Les prix des céréales et des oléagineux se sont enflammés cette semaine. En cause, les entraves aux exportations en Russie et en Argentine et les révisions en baisse des récoltes de maïs en Amérique (Sud et Nord) et celles des stocks de soja aux USA.
La taxe russe fait s’envoler les prix du blé
Semaine extrêmement mouvementée sur le marché des grains et du blé en particulier !
Lundi dernier, le 11 janvier 2021, des rumeurs se sont répandues selon lesquelles la Russie réfléchissait à augmenter la taxe à l’exportation pour le blé, taxe décidée en décembre pour application au 15 février. Les supputations et hypothèses sont allées bon train puis, mercredi, le gouvernement russe a annoncé une réunion pour ce vendredi 15 janvier 2021 où serait tranchée la question. C’est chose faite.
La taxe de 25 €/t qui s’appliquera à partir du 15 février 2021 grimpera jusqu’à 50 €/t à partir du 1er mars et jusqu’à la fin de juin. Mais le gouvernement a annoncé aussi qu’une taxe (dont la formule est à déterminer) resterait aussi en place sur la prochaine campagne.
Cette décision pour la campagne de 2021-2022 reflète probablement une crainte du gouvernement russe concernant la taille de la récolte de 2021 après les pertes de surfaces de blé d’hiver à cause de conditions trop sèches au moment des semis. Elle s’inscrit aussi, comme l’accroissement de la taxe pour mars-juin 2021, dans un cadre où la Russie essaie de tout faire pour limiter la hausse des prix sur son marché intérieur.
Or, il est apparu que les premiers 25 €/t ne suffisaient pas à plafonner ces prix intérieurs. En effet, la totalité de cette taxe à venir s’est finalement reportée sur les prix Fob à l’exportation sans que les exportateurs ne parviennent à baisser leur prix d’achat et donc à faire porter la taxe aux producteurs.
Quel sera l’effet des nouvelles taxes ?
Difficile de le prévoir pour les prix intérieurs russes qui risquent de ne guère bouger, mais probablement une nouvelle hausse des prix russes à l’exportation. C’est ce qui est en train de se produire depuis le début de la semaine : les prix russes ont gagné environ 10 $/t, à 288 $/t Fob Novorossiysk, tirant derrière eux les prix de toutes les autres origines mondiales.
Les blés français avaient gagné 10 $/t jeudi soir (11 €/t, à 226,25 €/t rendu Rouen, base juillet) par rapport au jeudi 7 janvier et sont encore en train de monter à l’heure d’écrire ces lignes.
Le Matif sur l’échéance mars se situe à 232 €/t après s’être rapproché de 235 €/t un plus tôt dans l’après-midi (+20 €/t par rapport à la semaine dernière). Les prix des blés US ont gagné 10 $/t et les argentins 15 $/t sur la semaine.
Dans ce contexte, l’Égypte a annulé l’appel d’offres lancé cette semaine où elle avait reçu très peu d’offres pour des prix jugés très élevés, flirtant avec les 300 $/t Fob, y compris de la France !
Le monde ne peut se passer des blés russes en seconde moitié de campagne malgré l’abondance de la récolte australienne que nous venons de revoir encore en hausse cette semaine à plus de 33 millions de tonnes.
En effet, des exportations très élevées de plus de 20 millions de tonnes (base juillet-juin) sont déjà attendues au départ de l’Australie et la logistique ne permettra sans doute pas de faire plus. L’Argentine a vu ses disponibilités limitées par les déboires climatiques et les stocks de l’Amérique du Nord dont déjà prévu assez bas. L’Europe serait ainsi aux premières portes pour remplacer les blés russes mais les disponibilités européennes sont basses cette année.
Les prix mondiaux sont donc obligés de suivre le mouvement russe et cela est exacerbé par la tension en maïs et en orge.
Le maïs poussé par le blé et les déboires des récoltes américaines
L’emballement concerne les céréales fourragères également.
D’une part, la Russie a annoncé la mise en place d’une taxe de 25 €/t sur les exportations de maïs et une taxe de 10 €/t sur les exportations d’orge à partir du 15 mars (aucune taxe n’avait été décidée auparavant). Cela s’est révélé haussier pour les prix mondiaux de ces deux céréales même si l’importance de la Russie sur le marché mondial du maïs et de l’orge est bien plus faible que son poids sur le marché mondial du blé.
Néanmoins, l’environnement mondial du maïs a été marqué par la forte révision à la baisse que l’USDA a apportée à sa prévision de récolte de 2020 mardi dernier, soit –10 millions de tonnes, à 360 millions de tonnes.
À cela s’ajoutent les tergiversations du gouvernement argentin concernant son régime d’exportation de maïs. Après avoir annoncé avant le 1er janvier un arrêt des exportations de maïs jusqu’à la fin de mois de février, le gouvernement a dû rétropédaler cette semaine sous la pression et les grèves des associations de producteurs, annonçant d’abord une limitation à 30 000 tonnes par jour (au lieu de l’interdiction), puis abrogeant complètement les restrictions d’exportation à la fin de la semaine.
Juste avant cette décision, la crainte d’une limitation des exportations et la perspective d’une forte dégradation de la récolte argentine à cause de la sécheresse des derniers mois avaient eu le temps de faire grimper les prix du maïs sur le marché mondial.
Chicago semblait s’apaiser aujourd’hui avec le retour des pluies et le retrait des mesures de contrôle en Argentine. Dans ce contexte, les maïs sud- et nord-américains ont quand même gagné 15 $/t pendant la semaine et les maïs ukrainiens 23 $/t ! Cela a tiré une fois encore les prix français de 13,5 €/t, à 223 €/t Fob Rhin (base juillet), et de 11 €/t Fob Atlantique, à 215,75 €/t au 14 janvier.
De nouveaux chargements d’orge française vers la Chine
Les prix de l’orge fourragère n’ont pas pu résister à l’entraînement exercé par les prix du maïs et du blé. D’autant plus que les chargements récents de la France vers la Chine et ceux qui sont en cours (225 000 tonnes actuellement) viennent confirmer la demande de ce pays malgré les gros chargements d’orge canadienne effectués ces deux derniers mois.
Les orges françaises gagnent encore 13,5 €/t cette semaine (à 208,75 €/t rendu Rouen en base juillet), mais cela laisse de marbre les prix brassicoles de la récolte de 2020 en raison d’une faible activité et d’une prime déjà basse entre les prix fourragers et les prix brassicoles. Sur la nouvelle récolte en revanche, l’orge brassicole gagne 6 €/t pour les variétés d’hiver (à 201 €/t Fob Creil) et 9 €/t (à 209 €/t) pour les variétés de printemps en raison de la remontée générale des prix céréaliers pour la prochaine campagne.
Tension accrue en soja, portant les prix au plus haut depuis sept ans
Le rapport de l’USDA publié mardi 12 janvier 2021 a été très haussier pour le cours du soja. Le ministère américain de l’Agriculture a revu en baisse de 1,3 million de tonnes les stocks mondiaux de fève attendus au 31 août 2021.
Les stocks US ont été de nouveau diminués de 1 million de tonnes, avec l’ajustement à la baisse de la récolte. Ils affichent maintenant un recul annuel spectaculaire passant de 14,3 millions de tonnes au début de la campagne, à seulement 3,8 millions de tonnes. La tension sur le marché mondial s’est donc accentuée donnant un coup de pouce aux cours.
En outre, sur la première semaine de 2021, les ventes de soja US répertoriées par l’USDA s’élèvent à 908 000 tonnes dont 758 000 à destination de la Chine (pour la campagne en cours). Un volume au-dessus des attentes des opérateurs et en progression importante par rapport à la semaine précédente (seulement 37 000 tonnes).
Ainsi, à Chicago, le prix du soja US gagne 28 $/t sur la semaine, à 528 $/t, un plus haut niveau depuis 2014.
Les prix du tourteau de soja ont suivi la hausse de la graine. Le tourteau US augmente de près de 30 $/t cette semaine, à 513 $/t. En France, le tourteau de soja est en hausse de 32 €/t le 14 janvier, à 489 €/t. Le pois fourrager a augmenté par ricochet de 8 €/t, à 268 €/t. Actuellement, le pois est très attractif dans les rations avicoles et porcines. Notons que les cours des matières riches en protéines ont également été soutenus par la flambée des prix des céréales.
Les cours du colza et du canola en hausse malgré le recul des huiles
Au Canada, le prix sur le marché à terme du canola de Winnipeg est maintenant à son plus haut niveau depuis 8 ans (+25 $/t, à 542 $/t depuis la semaine dernière). Le marché essaie de rationner la demande face à une offre limitée. La demande intérieure et portuaire reste très soutenue et les marges de trituration très rémunératrices. La hausse du cours du soja a par ailleurs soutenu le prix du canola au Canada.
Le colza français a suivi la tendance haussière du soja et du canola. Son prix gagne 9,5 €/t en Fob Moselle et en rendu Rouen à respectivement 440 €/t et 443 €/t. Sur Euronext, le cours augmente de 7,3 €/t à 439 €/t. La hausse du colza a pourtant été limitée par le recul du cours de l’huile de colza, qui perd 15 €/t à Rotterdam à 920 €/t. Cela s’explique par la baisse de la demande pour le biodiesel. En effet, le renforcement des restrictions de déplacement dans plusieurs pays européens pour lutter contre la propagation du Covid-19 affecte la demande en diesel et par ricochet celle en biodiesel.
En outre, le cours de l’huile de palme malaisienne a subi une forte correction à la baisse de 72 $/t depuis la semaine dernière. Cela est dû au ralentissement de la demande mondiale en raison de la crise sanitaire qui s’aggrave dans de nombreux pays. De plus, l’introduction par le gouvernement malaisien d’une taxe à l’exportation de 8 % sur l’huile de palme à partir du début de 2021 semble affecter la demande à l’exportation.
Le tournesol encore plus haut
En France, le tournesol oléique poursuit sa hausse (+20 €/t, à 520 €/t) avec un regain d’intérêt pour cette qualité sur le marché. Le prix de la qualité standard, très peu échangée depuis quelques semaines vu son manque d’intérêt, recule légèrement de 5 €/t et se trouve à parité avec le prix du tournesol oléique.
Dans la zone de la mer Noire, la tension sur le marché se renforce. La très dynamique trituration et la forte demande à l’exportation sur les premiers mois de la campagne (malgré les mauvaises récoltes) ont fortement réduit les stocks. Un ralentissement de la demande industrielle sur la deuxième moitié de campagne paraît évident compte tenu des disponibilités restantes et des prix élevés du tournesol. Le prix intérieur ukrainien est en nette hausse hebdomadaire de 54 $/t, à 749 $/t, alors que le prix Fob moyen mer Noire gagne 25 $/t, à 665 $/t, un nouveau record.
> À suivre : comportement du marché russe, ampleur des pluies qui sont de retour en Argentine, taille des récoltes de maïs en Amérique du Sud, climat en Amérique du Sud, achats chinois, production d’huile de palme en Malaisie, évolution de la situation sanitaire, conditions climatiques dans l’UE et en mer Noire.