Manifestation à Paris
Des paroles d'agriculteurs recueillies place de la Nation
Venus des quatre coins de France manifester ce 3 septembre à Paris, des agriculteurs témoignent de leur situation et de leur déception face aux mesures annoncées par le Premier ministre.
Venus en bus depuis l'Aveyron, un éleveur témoigne au pied de la statue de la place de la Nation à Paris décorée aux couleurs de son département. « Nous sommes mobilisés depuis des mois contre l'extension des zones vulnérables. Je suis monté à Paris, car on a l'impression de ne pas être écouté en local. » Cet éleveur allaitant, en Gaec avec son frère et son fils, se dit inquiet des conséquences de la sécheresse. « Moi, avec mon système extensif, je ne me plains pas trop. Mais comment vont faire les laitiers qui n'ont pas de stocks fourragers ? L'automne va être très difficile. »
Malaise chez les céréaliers aussi
Les céréaliers étaient présents sur la place de la Nation jeudi. Ceux de l'Oise étaient d'abord là pour « faire bloc ». S'ils espéraient que les éleveurs obtiennent quelques aides d'urgence pour sortir la tête hors de l'eau, ils attendaient surtout une vision à long terme pour l'agriculture française en général. Car les céréales ne sont pas épargnées par la crise : « Cette année, les rendements et la qualité est bonne, mais les prix ont chuté : je produis du blé à 160 €/t alors que la cotation rendu Rouen est tombée à 150 €/t », témoigne un céréalier. Il s'inquiète aussi de la dérégulation des marchés sucriers, vu l'état dans lequel a plongé le marché du lait depuis la fin des quotas.
« La solution n'est pas simple », renchérit un collègue, qui ne sait pas s'il faut miser sur l'exportation ou se concentrer sur le « manger français ». Il reprend le leitmotiv du leader de la FNSEA : « Moins de normes pour être compétitifs. » Pourtant, ces céréaliers, qui refusent tout clivage qui les opposerait aux éleveurs, restent nuancés : « Faut pas croire qu'on est forcément pour une libéralisation à tout va, ni qu'on s'agrandit pour le plaisir. Pour un modèle de ferme familiale à taille humaine, je signe tout de suite ! Mais s'il faut se battre avec les ex-kolkhozes de l'Allemagne de l'Est, si ce sont ces gigantesques fermes qui donnent le ton, on ne s'en sortira pas... ».
« Nous subissons une surenchère de normes : directive nitrates, plan Ecophyto qui vise à réduire de 50 % l'usage des phytos d'ici à 2025... expliquent aussi Philippe, venu de la Côte-d'Or, et Benoît, céréalier dans la Marne. « Mieux utiliser les phytos et si possible en utiliser moins, pour la santé de tous et pour l'environnement, nous sommes d'accord. Nous vivons dans notre environnement, nos enfants y grandissent, nous sommes responsables. Mais il faut chercher à réduire l'impact sur l'environnement avant de chercher juste à réduire les phytos ! Il faut rester performant et compétitif ! »
Didier, céréalier dans l'Isère, est, quant à lui, venu en train de Grenoble pour dénoncer les distorsions de concurrence avec les autres pays européens en matière de cotisations de MSA, d'homologation différentes de produits phyto, de coût de la main-d'oeuvre... Pour lui, la sécheresse subie depuis ce printemps a aussi fortement affecté ses rendements. Un triste constat qui s'ajoute aux prix en chute depuis deux mois. Les mesures de report proposées par le gouvernement ne le satisfont pas. « Ça ne fait que repousser le problème. » Ça fait quatre ans que ce jeune agriculteur s'est installé, certains jours il regrette. « Je passe trop de temps à remplir des papiers, à répondre aux normes, comme les SIE dernièrement. » Pour Didier, ce sera la cinquième manifestation depuis le début de juillet. « Il faut que ça bouge », implore-t-il presque. Comme beaucoup, il sera à Bruxelles le 7 septembre pour la grande manifestation européenne.
67 tracteurs et cinq bus ont aussi fait le déplacement de l'Aisne vers Paris. Parmi eux, Didier Roux, céréalier, juge les annonces « timorées ». Sa principale motivation pour participer à la manifestation : le ras-le-bol du trop-plein de normes. « Quand les normes prennent le pas sur les alternatives techniques, nous sommes dans l'impasse, comme par exemple pour les traitements du colza », surenchérit un collègue du département, Thibault Colzy. Pour Bernard, venu de l'Aisne en tracteur, 250 km aller-retour, les mesures ne suffisent pas. « On veut des prix, moins de charges et moins de cotisations sociales. »
Un peu plus loin discutent trois jeunes céréaliers du Bassin parisien. L'un arbore un t-shirt Coordination rurale, l'autre un autocollant FDSEA-JA, le troisième n'a pas d'étiquette. « Les clivages on s'en fiche, on a tous les mêmes problèmes », expliquent-ils en substance. Ce qu'ils attendent ? Ils ne savent pas bien. Ce qu'ils dénoncent : « Trop de normes, et pas de visibilité sur notre métier. »