Les températures douces à l'automne ou à la sortie d'hiver sont associées à un risque accru d'infestations de pucerons sur céréales. Faut-il en conclure que le réchauffement climatique conduira à la recrudescence des dégâts liés à ces insectes? Pas si simple, répondent des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique de Rennes.
«En se penchant sur des données enregistrées ces trente dernières années, nous avons constaté que l'augmentation de la température entraîne une activité plus précoce des pucerons», explique Maurice Hullé, du laboratoire de l'Inra spécialisé dans l'étude des populations d'insectes. Tout est ensuite une question de synchronisation avec le cycle des céréales. «Avec ce développement plus précoce, on peut craindre des pressions plus importantes sur des plantes jeunes à un stade sensible, notamment par rapport aux viroses», souligne le chercheur.
Cycle ininterrompu
Pour les scientifiques, la principale inquiétude provient des bouleversements que la hausse des températures pourrait provoquer au sein des populations de pucerons, et qui seraient propices à la jaunisse nanisante de l'orge (JNO). Celle-ci est principalement transmise aux céréales à l'automne par «Rhopalosiphum padi». Chez ce puceron, une partie des adultes se reproduisent par voie sexuée à l'automne. Les oeufs offrent un excellent niveau de résistance au froid pendant l'hiver, mais ne permettent aux individus de se développer qu'au printemps.
Une autre partie de la population se reproduit toute l'année par parthénogénèse, une forme de clonage. La résistance au froid est moindre, mais les descendants continuent leur cycle sur céréales pendant l'hiver si la température le permet. Cette distinction entre les deux populations explique le gradient de JNO qui s'établit entre la Bretagne et l'Alsace. Dans la première région, où la voie clonale domine, le risque de JNO est plus prononcé. En Alsace, l'hiver plus rigoureux rend nécessaire la reproduction sexuée, qui interrompt le cycle du puceron. Selon le chercheur Maurice Hullé, «on peut se demander si l'équilibre entre ces deux catégories sera perturbé par le réchauffement climatique. La question est de savoir si la parthénogénèse sera favorisée par des hivers plus doux, ce qui augmenterait le risque de virose en prolongeant l'activité».
En revanche, le scénario catastrophe incluant des pullulations incontrôlables ne semble pas le plus probable. «Bien que le nombre de générations et de descendants par an aille croissant avec la hausse des températures, on observe une augmentation de la densité des populations uniquement pour les espèces les plus rares», tempère Maurice Hullé. Les chercheurs soupçonnent les ennemis naturels des pucerons d'adopter un comportement opportuniste. Ils jetteraient leur dévolu sur les proies les plus abondantes, les soumettant ainsi à une pression accrue.
Un nombre d'espèces croissantLe réseau d'observation européen suivi depuis plus de trente ans met en évidence un accroissement du nombre d'espèces de pucerons. Certaines arrivent de contrées exotiques à la faveur d'échanges commerciaux, et profitent de la douceur pour s'installer. D'autres, déjà présentes mais discrètes, deviennent plus visibles quand la température monte. Le réchauffement climatique pourrait donc allonger le cortège d'espèces dangereuses pour les cultures. Cette menace concerne surtout l'arboriculture, mais aussi les céréales, qui sont pour l'instant la cible de trois espèces de pucerons. |
Extension: des pucerons plus au nordLes températures régulièrement plus élevées devraient modifier la répartition des pucerons. Les espèces abondantes dans le Sud pourraient devenir plus fréquentes dans le Nord, et y occasionner des dégâts plus importants. |
par Gabriel Omnès (publié le 14 septembre 2007)