Droit de propriété
Après un certain délaiEncore appelée prescription acquisitive ou usucapion, la prescription trentenaire est le fait, pour le possesseur d’un bien immobilier (comme un terrain), d’acquérir juridiquement un droit de propriété sur ce bien, après l’écoulement d’un certain délai durant lequel il s’est comporté comme le propriétaire sans en avoir le titre. Pour parvenir à l’appropriation, il faut qu’il s’agisse d’un immeuble susceptible d’être acquis par prescription, ce qui n’est pas toujours le cas pour les chemins (voir ci-contre). Il faut aussi qu’il y ait possession depuis un certain temps.
« Toutes les questions tournent autour du corpus et de l’animus, explique François Moulière, avocat. Le corpus, c’est l’exercice effectif d’un acte sur la chose, manifestant le droit que l’on possède. Par exemple : exploiter un champ, encaisser des loyers… L’animus est la volonté de se comporter, à l’égard de la chose possédée, comme si on était titulaire du droit de propriété. Sa preuve est plus difficile à établir. » Sachant que le code civil (article 2256) pose une double présomption légale : « On est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est pas prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre. » Ce qui signifie que l’on est présumé posséder de la même manière (acte juridique) que lorsqu’on est rentré dans les lieux. Un locataire ne devient pas propriétaire. Ce qui exclut le simple détenteur précaire qui exerce un droit précaire en vertu d’un bail ou d’un prêt à usage…
Définir la possession
Quatre conditions à remplirLa possession doit être continue, c’est-à-dire sans interruption (supérieure à un an) et paisible, autrement dit sans contestation ni violence. Elle doit être publique, à savoir « au vu et au su » de tous. Enfin, la possession doit être non équivoque, ce qui exige une possession « à titre de propriétaire ». Le possesseur doit se comporter comme le véritable propriétaire. « Par exemple, si vous indiquez que ce dernier est mort, vous reconnaissez implicitement que vous n’êtes pas le propriétaire », précise l’avocat. Si ces quatre conditions sont remplies, vous êtes présumé propriétaire, à preuve du contraire.
Procédure
Revendiquer ou s’opposerConcernant la procédure, la revendication d’un droit de propriété par le possesseur d’un bien immobilier peut se faire de deux manières : soit en engageant une action judiciaire pour faire constater que le bien lui est acquis, soit en s’opposant à l’action en revendication engagée contre lui par celui qui se prétend le véritable propriétaire du bien (en vertu d’un titre par exemple). À charge pour le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens de ces allégations.
À noter que, selon la jurisprudence, le paiement de la taxe foncière ne constitue pas un acte de possession. Le percepteur, quand il encaisse la taxe, ne se préoccupe pas de la situation de celui qui règle. Au cas par cas, il appartient aux juges de constater ou non l’existence de la propriété acquise par prescription trentenaire.
Trente ans, voire dix ansLe droit commun de la prescription sur un bien immobilier est de trente ans. Il existe une exception qui réduit la durée à dix ans, encore appelée « prescription abrégée ». Dans ce cas, il faut présenter un juste titre (donation, vente…) et il faut être de bonne foi (la croyance qu’on a dans le titre de son auteur). Le propriétaire qui veut récupérer son bien occupé à intérêt à agir pour interrompre cette prescription. Par ailleurs, il est possible de profiter du temps passé par un prédécesseur. En effet, l’article 2265 du code civil autorise une jonction des possessions. Le possesseur actuel peut joindre à sa possession celui qui lui a transmis le bien, de quelque manière qu’il lui ait succédé (succession, achat, donation…) pourvu que ces possessions soient toutes utiles, c’est-à-dire non viciées.
Le chemin n’est pas toujours prescriptible
Il n’est pas rare que la prescription soit revendiquée sur un chemin. Dans ce cas, tout dépend de sa qualification. Un chemin communal, qui relève du domaine public de la commune, est imprescriptible. Un chemin rural (domaine privé de la commune) est, lui, susceptible de prescription. Le droit de passage dans le cadre d’une servitude est imprescriptible puisqu’un passage n’est jamais utilisé en continu. En revanche, l’assiette du chemin, l’endroit où l’on passe, peut se prescrire.
L’expert
« Souvent, une stratégie en défense »
François Moulière, docteur en droit, avocat associé au cabinet Avoxa , à Rennes
« Dans la plupart des cas, l’occupant qui invoque la prescription pour se maintenir en place est en défense. La stratégie du demandeur consiste à établir les circonstances dans lesquelles s’est faite l’entrée dans les lieux. Souvent, l’occupant évoque une “autorisation initiale” ou une tolérance, ce qui en réalité est la reconnaissance qu’il ne se considérait pas propriétaire à l’entrée et l’empêche de prescrire. »