Les prix des céréales repartent de plus belle cette semaine avec des achats de blé français par l’Égypte sur fond d’inquiétudes grandissantes concernant la situation en Ukraine. Les discussions concernant les importations européennes de pétrole russe et les disponibilités de l’Opep, la montée du prix des huiles végétales, poussent aussi le colza à la hausse.

Les prix du blé repartent en forte hausse

Virage marqué cette semaine pour les prix du blé qui rebondissent très fortement à plus de 400 €/t sur le Matif et sur le marché physique. L’échéance de mai 2022 du Matif clôturait à 401,00 €/t hier soir — le marché à terme est fermé ce vendredi 15 avril 2022 et lundi. Rendu Rouen, le blé français vaut 402,25 €/t (base juillet). Les prix ont donc grimpé de près de 40 €/t pendant la semaine. La hausse s’est produite de lundi à mercredi, les prix se stabilisant hier à la veille de la fermeture des marchés pour le week-end pascal.

 

Plusieurs éléments que nous mentionnons ci-dessous ont contribué à la hausse. Cette dernière semble quand même assez surprenante par rapport à la situation de l’offre et de la demande. En fait, le marché est extrêmement fébrile dans ce grave contexte de guerre en Ukraine au point d’influencer les prix au-delà de ce qui est habituel.

 

La durée du conflit en Ukraine est bien sûr le principal élément qui continue de soutenir les prix : même si la Russie se désengage du nord de l’Ukraine, elle reste bien présente à l’est et au sud. Et il apparaît de plus en plus certain que les exportations de l’Ukraine resteront handicapées pour une très longue période.

 

Le maintien de conditions sèches dans les plaines de blé d’hiver aux États-Unis constitue un autre élément de soutien pour les prix américains et, dans leur sillage, les prix européens. Cela conduit à revoir en baisse la prévision du rendement des blés d’hiver aux États-Unis. Néanmoins, il pleut actuellement dans le nord de ce pays. Ce qui s’avère de bon augure pour les semis de printemps même s’ils s’en retrouvent légèrement décalés.

 

Dans l’Union européenne, les conditions restent sèches en Italie, dans le Sud-Est aussi mais la situation est globalement bonne. En Allemagne par exemple, l’association des coopératives a publié hier une première estimation de récolte en nette hausse par rapport à celle de l’an dernier : 22,7 millions de tonnes contre 21,3 en 2021.

Des achats de l’Égypte et l’Algérie cette semaine

Enfin, et c’est sûrement ce qui a mis le feu aux poudres cette semaine, l’Égypte est revenue aux achats après avoir annulé deux appels d’offres depuis le début du conflit en Ukraine. Et non seulement elle est revenue sur la scène internationale, mais elle a acheté un très gros volume (par rapport à l’habitude) de blé français : 4 bateaux, soit 240 000 tonnes pour chargement à la fin de mai, à un prix de 492,25 $/t à destination. Lors de ce même appel d’offres l’Égypte a acheté aussi 50 000 tonnes de blé bulgare à 480 $/t à destination et 60 000 tonnes de blé russe à 460 $/t (à destination aussi).

 

Outre le volume important de blé français impliqué, cet achat est riche d’enseignements : la plupart des offres étaient des offres françaises : 6 offres françaises de 50 000 ou 60 000 tonnes chacune. Les autres offres étant au nombre de trois seulement : 50 000 tonnes bulgares, 60 000 tonnes allemandes offertes moins chères que le blé français et 60 000 tonnes russes.

 

L’Égypte n’avait donc pas un large choix à sa disposition. Les offres russes étaient plutôt aux abonnés absents (ou presque) et l’offre bulgare limitée en raison sûrement de la difficulté de trouver de gros tonnages avec 11,5 % de protéines.

 

Depuis cet achat, l’Égypte a par ailleurs annoncé deux décisions importantes : selon l’agence de presse nationale égyptienne, citant le ministre de l’Agriculture égyptien, le pays vient d’autoriser l’Inde comme origine pour ses futures importations de blé. Une délégation égyptienne a réalisé récemment une visite en Inde pour étudier la question et cette autorisation semble être la conclusion du travail mené. Il n’est pas sûr que l’Inde exporte du blé à l’Égypte cette campagne, mais cela est très probable pour la campagne de 2022-2023, d’autant plus que la récolte indienne (en cours) s’annonce de nouveau très élevée.

 

Par ailleurs, le gouvernement égyptien vient d’annoncer qu’il était en train de considérer la possibilité d’acheter du blé en dehors des appels d’offres classiques. Cela est déjà le cas pour les opérateurs privés mais pas encore pour l’État, qui achète toujours via son agence d’importation le Gasc. Si cette possibilité est confirmée, cela signifie que les exportateurs pourront soumettre des offres directement, au « ministre de l’offre », sans attendre les appels d’offres. L’ensemble de ces éléments semblent indiquer que l’Égypte, très en retard dans ses achats sur la campagne en cours, cherche tous les moyens possibles pour rattraper quelque peu ce retard.

 

Enfin, l’Algérie a aussi acheté du blé cette semaine. L’attente des résultats a sûrement contribué à la hausse des prix français, mais finalement le pays semble plutôt avoir acheté des blés bulgares et roumains (120 000 tonnes au total). Néanmoins, l’achat a été fait sur une base optionnelle donc nous n’avons pas la certitude que le blé français ne figurera pas parmi les origines retenues.

L’orge fourragère propulsée aussi vers le haut

L’orge fourragère de l’ancienne récolte vient de gagner 36 €/t rendu Rouen cette semaine, à 393 €/t (base juillet). Elle a suivi le blé, mais sa hausse reflète aussi les très grosses exportations qui sont parties en direction du Maroc au cours du mois de mars. Actuellement deux bateaux sont en partance pour la Chine (60 000 tonnes dont 45 000 tonnes chargées à Rouen et complétées par 15 000 tonnes à La Pallice) et l’Algérie (31 500 tonnes à La Pallice).

 

L’activité à l’exportation au départ de la France est soutenue et nous avons relevé ce mois notre estimation à 3,5 millions de tonnes (+0,2 million de tonnes). Nous prévoyons les stocks d’orge en fin de campagne en France à 1,1 million de tonnes, avec un potentiel de baisse si les exportions doivent encore être relevées. Ces stocks seront plus élevés que l’an dernier mais modérés néanmoins. FranceAgriMer les a estimés à 1,3 million de tonnes lors de son conseil mensuel, cette semaine.

 

Du côté brassicole, l’évolution des prix reste bien différente. Les orges d’hiver ont perdu 20 €/t à Creil cette semaine à 380 €/t (base juillet) et les orges de printemps sont restées stables, à près de 420 €/t. Les prix reflètent la concurrence argentine montée en puissance vers la Chine et l’arrivée aussi d’un chargement australien de 41 750 tonnes aux Pays Bas.

Les prix du maïs hésitants mais toujours élevés

Les prix du maïs français ont réduit l’écart entre la cotation Fob Rhin qui perd 9,00 €/t sur une semaine à 343,00 €/t, et la cotation Fob Bordeaux qui gagne 1,50 €/t, à 333,00 €/t (base juillet). Les prix des maïs américains ont, quant à eux, augmenté (+6,5 $/t, à 352 $/t Fob Golfe), soutenus par une demande à l’exportation et intérieure forte et par des semis qui démarrent trop timidement.

 

L’actualité de la semaine a été marquée par l’annonce de Joe Biden de vouloir autoriser l’utilisation du E15 (éthanol à 15 %) sur les mois d’été alors que normalement seul le E10 est autorisé. Cette mesure vise à contenir la montée des prix de l’essence outre Atlantique. Elle pourrait donc soutenir la consommation de maïs dans le pays même si l’impact pourrait s’avérer assez limité. Cette mesure met en avant l’intérêt du maïs pour la production d’éthanol dans un contexte où le pétrole est très cher, avec à la clé des conflits d’usages possibles avec la filière animale et la filière de l’exportation du géant américain.

 

Un autre élément haussier pour le marché est un achat de plus de 1 million de tonnes de maïs américain par la Chine. Cela montre que Pékin cherche à remplacer l’origine ukrainienne. Quelques craintes commencent à émerger au Brésil sur les conditions de croissance de la deuxième récolte qui sera engrangée cet été. Quelques zones commencent à être concernées par un déficit hydrique même si jusque-là les conditions ont été majoritairement très bonnes.

 

Les bonnes conditions de croissance pour la deuxième récolte se maintiennent en revanche au Paraguay. Sur l’hémisphère Nord, les semis débutent tout juste en cette mi-avril aux États-Unis et en Europe. En Ukraine, les dernières estimations officielles font état de 5 % d’avancée des semis mais par rapport à un objectif de surface qui est très incertain : de 2,7 à 3,9 millions d’hectares selon les scénarios contre 5,5 millions d’hectares semés en 2021.

Le colza franchit à nouveau la barre des 1 000 €/t en France

Cette semaine, les cours français du colza n’ont cessé de croître et dépassent de nouveau les 1000€/t ! Ils atteignent 1005 €/t rendu Rouen et 1015 €/t en Fob Moselle, augmentant respectivement de 44 €/t et 52 €/t entre le 8 et le 14 avril. Ces fortes hausses résultent notamment de l’augmentation des prix du pétrole et des huiles végétales (palme, soja, colza).

 

Concernant le pétrole donc, le prix du baril a augmenté de 10 $ cette semaine, à la suite de l’allègement des mesures sanitaires en Chine soutenant ainsi la demande. De plus, alors que l’Union européenne réfléchirait à un éventuel embargo sur le pétrole russe, les pays de l’Opep ont annoncé aux pays européens qu’ils ne pourraient pas compenser la perte des barils en provenance de Russie. Les sanctions actuelles et futures pourraient potentiellement diminuer les exportations russes de 7 millions de barils par jour (selon Mohammad Barkindo, secrétaire général de l’Opep).

 

En conséquence, les prix des huiles végétales (notamment l’huile de palme) ont augmenté, devenant des options attrayantes pour la production de biodiesel afin d’offrir une alternative au pétrole russe. Enfin, les prix des huiles végétales ont également progressé en raison des grèves des transporteurs argentins (ayant finalement pris fin jeudi soir) alors même que les perspectives d’approvisionnement en huile étaient déjà très serrées cette année, avec le manque de disponibilité en colza et la guerre en Ukraine (la Russie a par ailleurs annoncé que les négociations de paix étaient dans l’impasse).

Nouvelle hausse des prix du soja

Le soja regagne du terrain sur les marchés internationaux en une semaine. À Chicago, le cours progresse de 13 $/t sur le rapproché (618 $/t) et sur l’éloigné (568 $/t sur septembre). Le Fob brésilien gagne 12 $/t sur le rapproché (670 $/t) et 14 $/t sur septembre (650 $/t). Les prix ont pu trouver un peu de soutien auprès de la campagne de semis aux États-Unis qui commence timidement. En effet, l’humidité un peu excessive des sols pourrait un peu retarder par endroits les semis. Actuellement, l’USDA prévoit pour la prochaine campagne une hausse de 4 % de la surface semée par rapport à la campagne précédente.

 

En Argentine, 15 % des surfaces sont récoltées. Dans sa publication du 13 avril, la Bolsa de Cereales a maintenu sa prévision de production à 42 millions de tonnes. Néanmoins, l’organisme précisait que les épisodes de gels de la fin du mois de mars et du début d’avril le conduiraient peut-être à revoir en baisse son estimation prochainement. Au Brésil, la récolte est avancée à plus de 85 %.

 

L’USDA partageait cette semaine un document spécifique aux cultures brésiliennes. La prévision de surface pour la prochaine campagne y est prévue en progression, à l’instar des États-Unis. Aux États-Unis comme au Brésil, le coût des intrants incite les agriculteurs à prioriser le soja face au maïs. En Uruguay, où assez peu d’informations circulaient lors de la campagne, il semble que le pays n’a pas trop souffert de la sécheresse de décembre et janvier, la production pourrait avoisiner les 2,5 millions de tonnes, au contraire du Paraguay qui a vu sa production divisée par 2.

Légère baisse des prix du tourteau

En une semaine, les cours du tourteau de soja diminuent quelque peu sur le rapproché : -8 $/t à Chicago (509 $/t), -4 €/t à Montoir (570 $/t), -3 $/t sur le Fob Argentin (519 $/t). La compétitivité du tourteau de soja dans les rations face aux autres tourteaux et aux céréales se maintient au niveau mondial, et les cadences de trituration américaines – nord et sud – se poursuivent, mais ne compensant pas totalement la faiblesse constatée en Chine.

 

Sur les mois d’octobre à janvier, la trituration des quatre premiers acteurs mondiaux (Chine, Brésil, États-Unis, Argentine) est en baisse de 4 % par rapport à la campagne précédente. Une faiblesse se dessine également sur les exportations de tourteau argentin, en retard de 30 % par rapport à la campagne précédente sur la base des statistiques douanières disponibles (trimestre d’octobre à décembre).

 

Les exportateurs argentins font face à différents vents contraires :

  • Révision désavantageuse des taxes à l’exportation sur les produits de la trituration il y a un mois ;
  • Retour des bas niveaux d’eau sur le fleuve Paraná alors que la saison sèche démarre pour plusieurs mois, après un hiver trop sec, ce qui ne manquera pas de générer des retards et des surcoûts logistiques ;
  • Une grève des camionneurs qui a brièvement perturbé les flux de matières premières.

Les prix du pois continuent de grimper

Sur la semaine, le prix du pois fourrager départ Marne pour la campagne en cours a augmenté de 5 €/t à 405 €/t, dans le sillage du blé. La hausse des prix pour la nouvelle campagne a été plus marquée (+33 €/t) à 418 €/t départ Marne. En tenant compte des cours des tourteaux de soja et du blé fourrager sur la nouvelle campagne, le pois s’avère peu compétitif dans les rations.

 

Malgré cela, son prix ne devrait pas beaucoup baisser sur les prochains mois. L’incertitude sur la capacité d’approvisionnement en matières premières pour la nouvelle campagne, en raison du contexte géopolitique très incertain, devrait maintenir les prix à des niveaux élevés.

Évolution des prix du tournesol en ordre dispersé

La forte demande en tournesol oléique continue de soutenir les prix de la graine oléique sur le marché français. Les prix sur l’ancienne récolte grimpent ainsi de 50 €/t cette semaine à 1 010 €/t, ce qui est très proche du record de la mi-mars. Les triturateurs cherchent à couvrir les besoins en huile de tournesol de l’industrie agroalimentaires sur la fin de campagne, dont l’offre est extrêmement réduite.

 

Les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont aussi fait grimper les cours de la nouvelle récolte : le tournesol à Saint-Nazaire pour des livraisons sur septembre-décembre a augmenté de 40 €/t en une semaine, à 820 €/t en qualité standard et 840 €/t en qualité oléique, les triturateurs cherchant à sécuriser leur approvisionnement sur cette période. Celui-ci va permettre de couvrir un programme de transformation industrielle ambitieux, visant à remplacer les importations d’huile de tournesol ukrainiennes et russes.

 

Toutefois, on note le recul des prix du tournesol en qualité standard à Saint-Nazaire pour l’ancienne récolte (–35 €/t à 815 €/t entre le 7 et le 14 avril), à la suite des prix des tournesols ukrainiens délivrés dans les ports bulgares ou roumains (–27,5 $/t cette semaine, à 825 $/t).

 

En effet, un petit flux d’exportation se met en place au départ de l’Ukraine, via les frontières de l’ouest du pays, par route ou rails jusqu’aux principaux ports européens de la mer Noire. En raison des stocks énormes de tournesol bloqués en Ukraine, et de la faible demande locale des triturateurs, qui ne peuvent exporter que de petits volumes d’huile de tournesol par voie terrestre, les prix des tournesols ukrainiens ont décliné sur les derniers jours.

À suivre : guerre en Ukraine, prix du pétrole, sanctions envers la Russie et ampleur des exportations russes, origines retenues par les grands pays importateurs, situation sanitaire en Chine climat en Amérique du Nord (semis de blé de printemps, de maïs, soja et de canola), en Europe (toutes cultures), évolution de la politique biocarburants aux États-Unis.