Faisant suite à la loi d'avenir agricole, les juristes s'inquiètent des nouveaux pouvoirs accordés à la Safer. En particulier son droit de préemption lors de la vente de la totalité des parts ou actions d'une société.
Le texte dispose en effet que les Safer peuvent « exercer leur droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de la totalité des parts ou actions d'une société ayant pour objet principal l'exploitation ou la propriété agricole, lorsque l'exercice de ce droit a pour objet l'installation d'un agriculteur ».
Problème : « En quoi le marché des cessions d'exploitation, sans vente de foncier, répond-t-il à l'objectif légal des Safer ? Et comment sera gérée l'entreprise durant la période de détention des parts sociales ? », s'est interrogé Me Denis Guerard, avocat à Beauvais, lors d'un colloque organisé par l'antenne picarde de l'Association française de droit rural (AFDR), le 19 septembre 2014 à Eu (Seine-Maritime). En outre, « l'exercice de ce droit de préemption prime-t-il les règles du contrat de société qui soumettent la cession des parts sociales à l'agrément de tous les associés ? » Quant au sort des Gaec et des EARL, qui ne peuvent accueillir que des associés personnes physiques, « la Safer devra envisager une transformation en sociétés civiles de droit commun, ou agir par voie de substitution d'acquéreurs », préconise l'avocat. Autant de zones d'ombre ignorées par le législateur...
La vente de 99 % des parts, au lieu de la totalité, sera-t-elle un moyen de contourner la loi ? « Non, estime Me Denis Guerard, car la Safer pourra toujours agir en nullité sur la base de la fraude... »
Recours constitutionnel
Présent lors de ce même colloque, Stéphane Hamon, directeur de la Safer de la Basse-Normandie, a tenté de rassurer les participants en rappelant que son institution dispose depuis 1999 de la possibilité d'acquérir à l'amiable des parts sociales. « C'est pour mieux contrôler le marché que le législateur a permis de préempter sur la totalité », a-t-il justifié, tout en reconnaissant la nécessité de préciser les modalités d'application d'un tel pouvoir, au regard du grand flou qui l'entoure.
Il est à noter que le groupe de l'UMP à l'Assemblée nationale a saisi le Conseil constitutionnel pour dénoncer ce nouveau droit de préemption, en avançant notamment « le risque de contraindre les associés et le rétrocessionnaire qui sera choisi par la Safer de s'associer, en méconnaissance du principe de l'affectio societatis qui est un élément essentiel de la liberté contractuelle ». Un argument qui ne laisse aucune chance au recours d'aboutir, selon Me Denis Guerard, puisque la mesure porte sur la vente de la totalité des parts sociales, et non sur leur partage. Etonnant raté de la part des élus de l'opposition !