«La croissance des cultures fourragères, des céréales et des protéagineux sera impactée négativement en termes de rendement, de qualité, et la variabilité des récoltes d’une année sur l’autre sera plus importante », avertit Audrey Trévisiol, de l’Ademe. Côté pile, le réchauffement climatique se traduit déjà par des difficultés réelles dans les régions du sud, avec des sécheresses estivales, des difficultés d’approvisionnement en eau, etc. Et ça ne va pas s’arranger dans le futur, avec davantage de risques d’échaudage et de maladies nouvelles. Il faudra aussi compter avec une production fourragère moindre en été, du fait du déficit hydrique plus important.

Côté face, l’augmentation de la teneur en CO2 est plutôt un avantage pour la pousse des plantes, la production de biomasse étant attendue à + ou − 10 % selon l’ampleur de « l’effet CO2 ». En parallèle, les zones de culture du maïs, du colza et du tournesol remonteront vers le nord et en altitude, et il sera possible de récolter le maïs ensilé ou en grain plus au nord qu’aujourd’hui, apportant de la souplesse pour la destination de la culture – stock ou vente. La pousse de l’herbe démarrera plus tôt au printemps, avec des mises à l’herbe plus précoces et se poursuivra plus tard à l’automne – du moins si les parcelles restent assez portantes.

Bref, il va falloir revoir les pratiques… Des solutions existent déjà :

Modifier le calendrier cultural, avec des semis et des récoltes plus précoces.

Avoir recours à des variétés plus précoces, même si cela implique qu’elles sont moins productives.

Implanter de nouvelles cultures : des méteils, du sorgho (à la place du maïs) ou du maïs à des altitudes inédites jusqu’alors (jusqu’à 1 000 m dans certaines zones).

Constituer des stocks de sécurité plus importants pour passer les périodes sans pousse, mais aussi pour les années à aléas climatiques intenses, avec des cultures qui peuvent valoriser de courtes saisons de végétation. C’est le cas du méteil, récolté fin mai-début juin, avant la sécheresse estivale. Ou implanter des dérobées, en particulier un RGI capable de fournir une quantité importante de stock au printemps, voire de pousser l’hiver en cas de météo clémente.

Pour les prairies, avancer les dates d’apports d’azote, de la mise à l’herbe, de la récolte…

Pour les prairies temporaires, utiliser des mélanges d’espèces prairiales associant des légumineuses aux graminées afin de limiter les apports d’azote (trèfle, fétuque, dactyle, luzerne, ray-grass), plutôt qu’une culture pure. Pour chaque espèce, implanter des mélanges de variétés, afin d’étaler les dates et les modes de récolte (foin, ensilage, enrubannage) et mieux résister aux aléas en combinant des variétés qui n’ont pas besoin d’eau au même moment pour stabiliser le rendement de la prairie. « Les prairies devront produire davantage en été en zone tempérée, et durant l’automne et l’hiver en zone méditerranéenne, souligne Jean-Louis Durand, chercheur à l’Inra. La difficulté est de trouver un équilibre dans la durée entre espèces et variétés. »

Dans les zones de sécheresse estivale, préférer les plantes qui présentent une dormance l’été, mais qui pour autant ne sont pas moins productives sur l’année. Les variétés méditerranéennes sont intéressantes dans un mélange, car elles produisent souvent le plus précocement, et le plus tardivement. Elles sécurisent ainsi la production en années sèches et très sèches – sachant qu’elles ne seront pas intéressantes en année humide.

Dans les zones tempérées, il faudra continuer à sélectionner des variétés qui produisent en été et à l’automne, à l’instar du travail mené depuis 40 ans sur le ray-grass anglais.

L’irrigation sécurisera les cultures, mais aussi la pousse de l’herbe. Il faudra démultiplier les ouvrages de type retenues collinaires (lire p. 49).

Implanter des haies ou des arbres pour fournir un abri aux animaux contre le vent, le froid mais aussi la chaleur, leur offrir de l’ombre et maintenir des prairies plus fraîches.

Avoir du matériel interchangeable ou acheté en commun, pour répondre à la nécessité de souplesse et de diversification des ressources fourragères.

L’Inra planche depuis plusieurs années sur ces sujets, dans le cadre de programmes pluridisciplinaires. Climagie est de ceux-là. Clôturé en 2015, il avait pour but d’identifier les leviers génétiques pour adapter les prairies au changement climatique, et proposer des critères de sélection aux obtenteurs, afin de « fournir aux éleveurs des mélanges officiellement évalués », détaille Jean-Louis Durand, porteur du projet. « Dans certaines régions, on fera une croix sur la production estivale d’herbe. Il sera indispensable de semer des variétés méditerranéennes (fétuque, dactyle…), qui décalent leur production au printemps et à l’automne et sont capables de survivre à une sécheresse estivale (voir carte p. 46). Ce phénomène de survie est appelé dormance estivale. On pourrait récupérer une partie du déficit du cycle de production en croisant des variétés dormantes et d’autres plus productives. »

« Aujourd’hui, il n’existe pas de préconisations objectivées sur les meilleurs mélanges, qu’il s’agisse d’associations d’espèces ou de mélanges variétaux. Or la qualité de l’herbe et sa capacité à valoriser les ressources sont d’autant plus assurées que chaque espèce est constituée de plusieurs variétés de caractéristiques distinctes. » Les différentes variétés arriveraient à maturité de façon échelonnée, assurant un maintien de l’espèce dans le temps. Les chercheurs de l’Inra planchent sur les bonnes associations avec des obtenteurs.

Matières premières : la double peine

Pour les monogastriques, les répercussions sur les rendements seront lourdes de conséquences. « En volailles, l’impact du changement climatique est lié à 80 % à son impact sur les sources d’alimentation, rappelle Isabelle Bouvarel, de l’Itavi. Largement plus que l’effet de la hausse de température sur les animaux ! » Mais la baisse probable de rendement des cultures du fait du climat ne sera pas le seul écueil. La concurrence croissante entre l’alimentation humaine et animale obligera à utiliser davantage de matières premières et des coproduits moins riches à l’avenir, donc à trouver de nouvelles formulations.

Pour se prémunir de tels aléas, certains opérateurs ont déjà modifié leurs sources de matières premières pour sécuriser leurs approvisionnements, à l’instar de la coopérative Valsoleil (Drôme). « Pour ne pas être dépendante du marché extérieur et éviter ainsi des flambées de prix sur les matières premières, la coopérative travaille en circuits fermés et en quasi-autonomie, explique Yannick Charroin, responsable développement volailles de chair. Nous fabriquons nos propres aliments dans notre usine de Crest avec des céréales, blé et maïs, collectés exclusivement chez nos éleveurs adhérents. Nous n’achetons que les protéines et les minéraux. »

Un rythme différent

Par ailleurs, le mode de distribution de l’aliment est aussi un levier. En cas de forte chaleur, les animaux régulent leur température corporelle en réduisant leur production de chaleur métabolique, donc en mangeant moins. Il est donc judicieux d’adapter l’horaire des repas, en les distribuant plus tôt le matin et plus tard le soir. Mais qui dit prise alimentaire réduite, dit aussi performances moindres. Les filières devront donc anticiper un recul de la production de lait et de viande en été, quoique cet impact soit en partie compensé par le progrès génétique.

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Réchauffement climatique : L’élevage teste les bonnes parades