«La peur du changement, le risque de nouvelles infections et de la dégradation des taux cellulaires sont des freins évidents au déploiement du tarissement sélectif, reconnaît Philippe Roussel, co-coordinateur du projet RedAb de l’Institut de l’élevage (Idele). Mais bien préparée, cette pratique a fait ses preuves. »
Au moment du tarissement, quatre possibilités de traitements se présentent : antibiotique seul ou associé à un obturateur pour les vaches infectées, obturateur seul, ou sans aucune intervention pour les autres. Dotée d’une ligne de conduite a priori simple, l’élaboration de la stratégie sélective ne laisse que peu de place au hasard. Vache saine ou vache infectée ? Telle est la question !
Partir du taux cellulaire
Deux repères chiffrés sont actuellement fournis par l’Idele. Sont éligibles au tarissement sans antibiotique, les primipares et les multipares contrôlées respectivement à moins de 100 000 et 150 000 cellules/ml au dernier contrôle. « On se dirige même vers un seuil unique à 100 000 cellules/ml pour simplifier le message et sécuriser davantage », précise Philippe Roussel.
D’après une étude menée par l’Idele au début des travaux sur le tarissement sélectif en 2005, ce dernier seuil permet de traiter 90 % des vaches infectées par un pathogène majeur, contre seulement 55 % si le seuil d’intervention est monté à 300 000 cellules/ml. « Il faut absolument préférer une règle souple, quitte à traiter certaines vaches “saines” aux antibiotiques, plutôt qu’une règle spécifique qui laisserait bien plus de bêtes à risque passer au travers des mailles du filet, insiste Philippe Roussel. C’est d’autant plus important lorsque l’on débute afin de ne pas faire déraper la situation et se décourager. »
Au-delà de la concentration cellulaire individuelle (CCI), l’historique de la vache est également à considérer. « Il est conseillé de traiter systématiquement les animaux qui ont contracté une mammite clinique sur les quatre derniers mois de lactation », ajoute l’expert.
Analyse au quartier
Même si le tarissement au quartier est interdit, comme stipulé sur les autorisations de mise sur le marché des antibiotiques intramammaires concernés, descendre à l’échelle du quartier peut apporter une sécurité supplémentaire.
« À moins de 100 000 cellules/ml, on risque quand même la présence d’un pathogène majeur », souligne Olivier Salat, de la commission vaches laitières de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Le vétérinaire recommande ainsi de réaliser une analyse bactérienne complémentaire, plus fiable qu’un test CMT, pour toutes les vaches affichant une dernière CCI inférieure à 300 000 cellules/ml. Dans son cabinet auvergnat, « le coût s’élève à 8 €/vache pour l’analyse de deux échantillons, quartiers avant et arrière, et les premiers résultats arrivent en 24 à 48 h. »
Cette piste est également à l’étude dans l’entreprise de conseil BCEL Ouest. « Une CCI satisfaisante à l’échelle de la mamelle peut cacher un quartier malade susceptible, à terme, de contaminer les quartiers adjacents, appuie Lucie Pouchard. Il est important de porter un regard précis sur la mamelle afin de faire le choix le plus approprié possible. » Actuellement en test dans dix élevages bretons, le prélèvement intervient huit jours avant tarissement. « Si cela venait à se généraliser, le coût prévisionnel se situerait de 5 à 6 €/animal. »
Vache « supersaine »
Selon les résultats d’une étude BCEL Ouest menée sur 51 élevages, soit 1 619 vaches, présentés par Yannick Saillard aux Rencontres recherches ruminants (3R) en 2018, les vaches dites « supersaines » permettent de se rapprocher du risque zéro sur la période sèche, et ce indépendamment du traitement choisi au tarissement.
« Ces vaches, enregistrées à moins de 100 000 cellules/ml sur les trois derniers contrôles avant tarissement, conservent un niveau cellulaire significativement plus bas sur les quatre premiers contrôles après vêlage que les autres animaux situés au-dessous du seuil critique de 300 000 cellules/ml au moment du tarissement. » Pour Luc Manciaux, « même si cette sécurité limite le nombre de vaches éligibles, ces résultats peuvent rassurer et lancer certains éleveurs hésitants. »
« Tout est une histoire de prise de risque », résume Olivier Salat. Le choix de la sensibilité du seuil CCI est le fruit d’un arbitrage personnel qui doit également prendre en compte les facteurs de risques, à l’échelle de l’animal et de l’exploitation, pouvant provoquer une nouvelle infection sur la période sèche.
« Il est recommandé de faire appel à son vétérinaire ou son technicien afin d’affiner et d’adapter la stratégie sélective aux spécificités, notamment sanitaires, du troupeau et de l’élevage », conseille Philippe Roussel (voir encadré).
Pas de recette miracle
Dans la majorité des cas, les experts incitent les éleveurs à remplacer l’antibiotique par un obturateur sur les vaches « saines ». Appartenant à une gamme de prix légèrement inférieure, il limite la vulnérabilité de la mamelle face aux bactéries pathogènes environnantes. « Même dans le cadre d’un traitement antibiotique systématique, la pose d’un obturateur évite la fuite du produit », complète Olivier Salat.
Au-delà du traitement choisi, la réussite du tarissement sélectif est multifactorielle. Et puisqu’il est « fondamental de limiter les expériences négatives des éleveurs » comme tous s’accordent à le dire, il ne faut pas se cantonner à la simple évaluation des facteurs de risque au tarissement. Les constater, c’est bien. Les contenir, c’est encore mieux (voir pp. 69 et 70) ! Une approche globale permet ainsi de sécuriser, voire d’assouplir, sa stratégie.