Pour les avoir recueillis par succession il y a tout juste six mois, Gérard est propriétaire de trois hectares, longtemps cultivés en céréales. Avec l'évolution de la population de la commune et de son mode de vie, les terres agricoles ont tendance à devenir terrains à bâtir.
Il a donc l'espoir de vendre à bon prix, dans les années à venir, les terres héritées. La commune est en train d'élaborer son plan local d'urbanisme (PLU) qui prévoit une procédure d'expropriation des terres de Gérard, pour constituer des réserves foncières destinées à des logements sociaux.
Le préfet accepte de déclarer d'utilité publique le projet de la commune.
Changement de destination
L'ordonnance d'expropriation est prononcée. L'indemnité de dépossession est fixée par le juge. Malgré sa conviction de la mutation des terres, il est obligé d'évaluer le bien en terre agricole et de tenir compte du prix déclaré dans la succession de la mère de Gérard, il y a moins de cinq ans.
Conformément à la déclaration d'utilité publique (DUP), la commune a l'obligation de réaliser l'opération, fondement de l'expropriation, dans les cinq ans. Non seulement elle ne le fait pas, mais elle vend le bien exproprié à une société d'aménagement.
Gérard constate que, désormais pourvu des réseaux divers, son bien exproprié a pris une grande valeur. Il s'imagine que, par une demande de rétrocession, il va pouvoir le récupérer en restituant l'indemnité obtenue. Il assigne la commune devant le tribunal de grande instance pour obtenir la rétrocession de ses terrains dont il a été privé.
Il appartient en effet à ce tribunal de dire si la destination prévue a été respectée. En présence de cette procédure, le préfet aurait pu prendre une nouvelle DUP faisant obstacle à la rétrocession. Il ne l'a pas fait, car le détournement de pouvoir aurait été évident.
Prix de rachat
La procédure n'est pas pour autant terminée. Le juge de l'expropriation doit désormais fixer le prix du rachat des terres par l'exproprié. Car ce n'est pas le montant de l'indemnité versée qui est à rembourser contre restitution du terrain, mais le prix du bien au jour où le magistrat statue.
Gérard aurait donc dû racheter son bien à la valeur résultant du PLU. Mais, le terrain ayant été vendu à la société d'aménagement, la commune n'est plus en mesure de le restituer.
La loi a prévu ce conflit: elle décide qu'à défaut de possibilité de restitution, le propriétaire exproprié à tort obtiendra un dédommagement. Le juge de l'expropriation a donc fixé cette indemnisation compensatoire.
Il ne sera pas suivi par la cour d'appel, qui décide que le bien exproprié peut encore être utilisé pour des logements sociaux et qu'il n'a pas reçu une affectation irréversible contraire à la DUP.
En conséquence, elle rejette la demande de Gérard. La Cour de cassation ne partagera pas ce point de vue. En effet, dira-t-elle, il résulte du dossier que la commune a reconnu que l'affectation prévue dans la DUP était impossible, puisque le terrain était vendu.
Il faudra donc que le juge de l'expropriation, saisi par voie de renvoi, statue sur l'indemnité en tenant compte de la valeur actuelle du bien.
A télécharger :
• Arrêt de la Cour de cassation, chambre civile 3, du 28 janvier 2009 (pourvoi n° 07-20353)
par Jacques Lachaud (publié le 20 novembre 2009)