Le conflit en mer Noire et les conséquences de la sécheresse en Amérique du Sud soutiennent les prix céréaliers et ceux du soja. Le colza, au contraire, pâtit d’un ralentissement de sa demande
Remontée timide des prix du blé français
Cette semaine, les prix du blé français ont très légèrement augmenté sur le marché physique (+2 €/t rendu Rouen, à 259,25 €/t en base juillet), tandis que l’échéance de mars d’Euronext est en hausse au milieu de l’après-midi de presque 2 €/t, à 267,25 €/t, par rapport à sa clôture de vendredi dernier. Les cotations ont d’abord baissé sur Euronext presque toute la semaine avant de rebondir aujourd’hui en raison des inquiétudes découlant de la situation dans la zone de la mer Noire. Le déplacement du président de la République Emmanuel Macron à Moscou puis à Kiev avait été perçu comme un potentiel signe d’apaisement, mais, depuis, la Russie réalise des exercices militaires conjointement avec la Biélorussie le long de la frontière ukrainienne. Elle a prévu aussi des manœuvres navales dans les eaux des mers Noire et d’Azov ; cela pourrait perturber la navigation dans ces eaux selon les autorités ukrainiennes (de source Reuters) même si les opérateurs espèrent que les navires marchands pourront circuler. Le contexte est extrêmement fébrile ; il fait grimper les prix français aujourd’hui mais les prix des blés de la mer Noire baissent (–6 à 7 $/t sur la semaine) à cause des tensions dans la région qui pourraient faire chuter les expéditions ukrainiennes.
Cette semaine a été marquée aussi par la publication de l’estimation de surface de blé d’Agreste (ministère de l’Agriculture) qui annonce une baisse de 4,3 % de la surface semée en blé par rapport à 2021, à 4,75 millions d’hectares (à un niveau inférieur à la moyenne quinquennale). Cette baisse significative est surprenante au regard des prix élevés du blé cette année, même si une partie de ces surfaces semble bénéficier à l’orge et surtout au colza. Nous avions prévu une érosion des surfaces de blé (–1 %), mais pas une baisse aussi importante. Si une telle baisse de surface se confirme, et malgré un rendement prévisionnel 2022 supérieur à celui de 2021, la production de blé dans l’Hexagone pourrait diminuer par rapport à celle de 2021.
Inquiétudes persistantes aux USA et réactions africaines aux prix élevés
Outre Atlantique les prix du blé ont nettement progressé pour le SRW et le HRW (entre 8 et 11 $/t) en raison de la situation en mer Noire mais aussi des inquiétudes agronomiques persistantes sur les zones de production du blé d’hiver aux USA. Le manque de précipitations est toujours manifeste avec un cumul inférieur à la moyenne sur les États du Texas, de l’Oklahoma et du Kansas. À ce stade du cycle, plus d’un quart des blés d’hiver sont classés dans un état mauvais à très mauvais.
Ces différents éléments ont participé au renchérissement des prix US au cours de la semaine écoulée, alors même que le rapport mensuel du ministère de l’agriculture américain a révisé à la hausse la prévision de stocks US pour la campagne en cours.
Au Canada, l’organisme de la statistique StatCan a publié son estimation des stocks au 31 décembre et ces derniers sont au plus bas depuis 2007. Cette situation était attendue par le marché, compte-tenu du niveau désastreux de la récolte canadienne en 2021.
Ailleurs dans le monde, on notera l’arrêt des ventes de farine par les meuniers au Cameroun. Ces derniers se plaignent du prix trop élevé du blé et demandent à être aidés par les autorités. Ailleurs en Afrique, le Gasc égyptien (agence étatique responsable des importations) est en train de réduire ses achats de blé sur le marché mondial par rapport à l’an passé. Le suivi des achats de ce pays le montre et cette situation est maintenant reconnue par l’industrie. Le secteur privé prend le relais pour les importations sans compenser toutefois la chute des achats publics. Deux situations à suivre de près en tant qu’illustrations des conséquences qui peuvent être entraînées par les prix élevés.
Orge : légère hausse des prix français
Cette semaine, le prix de l’orge fourragère rendu Rouen a gagné 2,5 €/t, à 244 €/t (base : juillet). Les évolutions du prix de l’orge française restent fortement dépendantes des cours du blé et du maïs, et spécialement des fluctuations du contrat blé sur les marchés à terme. En effet, les tensions entre l’Ukraine et la Russie ont continué de diriger les cours cette semaine, à la baisse au début de la semaine, puis à la hausse aujourd’hui avec les manœuvres navales prévues par la Russie au large des côtes ukrainiennes la semaine prochaine (même si ces manœuvres sont censées ne pas perturber le commerce des grains). La Chine s’approvisionne à présent auprès de l’Argentine, beaucoup plus compétitive, mais la probabilité qu’elle se tourne à nouveau vers l’origine française en fin de campagne empêche une baisse trop prononcée des cours.
Sur les marchés internationaux, malgré une légère progression de 3,3 $/t, l’orge française maintient la compétitivité gagnée la semaine dernière face aux prix de la mer Noire, 1 $/t sous l’origine russe et pas moins de 3 $/t sous l’origine ukrainienne. Cela lui a permis de bénéficier de la demande maghrébine (en particulier tunisienne) et d’un regain de demande turque. Cependant, elle reste toujours moins compétitive que l’origine australienne (22,5 $/t de différence) malgré la progression des prix de celle-ci cette semaine.
Les prix brassicoles continuent leur correction baissière, après avoir atteint des niveaux de primes colossaux. Les acheteurs brillent par leur absence sur le début de cette année.
Prix mondiaux du maïs en hausse
Les prix ont grimpé cette semaine sur le marché mondial du maïs à cause des dégradations de récolte en Amérique du Sud. En Argentine, la Bourse de Buenos Aires vient de couper de 7 millions de tonnes son estimation de la récolte (à 51 millions de tonnes). Dans notre publication Stratégie Grains du 10 février 2022, nous avons réduit cette récolte argentine de 1,4 à 49,7 millions de tonnes. Du côté brésilien, les estimations sont revues à la baisse aussi : nous prévoyons la récolte à 113,2 millions de tonnes (–2 millions par rapport à janvier) tandis que l’USDA l’a réduite à 114 millions de tonnes dans son rapport mondial de mercredi dernier et que la Conab (ministère de l’Agriculture brésilien) la prévoit maintenant à 112,3 millions de tonnes. Ces deux pays vont produire nettement plus que l’an dernier mais moins que cela aurait pu être possible sans la sécheresse des derniers mois.
Ces dégradations se produisent dans un contexte de fragilité : les stocks mondiaux du maïs sont descendus très bas à la fin de l’été dernier. Bien que les perspectives des stocks mondiaux remontent cette année, avec des besoins un peu moins élevés en Chine et une meilleure récolte engrangée cet automne aux USA, le marché reste en alerte. Le conflit en mer Noire qui pourrait faire chuter les exportations ukrainiennes (l’Ukraine étant un exportateur de taille sur le marché mondial du maïs), et les déboires sud-américains soutiennent donc les prix ces derniers jours sur le continent américain.
En France, cette tendance se reporte sur les prix Fob Rhin qui gagnent 5 €/t cette semaine à 261 €/t (base : juillet) mais n’affecte pas pour l’instant les prix de la façade atlantique, qui baissent au contraire (–3 €/t Fob Bordeaux), en partie pour refléter un bilan français qui a perdu de la demande au profit du blé en alimentation animale ces dernières semaines.
L’inquiétude persiste sur l’offre de soja sud-américaine, les prix progressent encore
Les cours du soja augmentent de nouveau cette semaine en raison des cultures sud-américaines toujours fragilisées par les conditions climatiques. Sur le rapproché et sur l’échéance de juillet, à Chicago, le prix progresse de 11 $/t et atteint 578 $/t, proche du pic de l’été dernier. Au Brésil, le prix Fob poursuit sa progression : il gagne 10 $/t sur le rapproché (626 $/t) et 13 $/t sur juillet (à 627 $/t). Ces niveaux n’ont pas été atteints depuis 2012.
Les différents observateurs poursuivent la révision en baisse de leurs prévisions : tandis que l’USDA revoyait mercredi en baisse de 5 millions de tonnes la production au Brésil et de 1,5 million de tonnes celle de l’Argentine, la Conab abaissait jeudi sa prévision de 15 millions de tonnes par rapport au mois dernier ! Ces deux sources se positionnent aux opposés du panel d’observateurs quant à la production brésilienne, avec une vision optimiste pour l’USDA à 134 millions de tonnes et pessimiste pour la Conab à 125 millions de tonnes. La révision drastique de la Conab est due principalement à des révisions en baisse au Paraná et au Rio Grande do Sul, où les niveaux de production chuteraient de 35 % par rapport à la récolte de 2021. Au Mato Grosso, la récolte est avancée à 46 %, malgré l’humidité qui pose toujours quelques problèmes ; une récolte record y est toujours attendue (+7 % par rapport au record de l’année dernière) mais avec des qualités de fèves par endroits affectées par l’humidité.
Précédé des régions centrales, le Paraná approche à son tour de la fin du cycle de développement, avec 15 % de la surface récoltée, et 55 % en remplissage des gousses. Il est suivi par le Rio Grande do Sul.
En Argentine, l’état des cultures s’est amélioré depuis la mi-janvier, et 46 % des parcelles sont en remplissage de gousses. Néanmoins, les prévisions météorologiques laissent craindre des précipitations insuffisantes, à moins de 50 % des volumes habituels sur les 10 prochains jours. Le centre et le nord du pays sont plus à risque que le sud, où l’humidité des sols est meilleure. Une nouvelle vague de stress hydrique aurait un sérieux impact, alors que le stade physiologique des plants les rend particulièrement vulnérables. Les précipitations des prochains jours s’avèrent donc cruciales. La situation est similaire au sud du Brésil et en Uruguay : faible humidité des sols, et précipitations prévues de moitié inférieures par rapport à la normale dans les prochains jours.
Nouvelle progression des prix du tourteau de soja
Les prix du tourteau de soja poursuivent leur ascension, alimentée par les révisions en baisse de la disponibilité en soja en Amérique du Sud. Sur le rapproché, la tonne de tourteau progresse de 17 $/t à Chicago (à 501 $/t), de 21 €/t à Montoir (à 534 €/t), et de 25 $/t sur le Fob argentin (à 505 $/t).
Chez les principaux triturateurs, les statistiques du premier trimestre octobre-décembre sont disponibles. Il en ressort que les très bons niveaux des marges de trituration, en place depuis la fin de l’été, ont permis aux USA et au Brésil de battre leur record de trituration (à 15 et 12 millions de tonnes respectivement). Les cadences argentines sont correctes ; la Chine et l’Union européenne rattrapent le retard qui avait été accumulé depuis la fin de l’été.
Le prix du pois reste élevé
Malgré la hausse des cours du tourteau de soja, le prix du pois fourrager cède 3 €/t cette semaine à 332 €/t départ Marne, à la suite de la baisse du blé fourrager au début de la semaine (ce dernier est remonté depuis). Le pois se situe au-dessus du prix théorique où il concurrence le blé et les tourteaux dans les rations. Malgré le fait que le pois soit trop cher pour être très attractif en alimentation animale, son prix ne devrait pas baisser beaucoup sur les prochains mois en raison de la faible disponibilité mondiale mais aussi de la tension sur les marchés du soja et du tourteau de soja.
Colza : les prix baissent avec la demande
La consommation d’huile de colza devrait bientôt entamer une baisse saisonnière avec la sortie d’hiver, qui sonne le glas du pic de consommation de l’industrie du biodiesel. Les opérateurs sont déjà bien couverts pour leurs besoins jusqu’à la fin de l’hiver, aussi, le prix de l’huile de colza a-t-il chuté de 90 €/t en une semaine à Rotterdam. Cette plus faible demande en huile limite l’intérêt d’acheter des graines de colza pour les triturateurs, ce qui pèse sur les prix. Par ailleurs, la clôture de l’échéance février du colza sur le marché à terme d’Euronext a été marquée par un volume de livraisons physiques records dans les silos conventionnés. Cela a rassuré les opérateurs quant aux quantités de colza encore disponibles sur le marché. Elles sont tout de même en recul par rapport à l’an passé : à la fin de décembre 2021, les stocks en France étaient de 1,2 million de tonnes, ce qui est inférieur de 4 % aux stocks de la fin de décembre 2020.
Un autre élément baissier a pesé sur les prix cette semaine : les estimations officielles de surface pour la prochaine récolte ont été revues en hausse. La surface de colza serait de 1,16 million d’hectares (en hausse de 18 % par rapport à l’an passé, soit +60 000 ha par rapport aux estimations de décembre).
Enfin, les conditions climatiques continuent d’être plutôt favorables pour les cultures d’hiver, et notamment pour les colzas, dans l’ensemble de l’Europe. Cela conforte nos prévisions de forte hausse de la production européenne de colza en 2022 par rapport à l’an passé. Ainsi, le prix du colza (récolte de 2021) rendu Rouen a reculé de presque 20 €/t en une semaine (à 703,5 €/t) et le prix Fob Moselle a diminué de 22,5 €/t, à 699,5 €/t.
À noter toutefois que l’échéance d’août 2022 sur le Matif a progressé de presque 9 €/t cette semaine, entraînée à la hausse par la tension attendue sur l’été pour le marché mondial du soja. Les fortes pertes enregistrées en Amérique du Sud sur les dernières semaines devraient en effet fortement limiter les disponibilités sur la fin de campagne pour le soja (août-septembre).
Tournesol : stabilité en France, hausse en mer Noire
Les prix du tournesol français sont restés stables depuis la semaine dernière (à 610 €/t pour la qualité standard et 640 €/t pour le tournesol oléique). Le marché apparaît maintenant bien équilibré avec une offre abondante assurée par le retour à la vente des producteurs. En outre, la demande en graine des triturateurs est assez soutenue grâce à des marges industrielles rentables.
En mer Noire, le prix Fob moyen (Ukraine, Roumanie, Bulgarie) a poursuivi sa hausse (+15 $/t, à 697,5 $/t), soutenu cette fois par une reprise de la demande à l’exportation au départ de la Bulgarie et de la Roumanie surtout. Un quota d’exportation de 50 000 tonnes de tournesol ukrainien sans droits de douane a été accordé par l’Ukraine à la Turquie dans le cadre d’un accord de libre-échange entre les deux pays. Sur la campagne de 2020-2021, les opérateurs turcs ont importé 58 000 tonnes de tournesol ukrainien. Jusqu’ici, sur la campagne en cours, la Turquie a déjà importé 20 000 tonnes seulement et 50 000 tonnes devraient être importées entre janvier et juillet 2022. Ces volumes étaient déjà prévus avant que le quota ne soit accordé. Cela ne devrait donc pas affecter le marché ukrainien ; ce dernier apparaît assez lourd en 2021-22, avec des stocks historiquement élevés prévus en fin de campagne en raison du très faible rythme de trituration sur le début de campagne.
À suivre : conflit diplomatique entre la Russie et l’Ouest et ses éventuelles conséquences sur les exportations de la mer Noire, évolution de l’euro, récolte de maïs en Amérique du Sud, météo en Amérique du Sud (soja), conditions climatiques en Europe et mer Noire (céréales, colza), prix du pétrole, demande en huiles des pays émergents, politique biocarburants des USA.