Explosion des prix oléagineux cette semaine à la suite de l’huile de tournesol et du palme. En céréales, la hausse persiste, mais de manière plus modérée.
Nouvelle progression des prix du blé avec l’achat algérien
Le prix du blé a clôturé à presque 400 €/t le 7 mars 2022 (396,5 €/t) pour l’échéance de mai 2022 du Matif, un record. La poursuite de la hausse des prix depuis la semaine dernière reste induite par la situation en Ukraine et les prix sur le marché physique gagnent encore 11 €/t cette semaine, à 383 €/t rendu Rouen (base : juillet).
Les prix français, comme ceux des autres origines mondiales, grimpent beaucoup pour refléter le regain de demande à l’exportation à la suite de la quasi-fermeture du marché ukrainien et du net ralentissement des exportations russes. Ces dernières vont se révéler toutefois plus élevées que prévu en mars, si l’on suit les chargements qui sont déjà engagés. Malgré tout, à cause des coûts d’assurance et des risques de défaut, à cause aussi de plusieurs opérateurs du marché russe, la Russie ne vendra pas autant qu’il était prévu sur la fin de campagne. Ce sont probablement environ 10 millions de tonnes de blé de la mer Noire qui vont devoir être remplacées par l’Australie, l’Inde, l’Amérique du Nord et l’Union européenne.
L’Algérie a acheté entre 600 000 et 700 000 tonnes de blé cette semaine. Il est fort probable qu’une large part de cet achat soit servie par des blés français avec l’acceptation par l’Algérie de poids spécifique plus bas que d’habitude. Les exportations de l’Union européenne et de la France vont donc remonter et cela soutient beaucoup les prix.
À la question de savoir où trouver la marchandise qui ne sera pas exportée par la mer Noire, viennent aussi s’ajouter, avec un effet haussier, les mesures annoncées par plusieurs pays de stopper leurs exportations : la Moldavie et la Serbie ont pris cette décision et cela va venir réduire les importations de blé de l’Union européenne. La Bulgarie, de son côté, a annoncé sa volonté de constituer une réserve de blé (proche de 1 million de tonnes). Cette mesure n’est pas compatible avec la réglementation européenne et il est peu probable qu’une telle réserve soit constituée. Néanmoins, cette annonce a été perçue comme haussière, de même que celle de la Hongrie de bloquer toutes ses exportations de céréales (mesure non compatible non plus avec les règles du marché unique). Face à la hausse des prix, y compris en Russie, ce pays a aussi menacé de bloquer ses exportations de blé.
Finalement, la Russie a annoncé jeudi 10 mars au soir qu’elle envisageait un arrêt des flux uniquement vers ses voisins de l’union d’Eurasie (Kazakhstan, Arménie, Kirghizistan, Biélorussie), pays vers lesquels il ne lui restait plus beaucoup à vendre d’ici à la fin de la campagne.
Après la hausse des prix due à l’achat algérien et les inquiétudes sur l’attitude de la Russie, les prix ont toutefois commencé à se détendre et sont en légère baisse actuellement sur Euronext, au vendredi 11 mars. La correction baissière est encouragée par la déception des opérateurs américains jeudi 10, de constater des ventes moins élevées que prévu. Par ailleurs, dans sa publication mensuelle cette semaine, l’USDA, le ministère de l’agriculture américain, n’a pas réduit fortement les exportations russes, ce qui a été perçu comme un élément baissier.
Le marché du maïs fortement marqué par l’arrêt des importations ukrainiennes
Les prix du maïs ont grimpé encore cette semaine et la palme revient au maïs Fob Rhin qui a gagné 56 €/t en une semaine à 396 €/t (base juillet). Le prix du maïs a donc grimpé plus fortement que celui du blé, ce qui s’explique par la situation très tendue dans les grandes régions importatrices de l’Union européenne. En effet, les maïs ukrainiens ne peuvent plus arriver dans l’Union européenne qui va devoir réduire de plus de 1 million de tonnes — par rapport à ce qui était prévu — ses approvisionnements en provenance des pays tiers. Cela s’explique par le manque de disponibilités alternatives, en tout cas avant l’été, tant que la nouvelle récolte brésilienne n’est pas arrivée.
À la question des disponibilités s’ajoutent aussi des questions de qualité : pour le secteur de l’éthanol, les maïs importés doivent être certifiés. Par ailleurs, à cause de raisons sanitaires, les maïs argentins ont des difficultés à entrer sur le marché européen. Une forte demande se reporte donc sur les maïs français, dans le nord de l’Union européenne en particulier.
L’orge suit aussi la hausse
La crise de la mer Noire exerce un impact plus faible sur le marché de l’orge que sur celui des autres céréales : une large part des exportations de l’Ukraine étaient déjà réalisées et l’Australie devrait permettre de remplacer l’origine russe sur les derniers mois de la campagne.
Les prix de l’orge fourragère gagnent malgré tout 8 €/t cette semaine à 364 €/t rendu Rouen (base juillet) dans un contexte mondial très tendu. Les orges fourragères ont gagné 110 €/t depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Du côté brassicole, la hausse en deux semaines atteint environ 80 €/t, à 420 €/t Fob Creil pour les orges de printemps.
Les prix du tournesol s’envolent
Le conflit en Ukraine continue de soutenir le complexe tournesol en Europe, l’Ukraine étant le principal fournisseur en huile de tournesol de l’Union européenne (en 2020-2021, 90 % des achats européens provenaient de cette origine). Les exportations de l’Ukraine sont pratiquement à l’arrêt depuis la fin de février, à l’exception de quelques petits volumes transportés par voie ferrée et par camion vers les pays limitrophes.
Ainsi, le marché européen est fortement perturbé par la crise en mer Noire. Un déficit important d’huile de tournesol est attendu sur les prochains mois. Les utilisations pour les secteurs énergétique et industriel, qui représentent moins de 15 % de la demande totale, devraient être fortement limitées en faveur de la consommation alimentaire.
Les alternatives à l’huile de tournesol seront très limitées compte tenu d’un marché européen et mondial des huiles végétales déjà très tendu. La demande en huile de tournesol ne pourrait être que partiellement substituée par les autres huiles.
Dans ce contexte, le prix de l’huile de tournesol s’est renchéri de 550 $/t, à 2 650 $/t, à Rotterdam, tirant dans son sillage le prix français de la graine (ancienne récolte). Ce dernier est en hausse de 210 €/t en une semaine, à 960 €/t pour la qualité oléique à Saint-Nazaire, un nouveau record.
En outre, les semis de tournesol en Ukraine, qui devraient se dérouler en printemps, suscitent beaucoup d’inquiétudes. Le conflit militaire et les difficultés économiques dans le pays pourraient fortement pénaliser la surface et le rendement potentiel du tournesol ukrainien. Le marché mondial du tournesol et de son huile risque ainsi de rester perturbé en nouvelle campagne. Par conséquent, le prix français nouvelle récolte gagne 150 €/t (à 800 €/t) sur une semaine.
Des prix de colza toujours plus hauts
Cette semaine les prix du colza ont de nouveau augmenté du fait des conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine, influant notamment sur les cours des huiles. L’arrêt des activités portuaires et de trituration en Ukraine et les sanctions prises à l’encontre de la Russie bouleversent les expéditions mondiales d’huile de tournesol (dont 80 % proviennent de ces pays).
Ainsi, même si quelques volumes ukrainiens continuent d’être expédiés par camion et par train vers les pays voisins, les pays importateurs cherchent des alternatives en se tournant vers l’huile de palme, de soja et de colza. Cependant, cette année, les faibles disponibilités en huiles rendent cette recherche compliquée, ce qui fait grimper tous les prix.
Cette semaine, les prix de l’huile de palme Fob Rotterdam ont de nouveau fortement augmenté (de 155 $/t) à 2 100 $/t à Rotterdam. En effet, alors que la production d’huile de palme en Malaisie est en baisse sur février, les expéditions ont bondi (afin de remplacer rapidement l’huile de tournesol). Les stocks d’huile de palme en Malaisie à la fin de février se retrouvent donc au plus bas depuis 10 mois, en raison d’une très forte demande.
Cette hausse de prix résulte également de la décision du gouvernement indonésien de limiter davantage ses exportations (les ventes obligatoires d’huile de palme sur le marché intérieur par les exportateurs ont été augmentées à 30 % du total des volumes commercialisés, contre 20 % précédemment). De même, cette semaine les cours des huiles de soja et de colza Fob Rotterdam ont fortement grimpé, de respectivement 251 $/t et 212 $/t, en raison d’une demande plus forte alors que l’offre reste limitée (les productions mondiales des graines et huiles sont perturbées par les aléas climatiques ayant touché le continent américain cette année).
Cette semaine, les prix du colza en France ont augmenté de 73 €/t, et atteignent le 10 mars 902 €/t rendu Rouen, 905 €/t en Fob Moselle et 883 €/t à l’échéance de mai sur Euronext. Les prix ont légèrement diminué entre le 9 et le 10 mars avec le petit recul du prix du pétrole, du fait de l’annonce par Poutine que la Russie assurerait toutes les livraisons d’hydrocarbures à l’ensemble de ses clients, même dans les pays ayant décidé de sanctions économiques contre elle.
Les prix du colza de la nouvelle campagne sur Euronext ont aussi augmenté de 53 €/t sur août 2022 et de 37 €/t sur novembre 2022. En effet, la production de colza prévue pour l’été 2022 en Ukraine est revue en baisse : le conflit engendre des difficultés pour les travaux des champs, les approvisionnements en intrants, mettant en danger les infrastructures routières, le matériel et les capacités de stockage.
De plus, des inquiétudes commencent à émerger quant aux prochains semis de canola au Canada. En effet, pour le moment l’humidité des sols est assez faible (notamment dans l’ouest des prairies canadiennes, dans l’Alberta surtout).
Le tourteau décolle cette semaine
Alors que jusqu’ici les prix des tourteaux de soja avaient modérément réagi au conflit armé en Ukraine, le manque d’offre en céréales et en tourteaux de tournesol au départ de la mer Noire a finalement entraîné cette semaine un fort rebond de la demande en tourteaux, ce qui a fait fortement réagir les cours.
À Montoir, le prix du tourteau de soja sur le rapproché grimpe ainsi de 63 €/t en une semaine. Son prix atteint un niveau historique de 620 €/t, et bat le précédent record de 590 €/t qui avait été atteint en juillet 2012.
Les fabricants d’aliments se tournent vers toutes les sources de protéines disponibles. La demande adressée aux triturateurs européens de soja a notamment augmenté sur le court terme pour couvrir les besoins des fabricants d’aliments composés. De plus, les ventes hebdomadaires de tourteau de soja des États-Unis ont triplé en une semaine.
Par ailleurs, les pluies ont été plutôt soutenues cette semaine dans le sud du Brésil et en Argentine, ce qui profite aux cultures de soja encore en développement. Elles freinent toutefois les travaux de récolte dans les zones où les fèves sont arrivées à maturité, et ralentissent l’affrètement de la production dans les ports et dans les usines de trituration. Cela participe aussi à la flambée des prix cette semaine. Le tourteau de soja Fob Argentine a ainsi vu son cours augmenter de plus de 70 $/t en 7 jours.
Le pois fourrager très recherché
Des affaires se sont traitées cette semaine pour le pois fourrager départ Marne à 403 €/t, un niveau encore jamais vu. Les prix ont grimpé de 18 €/t en cette semaine pour le protéagineux, là aussi sous l’effet d’une demande inédite des fabricants d’aliments, cherchant à couvrir leurs besoins sur les semaines à venir.
Augmentation modérée des prix du soja
Contrairement au reste du complexe oléagineux, les prix du soja se sont montrés relativement insensibles à la situation très tendue pour les grains et les huiles cette semaine. Les prix à Chicago ont augmenté de 8 $/t seulement pour l’échéance mars 2022 entre le 3 et le 10 mars. Ils ont certes été tirés à la hausse par la flambée des cours du tourteau, mais ont aussi été influencés par le bon approvisionnement hydrique dont bénéficient les sojas argentins et sud-brésiliens. De nombreux champs sont à des stades clefs de développement, ce qui permet d’entrevoir une amélioration du potentiel de rendement des cultures. Certes, une partie des dégâts ne sont pas rattrapables dans certaines zones de production, mais ce n’est pas le cas partout. La Bourse des grains de Buenos Aires a ainsi revu à la hausse la part des champs argentins en bon état de 5 points, à 30 % cette semaine, alors que la part des champs en mauvais état a baissé de 5 points à seulement 20 % de la surface nationale.
Par ailleurs, les exportations de soja du Brésil sont attendues à un niveau historiquement élevé de plus de 13 millions de tonnes sur le mois de mars, ce qui devrait alléger un peu la tension actuelle sur le marché des fèves. Les stocks de soja sont en effet très faibles en Chine à l’heure actuelle, en raison du retard qu’a pris la récolte brésilienne depuis l’arrivée d’un temps pluvieux sur le pays.
Au Brésil toutefois, les prix du soja ont un peu plus augmenté cette semaine (+20 $/t environ pour les prix Fob). En cause, des pluies qui retardent les récoltes ainsi qu’une nouvelle révision en baisse de l’estimation de production nationale par le Conab (ministère de l’Approvisionnement au Brésil). Elle est désormais de 122,7 millions de tonnes, en recul de 11 % par rapport à la récolte précédente. De plus, au Brésil, la demande en soja est soutenue localement par un besoin accru des triturateurs. La filière brésilienne de la volaille est en effet sollicitée par plusieurs pays pour remplacer l’Ukraine, qui exportait jusqu’ici environ 400 000 tonnes de viandes de volailles sur le marché mondial chaque année. Cette filière exprime en conséquence une hausse de ses besoins en tourteau pour les mois à venir.
À suivre : conflit en Ukraine et sa durée, sanctions contre la Russie, contexte économique mondial, réactions du secteur animal et des industries utilisatrices de grains et oléagineux à la forte hausse des prix, pluviométrie et moissons en Amérique du Sud (soja), prix du pétrole, politiques biocarburants (des États-Unis, de l’Union européenne, de l’Indonésie, du Brésil), politique commerciale de l’Indonésie pour l’huile de palme, semis de printemps (tournesol, soja, maïs) en Europe.