« Le coq condamné pour son chant matinal ou le propriétaire de canards accusé de nuisances sonores font partie des histoires qui amusent et auxquelles nous aimons nous intéresser. Mais ce type d’anecdotes n’est pas du tout révélateur de l’ambiance dans les campagnes.
Avec mon équipe, au sein de l’Inra, nous avons lancé il y a une vingtaine d’années, un programme, toujours en cours, sur l’étude des conflits dans les espaces ruraux. Or, nous observons, tout d’abord, qu’ils y sont moins nombreux que dans les villes, et moins violents. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’ils n’existent pas.
Zizanie autour des sols
Mais ils ne portent pas non plus en majorité sur les odeurs et les bruits de la campagne. Et l’on ne peut pas parler d’un phénomène qui viserait en particulier les paysans et leurs activités. Cette affirmation tient, selon moi, du fantasme, car ces conflits avec les agriculteurs sont extrêmement minoritaires.
Nous parlons d’une intrusion dans un élevage pour probablement plusieurs centaines de contentieux liés à l’usage du sol. Car la très grande majorité des oppositions concerne l’usage des sols, et très souvent des terres agricoles. Plans locaux d’urbanisme, schéma de cohérence territoriale, etc. : la compétition est grande, et maint de ces conflits sont portés devant les tribunaux.
La deuxième cause des accrochages dans les zones rurales concerne les infrastructures. Une usine de traitement des déchets, de production d’énergie, des éoliennes, des tracés de TGV, des autoroutes, un aéroport, l’exploitation forestière... Ces installations sont à l’origine de nombreux contentieux.
Pas de clivage entre ruraux et urbains
L’autre caractéristique importante de ces différends est qu’ils n’opposent pas les habitants des campagnes à ceux des villes. Nous ne pouvons pas parler de clivage entre citadins et ruraux. Il n’y a pas deux populations distinctes. Les disputes font partie de la vie en société. Et nous assistons en réalité à une intolérance croissante entre riverains.
Nous observons une montée de la conflictualité partout, depuis trente ans, allant de pair avec la montée de la judiciarisation de la société : en ville ou à la campagne, dès qu’il y a un problème, on recourt de plus en plus au tribunal. L’autre raison tient à une société moins cohérente aujourd’hui qu’à l’époque de nos grands-parents notamment. Plusieurs cultures se côtoient. Et ces sociétés génèrent davantage d’opposition entre les voisins.
Une vision passéiste
Enfin, si les gens s’intéressent tant aux conflits comme celui du chant matinal du coq, c’est aussi parce qu’ils ont un aperçu du rural idéalisé et passéiste. Beaucoup le voient comme le village dans la prairie, ils en ont une appréciation patrimonialisée qui ne correspond pas à la réalité, une vision à la Stéphane Bern, d’un endroit protégé car menacé par des gens prêts à détruire l’harmonie locale. Ces ressentis confirment cette façon de voir, très fantasmée, qui porte tort aux ruraux, et notamment aux agriculteurs, dont l’activité réelle est finalement fort peu connue. »
Propos recueillis par Rosanne Aries