L'histoire – La propriété d'Anne séparait deux parcelles appartenant à Joachim. Ce dernier a fini par la convaincre de lui vendre ses terres. Le notaire a procédé à la notification du projet et, dans le délai légal, la Safer a exercé son droit de préemption.
L'acquisition projetée par Joachim avait une telle importance foncière pour lui que dans les deux jours, ab irato, comme disent les latinistes, il a assigné la Safer devant le tribunal de grande instance en nullité de la préemption exercée.
Dans sa demande, il y avait des motifs tirés de l'article L. 143-2 du code rural, relatif aux objectifs poursuivis par la Safer. Sur ce point, il appartiendra au tribunal de trancher, mais pour répondre à l'argument de Joachim sur l'irrégularité du fonctionnement de la Safer, le tribunal de grande instance (TGI) a renvoyé directement au Conseil d'Etat, seul juge des exceptions d'illégalité.
Le contentieux – Devant le Conseil d'Etat, le débat s'est instauré autour de l'article L. 143-7 du code rural, qui stipule que dans chaque département, lorsque la Safer compétente a sollicité l'attribution du droit de préemption, le préfet détermine, après avis motivés de la commission départementale d'orientation agricole (CDOA) et de la chambre d'agriculture, les zones où se justifie l'octroi d'un tel droit et la superficie minimale à laquelle il est susceptible de s'appliquer.
Dans les zones ainsi déterminées, un décret autorise l'exercice du droit de préemption pour une période de cinq ans renouvelable. En l'espèce, le décret de renouvellement a été pris le 7 septembre 2001 et, grâce à lui, la Safer a cru pouvoir exercer le droit de préemption sur l'acquisition réalisée par Joachim.
Il y a bien des années, le Conseil d'Etat avait jugé qu'à défaut de régularité des avis de la CDOA et de la chambre d'agriculture, le décret accordant le droit de préemption à la Safer était nul. Les années ont passé et voilà le Conseil d'Etat examinant de nouveau un décret, ou plus exactement un renouvellement accordant le droit de préemption à la Safer.
Avant de s'arrêter à la discussion juridique particulière, rappelons l'importance de ce décret, non seulement lorsqu'il s'agit d'un décret créatif, mais également d'un renouvellement.
D'autant que ce même décret fixe pour le département le seuil de superficie en deçà duquel la préemption ne peut jouer et accorde pour certaines communes la possibilité pour la Safer, en cas d'adjudication volontaire, d'exiger préalablement une vente de gré à gré (article L. 143-12 du code rural). C'est dire l'importance, aussi, de l'action en nullité soulevée par Joachim !
Il était patent, par la prise en compte du dossier administratif, que les avis de la CDOA et de la chambre d'agriculture ne comportaient aucun motif, tel qu'exigé par l'article L. 143-7 du code rural. Les auteurs de ces avis avaient estimé que, s'agissant d'un renouvellement pour cinq ans, ils n'avaient pas à répéter ce qu'ils avaient dit lors de la création du droit de préemption de la Safer.
Le Conseil d'Etat a donc décidé que le décret était nul dans son ensemble. En conséquence, le droit de préemption ne pouvait jouer contre l'acquisition réalisée par Joachim.
L'épilogue – L'importance du décret est évidente, car si une période de cinq ans s'est écoulée depuis le décret d'origine ou de renouvellement et qu'il n'est pas immédiatement repris, les préemptions exercées entre l'expiration du délai et la reprise sont nulles, du fait de l'absence de décret pour cette période de transition.
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Jacques Lachaud (publié le 26 juillet 2013)