Les prix du blé sont comprimés actuellement par la remontée des rendements en Russie alors que ceux de l’orge reflètent la forte demande chinoise et ceux du maïs le manque de pluie et le retour du droit à l’importation. Les prix des céréales et ceux du colza subissent la forte influence de l’euro.
Blé : une récolte européenne en baisse de 20 millions de tonnes
Nous estimons maintenant la récolte de blé tendre de l’UE (Union-Européenne, Royaume-Uni compris) à 128 millions de tonnes, ce qui représente une baisse de 20 millions de tonnes de production par rapport à 2019. Pas de grosse dégradation depuis la semaine dernière, mais il se confirme que la bonne récolte polonaise et la récolte balte qui débute seront loin de compenser les baisses ailleurs.
En Allemagne, l’association des coopératives a révisé en baisse de 4 % son estimation de la récolte de blé dans le pays, à 21,5 millions de tonnes. Ce chiffre est très proche de ce que nous prévoyons et vient conforter une estimation nettement plus élevée, bien qu’en baisse par rapport à l’an dernier, que celle du ministère de l’agriculture allemand publiée la semaine dernière.
La qualité est globalement bonne dans l’UE cette année : les poids spécifiques et taux de protéine affichent de bonnes moyennes en Allemagne et en France par exemple sans problème de temps de chute de Hagberg.
En revanche, des dégradations de poids spécifiques sont rapportées en Roumanie et en Bulgarie. Avec le blé dur, la récolte de l’ensemble des blés européens se situe à 135 millions de tonnes, niveau sur lequel l’USDA (ministère américain de l’agriculture) s’est ajusté cette semaine dans sa publication mensuelle, réduisant de 4 millions de tonnes son estimation par rapport à celle du mois dernier (qui était restée beaucoup trop forte).
À l’opposé, les perspectives continuent de remonter en Russie au fur et à mesure de la progression des moissons vers le Nord. En Australie, les inquiétudes se dissipent à l’Ouest et au Canada, la situation reste prometteuse même si les conditions sèches de la semaine, bonnes pour le début des moissons, risquent de limiter le remplissage des grains.
Les prix du blé tirés à la baisse par les valeurs russes
Le marché mondial du blé se retrouve donc actuellement sous l’influence de ces bonnes perspectives en Russie, Australie et Canada et cela a pesé sur les prix cette semaine malgré les alertes en Argentine.
Dans ce pays, la sécheresse a déjà réduit les surfaces mais risque aussi de dégrader les rendements. Mais c’est la Russie qui mène la danse : ses prix abandonnent 6 $/t à 202 $/t FOB pour les blés à 12,5 % de protéine et poussent vers le bas les blés ukrainiens à 11,5 % de protéine d’une part, et les blés européens baltes et allemands d’autre part, qui perdent quelques dollars.
Les blés français, eux, suivent timidement : ils perdent un peu moins de 1 €/t sur le marché physique, soit un peu plus d’1 dollar par tonne. Les valeurs françaises sont soutenues par la faiblesse de la récolte mais elles sont obligées de suivre la tendance des blés concurrents au risque de perdre trop de demande potentielle, d’autant plus que l’euro ne régresse guère face au dollar.
Cette pression baissière pourrait durer quelques semaines encore mais devrait se retourner plus tard étant donné les faibles disponibilités européennes. L’UE ne va pourvoir exporter que 23 millions de tonnes cette année (35,6 millions de tonnes en 2019/20) et la France 7 millions de tonnes vers les pays tiers (13,4 en 2019/20), avec des chargements faibles depuis le début de la campagne, destinés à l’Algérie et la Chine principalement.
L’office d’état égyptien continue d’acheter bon train avec deux achats cette semaine de blé russe. Le premier mardi 11 août 2020 pour 120 000 tonnes à 219,66 $/t CAF (prix à destination) pour un chargement entre le 25 septembre et le 5 octobre. Le second hier soir, jeudi 13 août 2020, de 415 000 tonnes à 222,6 $/t pour un chargement entre le 1 et 10 octobre. Les offres étaient russes et ukrainiennes uniquement (pas d’autres origines).
Le Pakistan est lui aussi présent sur le marché mondial avec un achat privé de 60 000 tonnes cette semaine de blé, à 11,5 % de protéine, ainsi qu’un appel d’offres lancé par le gouvernement pour 1,5 million de tonnes (ouvert jusqu’au 18 août) afin de reconstituer des réserves.
Au Liban, justement, les réserves étaient quasi inexistantes avant l’explosion et le pays doit trouver des solutions alternatives au port de Beyrouth pour importer rapidement et faire face aux besoins. Face à la crise libanaise, l’association des meuniers de France a décidé d’envoyer 250 tonnes de farine au Liban et les chargements ont déjà commencé.
De son côté, Reuters rapporte que l’AGPB (association générale des producteurs de blé) serait en discussion avec les chargeurs pour l’expédition de 25 000 tonnes de blé à ce pays.
L’orge grimpe encore mais devient très chère
En orge, la récolte européenne augmente légèrement par rapport à celle de 2019 car les très bons rendements espagnols et la progression des surfaces d’orge de printemps compensent les chutes de production d’hiver.
Nous estimons la récolte de l’UE à 64,2 millions de tonnes contre 62,5 millions de tonnes l’an passé. Avec cette production élevée et des perspectives d’exportations inférieures à celles de l’an dernier à cause de la concurrence australienne et canadienne à venir, les stocks d’orge s’annoncent élevés en fin de campagne dans l’UE.
Toutefois, ces stocks seront très largement concentrés en Espagne. La France, elle, tire bien son épingle du jeu : les orges hexagonales ont profité de la forte demande chinoise en début de campagne (en remplacement des orges australiennes, taxées par la Chine). Mais avec une récolte de 11,6 millions de tonnes, inférieure de plus de 2 millions de tonnes à celle de 2019, la France dispose de quantités à exporter plus faibles que l’an passé.
En conséquence, les ventes effectuées jusqu’à maintenant ont fait grimper les prix, cette semaine encore, jusqu’à 164,75 €/t rendu Rouen en base juillet pour la période août-septembre (+2 €/t cette semaine). Les cotations pour les échéances à partir d’octobre sont plus basses (161,75 €/t), mais cela porte les orges françaises à près de 200 $/t sur le marché mondial, alors que les orges de la mer Noire valent 183 $/t FOB.
Malgré un bilan pas très lourd, la France risque d’avoir du mal quand même à capter la demande vers d’autres destinations que la Chine et cela reste modérément baissier à moyen terme.
Sur le créneau brassicole, les prix des variétés d’hiver ont perdu 1 €/t à 171 €/t Fob Creil et sont restés stables à 173 €/t pour les variétés de printemps. L’écart entre les deux catégories est très bas, les orges d’hiver étant poussées vers le haut par leurs faibles disponibilités et les orges de printemps à la baisse par les excédents en vue au contraire. Statu quo pour l’instant dans un marché peu actif.
Retour du droit à l’import en maïs
Le droit qui s’applique sur les maïs importés dans l’UE en provenance des pays tiers vient de remonter à 5,48 €/t cette semaine. Ce droit avait déjà été activé en avril et mai dernier, quand le confinement s’est arrêté, il était ensuite redescendu à zéro avec la remontée des prix des maïs US, qui servent de référence pour le calcul de ce droit.
Malgré un petit rebond cette semaine, les maïs US — avec de bonnes perspectives de production — sont redescendus désormais à un niveau qui rend leur prix, à destination de l’UE, moins élevé que le prix « de seuil » dans l’Europe. La hausse de l’euro face au dollar depuis un mois a contribué aussi au retour du droit positif. Le droit n’arrête pas les importations mais peut les ralentir, certains opérateurs préférant repousser leurs achats dans une période où la variabilité du droit introduit un risque supplémentaire.
Sur le marché mondial, l’USDA est venu confirmer la prévision d’une récolte record de maïs aux Etats-Unis (USA) pour cet automne, à 388 millions de tonnes. Cette nouvelle a toutefois été contrecarrée par les inquiétudes soulevées par la tempête Derecho en début de semaine, qui aurait abîmé environ 10 millions d’acres de maïs (4 millions d’hectares) dans l’Iowa, un très gros état producteur. Ces dégâts ne changeront pas la donne : même s’ils enlèvent quelques tonnages aux USA, la récolte y restera très forte.
Néanmoins, ce point conjugué aux dégâts du manque de pluie dans le centre et le sud de l’Ukraine, sont venus pousser les prix du maïs mondial vers le haut en fin de semaine. En France, l’observatoire CéréObs de FranceAgrimer a dégradé à 65 % la part des maïs en situation bonne à excellente contre 74 % la semaine dernière. Dans ce contexte, les prix des maïs français ont gagné 1 €/t Fob Rhin à 165 €/t en base juillet (nouvelle récolte) mais ils sont restés stables Fob Bordeaux à 165 €/t également.
Le soja US soutenu par les achats chinois et la météo
Dans son rapport sur l’offre et la demande des produits agricoles publié le 12 août, l’USDA a revu en hausse les rendements de soja US de 3,35 t/ha à 3,58 t/ha, donnant une production de 120,4 millions de tonnes (deuxième record historique). Cette hausse reflète le très bon état des cultures, qui se développent dans des conditions globalement favorables depuis le début du cycle.
Néanmoins, cet ajustement était attendu par les acteurs du marché et n’a pas eu beaucoup d’impact sur les prix. Signalons que dans ses prévisions, l’USDA n’avait pas pris en compte l’impact de la tempête dans l’Iowa qui s’est produite le lundi 10 août 2020 sur la production dans cette zone. D’autre part, les prévisions météorologiques jusqu’à fin août indiquent un temps sec qui pourrait affecter les rendements aux USA.
Ces facteurs climatiques ont tiré les cours vers le haut ces derniers jours, mais le plus important élément haussier a été les ventes vers des pays tiers très dynamiques et au-dessus des attentes. Selon l’USDA, les ventes hebdomadaires pour la semaine se terminant le 6 août sont estimées à 3,4 millions de tonnes de soja (dont 2,84 millions de tonnes de nouvelle récolte). Les achats chinois s’élèvent à 2,13 millions de tonnes pour les deux campagnes. Entre le 7 et le 13 août 2020, l’USDA a, de plus, annoncé de nouvelles ventes dépassant les 2 millions de tonnes. Ainsi, le prix du soja américain était en nette progression sur une semaine (+12 $/t à 333 $/t) à Chicago.
Le tourteau de soja suit
Dans le sillage de la graine, le prix du tourteau de soja US a gagné 10 $/t à 320 $/t. De plus, le dernier rapport de l’USDA était plutôt haussier pour le tourteau de soja, avec une révision en hausse de la demande mondiale plus forte que celle de l’offre en 2020/21. Les stocks mondiaux de fin de campagne sont attendus à un très faible niveau de moins de 9 millions de tonnes, soit une baisse d’environ 5 % sur une année. À Montoir, le cours a peu évolué (+1 €/t à 320 €/t) en raison d’une légère progression seulement des prix sud-américains.
Le taux de change euro/dollar continue de peser sur le colza français
En colza, les prix marquent une nouvelle baisse cette semaine, malgré la faible récolte attendue en France. En effet, la graine française reste pénalisée par le haut niveau de l’euro face au dollar (malgré sa légère baisse depuis la semaine dernière). En dollar US, le prix du colza français dépasse de 30 $/t les niveaux constatés l’année dernière à la même période, alors qu’en euros, les prix du colza en France sont proches du niveau de la mi-août 2019.
Les prix de colza ont également été affectés cette semaine par le repli des cours de l’huile de palme malaisienne. Ces derniers ont reculé suite à la publication du rapport du MPOB (Malaysian Palm Oil Board) indiquant des stocks en juillet à 1,7 million de tonnes. Bien qu’il soit en baisse de 10,5 % sur un mois, ce niveau était supérieur aux attentes des opérateurs.
Toutefois, les prix de colza ont repris du souffle en fin de semaine dans le sillage du soja US. De plus, la nette révision en baisse de la récolte ukrainienne de colza par l’USDA (de 4 millions de tonnes à seulement 2,5 millions de tonnes) a soutenu les prix français compte tenu des moindres possibilités d’importations en nouvelle campagne.
Somme toute, le colza français cède 2,5 €/t en rendu Rouen à 376,5 €/t, 2 €/t en fob Moselle à 380,5 €/t et également 2 €/t sur Euronext à 377,5 €/t.
D’autre part, le canola canadien à Winnipeg a peu évolué d’une semaine à l’autre (-0,5 $/t à 367,5 $/t), tiraillé entre et les conditions climatiques favorables à la culture dans le pays et la tendance haussière du soja.
Le tournesol statique
En France, le prix du tournesol est inchangé sur une semaine à 350 €/t pour la qualité oléique à Saint-Nazaire (pas de cotation pour le tournesol standard cette semaine).
La situation climatique s’est améliorée sur une grande partie de la France et du sud de la Russie avec le retour des pluies, mais la situation est restée extrêmement sèche depuis début août en Roumanie, en Ukraine, et sur une bonne partie de la Bulgarie.
En mer Noire, le prix Fob moyen reste également inchangé à 405 $/t, faute de demande à l’exportation. En Argentine, la Bolsa de Cereales a revu en baisse la surface de tournesol à 1,7 million d’hectares (contre 1,8 initialement) en raison des conditions sèches qui accompagnent actuellement le début des semis notamment dans la zone du Nord-Est.
À suivre : niveau final de la récolte de blé russe, conditions de fin de cycle au Canada pour le blé et développement des céréales à paille dans l’hémisphère sud, conditions climatiques en Amérique du Nord pour le soja, le maïs et le canola, en Europe pour le tournesol et le maïs, dynamique des achats chinois, relations diplomatiques entre Chine et États-Unis, prix du pétrole, évolution de la parité euro/dollar.