Il y a près de cinquante ans, le monde agricole a accepté de renoncer à son droit d’affût et de laisser aux chasseurs la gestion des prélèvements et le paiement des dégâts. À l’époque, la chasse avait près de 2,2 millions d’adeptes et la population de sangliers était limitée. « Ce système où les chasseurs sont les seuls à payer est à bout de souffle, clame Marc Meissel, président de la Fédération départementale de la chasse (FDC) du Var (26 600 sangliers abattus en 2015-2016). Ici, l’État nous impose d’énormes contraintes. Il nous oblige à chasser dix mois par an, se plaint-il. Ce n’est plus un plaisir, c’est un travail ! On arrive à saturation. » La facture des dégâts est salée : plus de 440 000 € en 2015-2016. Et l’autorisation de tirs de nuit faite à certains agriculteurs a mis le feu aux poudres. « Dans ces conditions, il n’y a pas de raison pour que les chasseurs paient les dégâts », tranche Marc Meissel.
Une trentaine de fédérations, comme celle du Var, proposent que la redevance cynégétique affectée au budget de l’ONCFS pour la police de la chasse soit utilisée pour compenser les dégâts. Ceci tout en gardant la main sur la régulation des espèces. « Nous souhaitons aussi que les agriculteurs aient l’obligation de se protéger s’ils veulent être indemnisés. Bien sûr, cette proposition doit être discutée avec l’ensemble des fédérations. » À la FNC, le discours est plus nuancé (lire l’interview ci-contre).
Multiplier les tirs
De leur côté, les agriculteurs n’en peuvent plus et veulent en découdre. « Il n’est pas normal que le loisir des uns détruise le travail des autres, dénonce Jean-Michel Granjon, éleveur laitier dans la Loire, représentant de la Confédération paysanne à la Commission nationale d’indemnisation (CNI). Si les paysans font face à des dégâts intenables, ce n’est pas un hasard. Les chasseurs en sont responsables. »
Pour lui, l’État doit imposer des règles strictes aux chasseurs et rejouer son rôle : rallonger les périodes de chasse, organiser des tirs par les lieutenants de louveterie, du piégeage… « Depuis 2014, les seuils pour demander une indemnisation ont été relevés (1). Des milliers de petits préjudices sont désormais exclus, ajoute Jean-Michel Granjon. Ces seuils doivent être abaissés, la procédure simplifiée, les barèmes revus pour couvrir les pertes réelles et la prévention prise en charge. »
Chasseur mais avant tout agriculteur en Haute-Saône, Thierry Chalmin reconnaît que le bilan de la réforme de l’indemnisation est en demi-teinte. Le représentant de la FNSEA à la CNI regrette que les règles soient interprétées différemment selon les fédérations. Il estime que « l’indemnisation devrait prendre en compte la réalité des dommages subis par les agriculteurs : bris de matériel, atteintes physiques et sanitaires aux animaux d’élevage, dégâts aux silos… Il faudrait aussi majorer les indemnités des produits agricoles à forte valeur ajoutée (viticulture ou vente directe...). »
Autre source d’inquiétude : l’augmentation des populations de cervidés. Selon Thierry Chalmin, l’esprit du protocole d’indemnisation est en train de se dénaturer, car les chasseurs rechignent de plus en plus à assumer l’ensemble des dégâts. « Ce changement d’attitude m’inquiète. À la FNSEA, nous voulons faire le point. »
Droit d’affût
Pour Lydie Deneuville, céréalière dans la Nièvre, « avant de parler d’indemnisation des dégâts, il faut s’en prendre à la population de grand gibier. À la Coordination rurale, nous constatons l’incapacité des chasseurs à réguler la faune sauvage. » Celle qui représente ce syndicat à la CNI estime qu’« il devrait y avoir une obligation de résultat pour la FNC quant à la maîtrise des populations, et une mutualisation entre les FDC qui ont les moyens et celles qui sont au bord de l’asphyxie. » Sur fond de crise agricole, le syndicat demande la suspension des seuils ouvrant droit à indemnisation, la gratuité du permis de chasser et des bracelets pour les exploitants. Il dénonce la partialité des estimateurs désignés et formés par les FDC et réclame que les barèmes d’indemnisation soient revus. « Dès lors que des dégâts sont constatés, l’agriculteur doit pouvoir récupérer son droit d’affût. Et il est intolérable que les clôtures soient à sa charge, même partielle, poursuit Lydie Deneuville. Enfin, tous les points noirs doivent être définis pour éviter que des FDC ne se soustraient à leurs obligations. »
(1) Accord FNC/FNSEA/APCA à l’origine du décret du 23 décembre 2013 qui définit la réglementation en vigueur. À noter que les syndicats minoritaires siègent à la CNI aux côtés de FNSEA/JA/APCA/ONCFS/ONF/forêt privée depuis 2014. En revanche, ils ne sont pas représentés à la Commission nationale de la chasse et de la faune sauvage.
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