Difficile de ne pas boire la tasse une fois plongé dans les profondeurs de la réglementation des cours d’eau. Zones de non traitement, respect des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) de la Pac, loi sur l’eau, directive nitrate… Si l’objectif de protéger l’eau, en quantité et en qualité est incontestablement louable, l’empilement des régimes juridiques appelle, une fois les pieds sur les berges, à la plus grande vigilance.

Sur le sujet spécifique de l’entretien et des aménagements, la loi sur l’eau soumet les opérations sur les cours d’eau à une déclaration ou une autorisation administrative (lire page 47), contrairement aux fossés dont les travaux échappent, par principe, à toute formalité. Ce qui n’est pas le cas si le fossé abrite des espèces protégées ou constitue un lieu de frayère ou d’alimentation piscicole.

La police de l’eau veille à la bonne application des règles qui, selon Thierry Miramont, inspecteur de l’environnement de l’Office français de la biodiversité en Auvergne-Rhône-Alpes, « sont respectées dans les campagnes ». Si les propriétaires riverains sont de bons élèves, cela ne les empêche pas d’être tétanisés lorsqu’il s’agit d’engager les travaux. « Au risque d’être sanctionnés, les propriétaires, les communes et les communautés de communes ne touchent à rien dès qu’il est question d’un cours d’eau », résumait un agriculteur présent à une réunion technique de la chambre d’agriculture de la Meuse (lire page 46). Le code de l’environnement impose pourtant une obligation d’entretien aux propriétaires, qui peuvent être, sous certaines conditions, substitués par les communautés de communes ou les syndicats de rivière.

Une cartographie
inachevée

À la complexité réglementaire s’ajoute l’incertaine garantie des cartographies sur lesquelles repose, en partie, l’application des textes. En témoignent l’affaire du maire de Versaugues en Saône-et-Loire (lire ci-contre) et celle du maire de Sainte-Florence en Gironde, condamné en 2016 pour avoir curé sans autorisation un cours d’eau qui s’est finalement avéré cartographié, trois ans plus tard, en fossé.

C’est par une instruction technique du 3 juin 2015 signée par Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, que les préfets ont dû procéder à une identification et une cartographie des cours d’eau. Un travail qui est plus ou moins abouti selon les départements et qui continue aujourd’hui. Il y a quatre ans, La France agricole avait rencontré Jean-Luc Gras, agriculteur dans le Nord, qui pointait du doigt les erreurs d’un projet de carte de la DDT(M) où des cours d’eau inexistants étaient cartographiés. Aujourd’hui, une partie des erreurs ont été corrigées, mais d’autres agriculteurs ont vu certaines de leurs demandes refusées.

Dans les zones non encore cartographiées ou en cas d’erreur sur la carte, le propriétaire peut demander, à l’aide d’un formulaire adressé à sa DDT(M), une expertise qui permettra de vérifier si le ruisseau remplit les trois critères cumulatifs qualifiant un cours d’eau au sens de la police de l’eau : la présence et la permanence d’un lit naturel à l’origine, un débit suffisant une majeure partie de l’année et l’alimentation par une source. Là aussi, tous les départements ne sont pas logés à la même enseigne. Si la DDT de la Mayenne exige par exemple une description très détaillée allant jusqu’à la présence de sable ou de gravier au fond du ruisseau, ou la date et la hauteur des dernières précipitations, d’autres départements, comme la Marne, demandent beaucoup moins d’éléments.

Le besoin d’harmoniser

Au défaut d’exhaustivité des cartes, se rajoute leur multiplication. La définition de la police de l’eau n’est pas la même que celle des autres réglementations. Ce qui explique que la carte des cours d’eau au sens des BCAE, consultable sur Télépac et le site geoportail.gouv, puisse être différente. Des efforts sont faits dans certains départements pour harmoniser les deux cartographies. Le chantier est en cours en Saône-et-Loire ou en Charente et terminé dans la Marne. Dans l’Allier et dans le Nord, les distinctions demeurent, par exemple.

Le besoin d’adopter une définition uniforme du cours d’eau pour toutes les réglementations est criant pour Benoît Grimonprez, professeur à l’université de Poitiers et auteur d’un livre sur le droit de l’eau (1). Une issue qui n’est pas près d’arriver en raison, selon lui, des « décalages de vues entre le politique, l’Administration et les scientifiques, et d’un cloisonnement des sujets au sein des ministères. Les équipes qui s’occupent de la police de l’eau ne sont pas celles qui s’occupent des BCAE ou des aspects phytosanitaires. » Par peur de risquer de boire la tasse en se regroupant peut-être ? En attendant, ce sont les agriculteurs et les propriétaires qui la boivent.

(1) Le droit de l’eau en milieu rural, Éditions France Agricole, 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

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