La petite remontée de l’euro pèse sur les prix du blé et de l’orge cette semaine malgré des chargements portuaires élevés. La concurrence mondiale commence à se faire sentir. Les tarifs du maïs et du tournesol s’apprécient à cause de la sécheresse. Ceux du colza et du soja grimpent avec les inquiétudes sur les plaines de production aux États-Unis et une trituration élevée au Canada.
Légère baisse des prix du blé
L’échéance septembre du contrat Euronext est en légère hausse ce vendredi août 2022 en milieu de journée. À 338,00 €/t, elle est toutefois inférieure à sa clôture de vendredi dernier (-4,00 €/t).
Sur le marché physique, les prix se sont affaissés légèrement depuis la semaine dernière, de 2,00 €/t rendu Rouen à 343,5, €/t le 11 août, ainsi qu’à la Pallice à 350,50 €/t. Cette orientation en légère baisse observée sur le marché français est en partie liée à la remontée de l’euro face au dollar.
Mais, plus substantiellement, nous estimons qu’elle est aussi liée à l’affaissement des prix russes : le blé russe à 12,5 % de protéine a perdu 7 $/t cette semaine avec la progression des moissons en Russie. Les perspectives de récolte s’annoncent record et pléthoriques, proche des 100 millions de tonnes.
En plus de volumes énormes, la récolte russe semble caractérisée cette année par une dégradation des taux de protéine dans le sud du pays, si bien que la décote entre le prix des blés à 12,5 % et ceux à 11,5 % de protéine y reste importante. Elle est actuellement de 26 $/t et les blés russes à 11,5 % de protéine valent aujourd’hui 40 $/t de moins que les blés français.
Des exportations françaises sur les chapeaux de roue…
Cette situation, le manque de compétitivité des blés français, ne se fait pas encore ressentir car ces derniers restaient très prisés jusqu’à maintenant sur le marché mondial. En l’absence de gros flux de la mer Noire, la France a chargé 1,7 million de tonnes depuis le 1er juillet contre 830 000 tonnes à la même date l’an dernier,.
L’Ukraine a expédié son premier bateau de blé aujourd’hui de la zone du Grand Odessa, à la suite de l’accord du 22 juillet dernier (3 000 tonnes de blé vers la Turquie). C’est le premier bateau de blé sur les 14 qui sont déjà partis via le corridor sécurisé. Cela atteste que des flux se mettent en place mais que le redémarrage des exportations ukrainiennes est lent. Au départ de la Russie, les expéditions sont assez lentes en comparaison avec l’été dernier et cela semble dû à la prudence des importateurs.
…mais jusqu’à quand ?
Néanmoins, La Russie a déjà chargé 2 millions de tonnes en juillet et environ 1 million de tonnes au cours de la première semaine d’août. Ses chargements montent donc en puissance et cela constitue probablement un danger pour les ventes de la France dans les mois qui viennent. Reste à voir si la Russie aura bien les moyens logistiques d’exporter toutes ses disponibilités et si les importateurs se tourneront bien vers cette origine, quel que soit son prix.
Du côté des facteurs plutôt baissiers, on peut ajouter aussi la baisse des inquiétudes en Argentine où les pluies récentes ont stabilisé les estimations de production et surtout permis les derniers semis. En Inde également, les prix du blé qui s’étaient envolés sur le marché intérieur après la forte chute de récolte, sont maintenant en phase de stabilisation depuis l’arrêt des exportations.
Du côté haussier en revanche, se rangent le niveau très bas des eaux sur les grands fleuves européens, sur le Rhin notamment, et bien sûr l’effondrement de la récolte européenne de maïs qui vient fortement gonfler la demande de blé de la part des fabricants d’aliments du bétail. Enfin, les prix américains du blé sont en hausse, eux, depuis une semaine. Pourquoi ? À cause d’une dégradation de l’état des blés de printemps par manque de pluies.
Maïs : poussée de fièvre sur les prix nouvelle récolte
Le marché du maïs est maintenant tourné principalement vers la nouvelle récolte. Et les prix de cette dernière ont encore augmenté sur une semaine. Le maïs Fob Bordeaux a gagné 9,00 €/t, à 346,50 €/t (base juillet, échéance octobre/décembre 2022). Le maïs Fob Rhin a augmenté du même montant, à 337,00 €/t (base juillet).
Ces niveaux ne sont pas sans rappeler ceux atteints au printemps dernier pour la récolte 2021. L’actualité pour le maïs français et européen reste centrée sur les très mauvaises perspectives de récolte qui s’annoncent à cause d’un été très sec et chaud jusqu’à présent en Europe. Les besoins en importations de l’Union Européenne seront importants.
Ce contexte tendu en Europe trouve également du soutien aux États-Unis où les conditions de croissance du maïs sont mitigées. Les opérateurs s’attendent à ce que l’USDA (ministère américain de l’Agriculture) revoit à la baisse sa prévision de récolte de maïs américain dans sa publication ce vendredi 12 au soir.
Parallèlement, la seconde récolte de maïs au Brésil était avancée à un peu plus de 80 % en cette fin de semaine. Les exportations brésiliennes sont déclarées à 1,7 million de tonnes sur la première semaine d’août. Cela confirme que le pays devrait beaucoup exporter dans les semaines à venir. Ceci a eu pour effet de faire monter les prix brésiliens (à 292 $/t Fob1). Le pays est très sollicité à cause du retrait partiel de l’Ukraine des échanges internationaux.
L’Ukraine continue d’exporter du maïs via ses frontières ouest et sud. Dans le même temps, près de 300 000 tonnes ont été exportées via le corridor mis en place à la suite de l’accord signé le 22 juillet dernier avec la Russie. Néanmoins, ces volumes concernent les bateaux qui étaient bloqués dans les ports ukrainiens depuis le début du conflit. La mise en place de flux réguliers avec de nouveaux navires au départ des ports ukrainiens de la mer Noire reste à confirmer.
Enfin, les prix intérieurs chinois restent élevés. Ils indiquent qu’un déficit en maïs demeure pour le moment dans le pays et que ce dernier est toujours susceptible d’importer des volumes importants, maintenant une certaine tension sur le marché mondial.
L’orge fourragère s’affaisse légèrement
Le prix rendu Rouen base juillet a perdu 4,00 €/t par rapport à la semaine précédente, à 290,50 €/t le 11 août. Cette baisse s’est produite malgré la poursuite cette semaine des chargements à l’exportation : 140 000 tonnes vers l’Arabie saoudite. Des chargements vers la Chine sont en cours également pour 66 000 tonnes.
Au total, les chargements d’orge au départ des ports français sont voisins de ceux de l’an dernier à la même date : environ 700 000 tonnes. En revanche, la part chinoise est tombée à 94 000 tonnes seulement cette année au profit de l’Arabie saoudite, contre 626 000 tonnes à la fin de la seconde semaine d’août en 2021.
L’affaissement des prix s’explique en partie par la légère remontée de l’euro face au dollar. Il peut être également mis en relation avec la remontée de l’estimation de la récolte française la semaine dernière par Agreste, le service des statistiques du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Enfin, sur la scène internationale, si les orges tricolores maintiennent leur compétitivité face aux orges australiennes, elles demeurent plus chères que les orges russes, de 15 $/t environ. Ce qui peut également expliquer la pression sur les prix français. L’offre de la mer Noire n’est toutefois pas encore très importante : au départ de l’Ukraine, la reprise modeste de l’activité à l’export via le corridor sécurisé ne porte pas encore sur l’orge.
En Russie, les exportations d’orge ont démarré beaucoup moins vite que l’an passé : 115 000 tonnes en juillet contre 500 000 tonnes en juillet 2021. Néanmoins, on observe actuellement une accélération avec 310 000 tonnes au départ de la Russie pour la première semaine d’août. Étant donné le niveau record de la récolte russe d’orge cette année (21 millions de tonnes), une forte concurrence est attendue en provenance de ce pays. Cela va constituer un facteur de modération des prix français.
On peut souligner que l’orge française est prise en étau en ce moment entre cette pression baissière, qui devrait dominer à terme, et un soutien exercé par le maïs : l’effondrement de la récolte européenne et les inquiétudes pour cette culture aux États-Unis font grimper les prix de cette céréale. L’orge gagne ainsi en compétitivité dans la consommation animale sur le marché intérieur et en Europe.
Des prix brassicoles un peu plus bas aussi
Sur le segment brassicole, les prix diminuent aussi (-9 €/t pour les variétés d’hiver et -13/t pour les variétés de printemps) sous la pression des orges scandinaves. Ces dernières, dont la récolte est attendue en hausse, bénéficient actuellement de bonnes conditions à l’aube des moissons.
Ces origines s’avèrent plus compétitives que les orges françaises. La chute des valeurs canadiennes et argentines ces dernières semaines (dans l’attente d’une remontée des disponibilités au Canada cette année) a aussi pesé sur les prix français malgré un bilan brassicole européen qui s’annonce encore tendu (en orge de printemps).
Légère reprise des cours du colza
Cette semaine, les prix du colza en France ont légèrement augmenté, de 13 €/t, atteignant 654 €/t rendu Rouen et 662 €/ en Fob Moselle. Ils ont principalement été soutenus par la progression des prix du canola et du soja, mais également par les marchés de l’huile de palme, du tournesol et du pétrole.
Les cours de l’huile de palme ont été portés par la hausse des exportations malaisiennes entre le 1er et le 10 août, ceux de l’huile de tournesol par la dégradation des potentiels de rendement en Europe. Et ceux du pétrole par le ralentissement de l’inflation américaine et la prévision en légère hausse, par l’Agence internationale de l’énergie, de la demande mondiale de pétrole au détriment du gaz.
Au Canada, les cours du canola se sont renchéris (+22 $/t sur janvier 22) grâce aux excellentes marges de trituration stimulant les achats des triturateurs canadiens. Par ailleurs, les cours du canola sont également soutenus par les cours du soja. La sécheresse qui continue de sévir aux États-Unis dégrade les potentiels de rendements des sojas en pleine floraison.
Malgré tous ces éléments de haussiers, les prix du colza en France n’ont progressé que modérément en raison de la pression exercée par la bonne récolte européenne, les bonnes perspectives de rendements au Canada (après la récolte catastrophe l’an passé) et l’autorisation par la Russie d’exporter son colza vers certains de ses voisins en Asie.
Le soja grimpe
Le cours du soja a gagné du terrain cette semaine dans le sillage de l’huile et du tourteau de soja, mais aussi à la suite du maïs. Par rapport à la semaine dernière, à Chicago, la tonne de soja a gagné 35 $/t sur le rapproché, et 11 $/t sur l’échéance novembre. Le prix du soja Fob Brésil gagne 10 $/t sur le rapproché (à 629,80 $/t) et 12 $/t sur novembre.
Le temps chaud et sec qui persiste aux États-Unis laisse craindre une dégradation des conditions de culture. De plus, les exportations hebdomadaires de soja américain ont bondi de 70 % en une semaine pour s’afficher à leur plus haut niveau depuis la mi-mai. L’origine américaine bénéficie d’une bonne compétitivité sur le marché international. Elle reste donc très sollicitée notamment par les acheteurs chinois, même si l’activité de trituration en Chine reste en repli en raison de marges de trituration faibles.
Le tourteau de soja progresse à Chicago
À la Bourse de Chicago, le cours du tourteau de soja sur le rapproché a progressé de 7,2 % en une semaine, pour s’afficher à 574 $/t. Le prix américain a été soutenu par une bonne demande intérieure en tourteau de soja mais aussi par des ventes dynamiques, notamment vers le Mexique.
Avec le repli de la trituration chinoise, l’offre en tourteau de soja tend à reculer en Chine alors qu’en même temps, la demande se montre plutôt régulière dans ce pays. Cela entraîne les stocks chinois de tourteaux de soja vers le bas. La demande des filières animale apparait en effet plutôt active ces derniers temps, avec la rentabilité des élevages porcins qui s’améliore notamment en lien avec la montée du prix moyen du porc vif depuis mai.
À noter toutefois que la cotation du porc chinois tend à se stabiliser sous l’effet de la mise sur le marché de viande de porc issue des réserves stratégiques de l’État et des importations. Le cours du porc chinois reste malgré tout au-dessus de son niveau de l’an dernier, de 39 %.
En revanche, à Montoir de Bretagne, le prix du tourteau de soja a légèrement reculé de 2€/t sur le rapproché, à 557 €/t. En Europe, la réduction des cheptels porcins et avicoles, en raison de la flambée des prix des matières premières et de la propagation des épizooties, contribue à limiter la demande en tourteaux.
La sécheresse pousse les cours du tournesol vers le haut
Cette semaine, le tournesol de qualité standard a gagné 45 €/t à 670 €/t à Saint-Nazaire, et le tournesol oléique a gagné 20 €/t à 745 €/t.
Ces progressions sont dues aux inquiétudes découlant des conditions météorologiques chaudes et sèches. En conséquence, les potentiels de rendement se dégradent partout en Europe, que ce soit en Bulgarie, en Roumanie (représentant plus de 40 % de la récolte de tournesol dans l’Union européenne), ou même en Hongrie, en Espagne et en France.
Les premières coupes dans le sud de la France s’avèrent décevantes. Si les récoltes à venir en France et en Europe confirment ces déceptions, cela pourrait faire craindre une tension sur le marché. D’autant plus que des incertitudes continuent de subsister quant aux exportations ukrainiennes.
Stabilité des prix du pois
Le prix du pois fourrager départ Marne est reconduit sur la semaine à 370 €/t. Au Canada, les récoltes de pois débutent. Le marché sera attentif à l’avancement de la récolte et aux conditions météorologiques dans les plaines canadiennes.
À suivre : gestion par la Russie de sa très grosse récolte de céréales, attitude des importateurs face aux blés russes, déroulement des exportations de l’Ukraine, évolution du conflit en Ukraine (situation en Crimée et près des centrales nucléaires), tension en maïs et son report sur le blé et l’orge, météo en Europe (maïs et tournesol), en Amérique du Nord et du Sud (blé, maïs, soja), demande mondiale en céréales et tourteaux dans un contexte dégradé pour les productions animales.