Les saluts sont chaleureux et le sourire aux lèvres. Le soleil est là, éclairant la salle où entreront les invités du jour. Les derniers se font encore attendre. Certains patientent, en s’interrogeant sur la date des prochains travaux à mener dans leurs parcelles, d’autres s’inquiètent du manque d’eau annoncé par Météo France pour cet été. Il plane dans cette salle du château d’Oraison une ambiance de rentrée des classes, où l’empressement de commencer se joint au plaisir de se retrouver, sauf qu’ici, les enfants sont grands. Ils représentent la Safer, la chambre d’agriculture, des banques et des assureurs, des syndicats agricoles, des collectivités territoriales ou le conservatoire d’espaces naturels. Ensemble, ils forment, ce 25 mars 2019, le comité technique départemental des Alpes-de-Haute-Provence de la Safer Paca.
Visions opposées de l’agriculture
L’année scolaire sera courte. Elle durera une journée, le temps accordé pour leur réunion exceptionnelle de printemps. Leurs devoirs du jour ? Examiner les dossiers des candidats à l’achat des terres et des exploitations cédées par la Safer Paca dans le département, selon les critères d’attributions posés par le code rural, et la stratégie qu’elle a défini.
Leurs avis conditionneront fortement l’avenir d’exploitants comptant sur ce foncier, pour lequel ils ont postulé afin de s’installer ou s’agrandir. Ce comité technique, la Safer Paca a décidé de l’ouvrir à la presse. C’est pour son président, Patrice Brun, l’une des réponses aux critiques et au besoin de transparence réclamé. Une ouverture à la presse qu’elle est la seule à pratiquer.
La disposition en U des membres du comité technique rappelle celle d’un amphithéâtre. L’orateur central ? Le conseiller technique de la Safer qui présente, vue aérienne projetée au mur à l’appui, les parcelles à rétrocéder. Il l’accompagne d’une description de l’identité des candidats et des différents projets d’exploitation qu’ils portent.
Les discutions qui suivent donnent l’occasion d’assister à des débats opposant plusieurs visions de l’agriculture. Les échanges entre les représentants syndicaux de la Confédération paysanne, de la FNSEA et Jeunes Agriculteurs n’y échappent pas. Pour autant, les désaccords restent minoritaires. Sur les dix-sept dossiers présentés cette journée, trois comptaient plusieurs candidats en concurrence. « C’est dans la moyenne », commente Laurent Vinciguerra, directeur départemental de la Safer des Alpes-de-Haute-Provence. Le vote, appelé à l’oral par le président, ne donne pas lieu à de grandes difficultés. Il est la plupart du temps rapide.
Commission locale
Lorsque des positions s’opposent ou qu’une interrogation survient, l’avis de la commission locale, qui a rencontré en amont les candidats, est exposé. Présentée comme « officieuse » et associant des acteurs et élus locaux, celle-ci émet une proposition sur le choix du candidat à retenir. Quant à l’avis voté par le comité technique, il servira au conseil d’administration régional de la Safer pour décider de la rétrocession en accord avec les représentants des ministères de l’Agriculture et des Finances. « C’est très rare que les administrateurs ne suivent pas le comité technique, explique Laurent Vinciguerra. Cela arrive une fois tous les dix ans. »
Les choix d’attribution de la Safer Paca traduisent une véritable politique interventionniste. Celle-ci multiplie, depuis plus de dix ans, les acquisitions à l’amiable ou l’usage de son droit de préemption. L’objectif est d’éviter une flambée du marché du foncier, exposé à une très forte pression. Pour autant, son président insiste sur le fait que l’achat par préemption reste marginal. En 2017, la Safer Paca avait réalisé 190 préemptions sur 1 197 acquisitions.
« Ma candidature montre qu’ils n’aident pas toujours les plus gros »
Donovan Capian, éleveur de 250 brebis et chèvres
Après plusieurs années de recherches, Donovan Capian a acquis 15 hectares de foncier auprès de la Safer. Il était loin d’être le seul candidat.
« C’est la première fois que je le faisais. J’ai postulé sans trop y croire, et ça a marché. » Donovan Capian peut avoir le sourire ce 25 mars. En répondant à l’appel à candidatures diffusé par la Safer Paca en juillet 2017, l’éleveur de 250 brebis et chèvres s’était dit qu’il n’avait rien à perdre. Bien lui en a pris. Le 7 juin 2018, il signait avec la Safer l’achat de 15 hectares de terres, situés près de la Durance, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Une acquisition qui sonna la fin de plusieurs années de recherches dans un secteur très demandé. Douze autres porteurs de projets avaient postulé, intéressés par ces parcelles vendues par la Safer.
Des a priori oubliés
« La précarité de ma situation a joué en ma faveur, explique le jeune éleveur de vingt-cins ans. Je n’étais pas propriétaire de terres et je faisais paître mes bêtes essentiellement sur des parcours. La situation faisait que je pouvais tout perdre du jour au lendemain. » Grâce à ces 15 hectares, son assise foncière et la pérennité de son exploitation ont été assurées. Il y a construit un tunnel d’élevage.
« J’avais des a priori sur la Safer, mais maintenant je ne peux plus avoir de critiques, explique Donovan. Cela montre que la Safer n’aide pas toujours les plus “gros”, elle accompagne aussi les “petits”, comme moi. »
L’histoire ne s’est pas arrêtée là. La Safer l’a également accompagné pour devenir locataire de 90 hectares de pâturage, situés aux abords de la Durance, et à moins de 200 mètres de ses 15 hectares. Propriétaire, l’État lui loue au titre de deux conventions d’occupation. Une aubaine pour Donovan et la démonstration pour Laurent Vinciguerra, directeur départemental des Alpes-de-Haute-Provence, « qu’on peut partir de rien pour créer une véritable et solide assise foncière ».
A.M.
Contester ne garantit pas l’attribution
Lorsque la Safer acquiert du foncier, son droit de propriété n’est que temporaire. Elle doit vendre le bien dans les cinq ans suivant son acquisition. Lors de la rétrocession des parcelles, un appel à candidatures est publié en mairie, durant au minimum quinze jours, et dans deux journaux départementaux. Les Safer diffusent également leurs offres sur leur site internet. Toute personne peut se porter candidate, certaines sont prioritaires, notamment les jeunes agriculteurs bénéficiant d’une aide à l’installation.
Après l’arrêt du choix du candidat, la Safer est tenue de procéder à une nouvelle publicité. Tous les postulants non retenus recevront une lettre recommandée, précisant les motifs qui ont déterminé son choix. La décision est contestable seulement si elle ne respecte pas les règles légales de forme et de fond. Pour avoir la capacité à agir, le candidat non retenu doit avoir fait une offre au prix fixé par la Safer. L’action se déroule devant le tribunal de grande instance, qui va regarder la légalité de l’acte. Il ne statue pas sur le choix du candidat à la rétrocession. S’il juge l’acte illégal, le tribunal annulera la vente. La Safer procédera à une autre rétrocession en lançant un nouvel appel à candidatures. L’annulation de la cession n’entraîne pas l’attribution du bien à celui qui l’a contesté. Les compteurs sont remis à zéro.