«Les performances de production, de pérennité, de résistance aux adventices et maladies d’une luzernière ou d’une prairie multi-espèce sont conditionnées par la vitesse d’installation des plantes et du développement du système racinaire après le semis », insiste Pierre-Vincent Protin, ingénieur à la station expérimentale d’Arvalis à La Jaillère (Loire-Atlantique). Plusieurs facteurs doivent être pris en compte avant de réaliser le semis des légumineuses fourragères et prairiales.
1 Privilégier les variétés précoces
Le choix de l’espèce dépend d’abord du type d’exploitation de la prairie. Pour les prairies de fauche, mieux vaut privilégier la luzerne, le trèfle violet ou le sainfoin. En revanche, si la prairie est pâturée, le trèfle blanc sera préféré, du fait de sa végétation rase. Étant donné que les légumineuses ont un départ de végétation tardif, le spécialiste conseille de choisir des variétés précoces. Elles permettront aussi d’esquiver les périodes de sécheresse. Sur ce point, la luzerne est performante car son système racinaire lui permet de chercher l’eau en profondeur. Elle a aussi une bonne tolérance face aux températures élevées. Le trèfle violet supporte moins bien le stress hydrique. Quant au lotier, il est adapté à des milieux peu fertiles et très séchants.
2 Parcelle aérée au pH élevé
Les légumineuses craignent l’humidité, donc les sols peu drainants et les excès d’eau. En effet, les bactéries présentes dans les nodosités au niveau des racines, qui permettent la fixation symbiotique de l’azote atmosphérique, ont besoin d’une structure du sol favorisant les échanges gazeux. De même tout compactage du sol limitera le développement des nodosités, qui sont localisées dans les 15-20 premiers centimètres, et la profondeur d’enracinement. Des différences existent entre les espèces de légumineuses. La luzerne et le sainfoin sont les plus sensibles aux sols humides (voir le tableau ci-contre). Les trèfles supportent moyennement les sols séchants.
Autre élément à prendre en considération avant d’implanter la prairie : le pH du sol, car il joue un rôle pour la mise en place des nodules fixateurs d’azote sur les plantes. Mis à part le lotier et le trèfle violet, plus tolérants, les légumineuses fourragères préfèrent les terres à pH élevé (>6,5-7). Si l’analyse de sol fait état d’une acidité, il faut apporter en été de la chaux ou du carbonate pulvérisé pour remonter le pH. « En cas de chaulage de redressement juste avant une luzerne (pH <6), un apport de 1 t/ha de CaO est recommandé, développe Pierre-Vincent Protin. Attention toutefois aux apports trop conséquents pour ne pas bloquer les oligo-éléments indispensables tels que le bore, le magnésium, le cuivre et le molybdène. »
Les légumineuses fourragères et prairiales apprécient aussi les sols bien pourvus en phosphore et, dans une moindre mesure, en potasse. « La disponibilité en phosphore à la germination est primordiale pour une bonne installation de la culture car il favorise l’enracinement à l’implantation, détaille Arvalis. La dose et la fréquence des apports sont à adapter selon les résultats de l’analyse de terre réalisée avant l’implantation. Les engrais de ferme riches en potasse et en phosphore devront être valorisés en priorité. On privilégiera les fumiers vieillis et composts à l’automne après la dernière coupe, qui bénéficient à la fois d’une meilleure portance et minimisant les risques sanitaires.
3 Soigner le lit de semences
La petite taille des graines de légumineuses et le peu de réserves disponibles pour la germination et la levée renforcent la nécessité de soigner le lit de semences, avec un bon rappuyage avant et après le semis. Le roulage se fait avec un cultipacker ou croskill pour obtenir un relief de surface favorable à la levée. Les mottes ne doivent pas dépasser 0,5 cm afin d’assurer un contact étroit entre la graine et les particules de terre. « Pour un lit de semences idéal, il faut privilégier le labour », relève Pierre-Vincent Protin. Deux à trois passages d’outils à dents suffisent pour émietter la terre.
Dans le cas d’un semis sans labour, un travail très superficiel (< à 5 cm) permet d’enfouir et de répartir les pailles et de préparer le lit de semences. « Il limite le dessèchement du sol et facilite les repousses. Ces dernières seront détruites au moment du semis de la légumineuse », poursuit l’ingénieur. Par ailleurs, selon lui, le semis direct peut être aussi envisagé, « à condition de bien maîtriser la technique depuis plusieurs années sur d’autres espèces moins sensibles ». Dans ce cas, un semis à dent est préférable afin de placer les graines sur de la terre fraîche, sans contact avec la paille. Quoi qu’il en soit, le semis doit être superficiel. « Entre 0,5 et 1 cm est un bon compromis », estime le spécialiste.
4 Besoins en lumière élevés
Les légumineuses ont des besoins en lumière élevés et en températures modérés, « ce qui conditionne la date d’implantation », précise Arvalis. Ainsi, la luzerne possède un optimum de température compris entre 18 °C et 25 °C pour la germination et entre 20 et 30 °C pour le développement et la croissance des plantules.
« Dans les zones fourragères du Grand-Ouest par exemple, nous préconisons un semis le plus tôt possible en fin d’été, soit du 15 au 20 août, dès le retour des pluies, pour mettre toutes les chances de notre côté, soutient Pierre-Vincent Protin. Si, à la levée, il fait trop sec, on perd rapidement des pieds. » En tout cas, ne pas dépasser la mi-septembre pour une luzerne. Les semis de fin d’été doivent permettre d’atteindre le stade 2-3 feuilles trifoliées avant l’arrivée des premières gelées. Dans l’est de la France ou en altitude, il faut semer de préférence après une céréale à maturité précoce, comme l’orge d’hiver, avec comme date limite le 30 août. Plus au sud, une implantation fin août-début septembre est à privilégier.
Les doses de semis sont fonction de l’espèce et du peuplement recherché, du nombre de graines par kilo de semences et du taux de perte moyen (entre 20 et 50 %). En cas de semis de fin d’été ou de lit de semences hétérogène, il faut retenir la fourchette haute de densité de semis (voir le tableau page précédente).
5 Limiter le salissement
Une date et une profondeur de semis bien adaptées assurent une levée la plus rapide possible. Objectif : avoir une production fourragère précoce mais aussi une prairie compétitive vis-à-vis des mauvaises herbes avant l’entrée de l’hiver. Parmi les adventices les plus préjudiciables figurent les renouées et le pâturin. Ce dernier continue sa production l’hiver alors que la légumineuse est au repos végétatif. La pratique du faux-semis assure un premier nettoyage des mauvaises herbes avant l’implantation. En cas d’infestation, une intervention sera nécessaire sur des adventices peu développées. L’application sera donc effectuée le plus tôt possible en postlevée précoce, avec un produit adapté à la flore présente. « Il faut passer régulièrement dans la parcelle pour observer les mauvaises herbes en cours de développement et décider d’un éventuel rattrapage », insiste Pierre-Vincent Protin. Pour les associations, le désherbage est généralement impossible à cause de l’absence d’herbicides homologués à la fois sur les graminées et les légumineuses.
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