant se tourner vers d’autres matières, telles que l’huile de palme, de soja et de colza. Ainsi, même si le programme d’exportation de colza et d’huile de colza ukrainien est presque totalement réalisé pour 2021/22, les prix du colza sont affectés par la guerre en raison d’un regain de demande dans l’UE et ailleurs pour le colza et l’huile de colza. Cette dernière a vu son prix flamber cette semaine.
Les prix des huiles sont également tirés par la hausse des prix du pétrole. En effet, la crise géopolitique affecte les livraisons russes d’énergie à l’Europe. Cette semaine, les cours du colza en France ont en conséquence fortement grimpé. Le prix du colza à Rouen a augmenté de 68 €/t (à 781 €/t), et celui en Fob Moselle a progressé de 69 €/t, à 785 €/t et renoue avec les records de début janvier. De même, les cotations sur Euronext se sont renchéries, de 68 €/t sur mai 2022, et d’environ 50 €/t sur les échéances en nouvelle campagne (août et novembre 2022).
Les prix sont d’autant plus volatils que la perturbation des expéditions au départ de la mer Noire intervient dans une situation déjà tendue du complexe oléagineux. À la suite de pertes sur les productions de colza (sécheresse au Canada), de soja (sécheresse sud-américaine) et d’huile de palme (inondations, problématiques de main-d’œuvre et l’utilisation moindre d’intrants en raison de coûts élevés), les prix mondiaux et européens du colza étaient déjà à des niveaux élevés avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
La crise ukrainienne fait flamber le complexe tournesol
L’invasion russe de l’Ukraine et la forte perturbation de l’activité portuaire dans ce pays a ainsi fait bondir les cours du pétrole et des huiles végétales. Ces derniers ont entraîné dans leur sillage les prix du tournesol. Le cours de l’huile de tournesol à Rotterdam a grimpé à 1650 $/t, en hausse de 200 $/t sur une semaine. En effet, les exportations de l’Ukraine (principal fournisseur du monde et de l’UE en huile de tournesol) devraient d’être fortement perturbées, voire arrêtées sur les prochains mois. Ainsi, le marché européen d’huile de tournesol, qui était déjà déficitaire, risque de se tendre davantage. Sur la scène mondiale, une partie de la demande en huile de tournesol pourrait se reporter sur les autres huiles concurrentes. Mais cette substitution ne sera pas évidente si cette crise dure dans le temps, puisque les disponibilités des autres huiles sont relativement faibles cette année. Dans ce contexte tendu, les prix français de tournesol ont fortement augmenté. À Saint Nazaire, le prix du tournesol standard gagne 30 €/t à 635 €/t en ancienne récolte et 55 €/t à 600 €/t pour la récolte 2022.
À suivre : conflit entre la Russie et l’Ukraine, sa durée, ses conséquences sur les prix de l’énergie et les exportations de la mer Noire et les reports nécessaires vers d’autres origines, météo en Amérique du Sud (et maïs), conditions climatiques en Europe du Sud, prix du pétrole