Ça coince en France. Deux enquêtes menées par Les Échos études et Kantar montrent que les substituts de viande à base de végétaux peinent à convaincre dans l’Hexagone. « Un marché peu mature, avec une grande partie des Français qui restent à convaincre », notent les deux organismes, bien que sept Français sur dix indiquent désormais connaître ce type d’offres (« steaks » de soja, « boulettes » aux légumes, « saucisses » aux pois…).
Le végétal se cherche
Le marché des substituts de viande à base de végétaux s’essouffle en France depuis maintenant quatre ans, rapporte de son côté une étude menée par l’analyste Xerfi. Après une année record en 2018, liée à l’extension de l’offre et la mise en avant du végétal dans les rayons, « les lancements ont sérieusement ralenti en 2019 et 2020 ». La tendance est même à la rationalisation et au désengagement de grandes marques comme « VeggissiMmm ! » de Bonduelle, « Côté végétal » de Fleury Michon et « Grill végétal » de Céréal.
Les sirènes de la viande
« À l’échelle française, on constate une relative végétalisation des régimes alimentaires », renchérit Céline Laisney, directrice du cabinet AlimAvenir, lors d’un récent colloque organisé par l’académie d’agriculture à Paris. Si le flexitarisme croît au sein des foyers (40 % comportent au moins une personne qui tend à réduire ses protéines animales), la consommation de viande ne diminue pas mais stagne, relève Agreste.
Aux États-Unis où l’offre d’alternatives est plus « intégrée » qu’en France, c’est encore plus marqué puisque la consommation de viande augmente. Galettes et boulettes végétales aux prétentions carnées représentent aujourd’hui moins de 1 % du marché de la viande en France, 2,7 % aux États-Unis.
Autre paradoxe : si les Français ont « une bonne image » des protéines végétales, selon le baromètre GEPV (Groupe d’étude et de promotion des protéines végétales), les légumes secs restent rares dans leurs assiettes, à raison de 2,5 kg consommés par habitant et par an, quand le Canada atteint 11,4 kg. Seuls 16 % des Français rapportent avoir acheté un de ces succédanés au moins une fois dans l’année, ajoute Kantar.
Et l’état des lieux est similaire dans la restauration hors foyer : les grandes chaînes (Burger King, McDonald’s et KFC) jugent la demande trop faible en France.
Recul sur le continent nord-américain
Le vent commencerait à tourner également sur le continent nord-américain : les quatre plus importants acteurs du secteur alternatif – Beyond Meat, Impossible Foods, Lightlife et Field Roast – ont enregistré un recul, une stagnation ou, au mieux, un ralentissement de la croissance de leurs ventes aux États-Unis, selon un rapport de la banque BMO. Même phénomène au Canada.
La tendance apparaît assez significative pour que l’industriel de la viande Maple Leaf, également spécialisé dans les substituts végétaux, revoie ses stratégies. Ses ventes de protéines végétales ont reculé de 6,6 % durant l’automne, tandis que ses protéines animales bondissaient de 13,4 %. « Une perte d’appétit inexpliquée pour le moment », note BMO.
Une affaire de goût
Les Français tiennent en revanche leurs arguments quant à leur désamour : 42 % d’entre eux mettent en avant un problème de goût, selon Kantar, 32 %, de texture, et 27 %, de prix. 28 % rapportent le caractère ultratransformé des produits et s’interrogent sur ses valeurs nutritionnelles. « Les consommateurs vont très peu vers les aliments qu’ils n’aiment pas », résume Isabelle Maître, enseignante-chercheuse en agroalimentaire et analyse sensorielle à l’ESA d’Angers, lors d’un récent colloque organisé par le Groupe Protéine et Nutrition. « Il faut cultiver une vigilance critique sur toutes les promesses attachées aux protéines et ne pas fétichiser cette catégorie », souligne, de son côté, Olivier Lepiller, sociologue au Cirad.
Reste que tous ces aspects ne semblent pas insurmontables, et que les critiques ne seront sans doute plus d’actualité d’ici à quelques années tant les innovations évoluent vite. Le marché des simili-carnés reste, en effet, décrit comme « prometteur » et à « fort potentiel » par les observateurs. À l’instar du groupe français Roquette ou encore de la start-up Umiami, qui viennent chacun d’annoncer la création d’usines de production, les investissements qui ont cours dans le secteur en attestent.
« Un bon acteur économique cherche toujours à préempter des marchés qui pourraient être ceux de demain, quitte à faire des paris plutôt que d’en rater un, note l’expert en consommation, Philippe Goetzmann. Il suffit de comparer avec le bio qui n’était au départ qu’une niche. L’attention portée à la question du bien-être animal est par ailleurs de plus en plus forte. Les alternatives vont donc continuer à être scrutées. »
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« Si beaucoup d’argent est investi dans les alternatives végétales, la viande cultivée intéresse aussi, bien que ce soit dans une moindre mesure », enchaîne Céline Laisney. Ses acteurs poursuivent l’offensive. Didier Toubia, cofondateur de la firme israélienne Aleph Farms, en a fait la démonstration à Paris, devant l’académie d’agriculture fin novembre : « Nous prévoyons de commercialiser notre lamelle de bœuf à base de cellules animales et “locales” d’ici à la fin de 2022, même si, en Europe, nous savons que ça prendra plus de temps. »
Des cellules « locales »
« Notre activité vient en complément de l’agriculture régénératrice, a-t-il poursuivi, et pas du tout en compétition avec l’élevage extensif mais industriel, celui concentré surtout en Europe de l’Est, aux États-Unis et en Asie. » Aleph Farms, qui a levé au moins 105 millions de dollars en 2021, mise sur une parité des coûts avec la viande d’ici à 2028 et indique ne pas utiliser d’OGM, tout en balayant la question du recours aux antibiotiques. « Nous venons de terminer la construction d’une première usine avec une capacité de 2 à 4 tonnes par an, a décrit Didier Toubia. Cette unité pilote devrait passer de 8 à 10 tonnes par an d’ici à 2023. Nous réfléchissons aussi à de grandes usines capables de produire de 100 à plusieurs milliers de tonnes, pour 2025. »
Sur le volet de l’environnement, il s’engage à zéro émission nette en 2025 et à l’utilisation de 92 % d’intrants de moins qu’un élevage traditionnel. « On ne peut pas évaluer l’impact sur l’environnement de ce type de production puisqu’elle n’existe pas à l’échelle industrielle aujourd’hui, a opposé Marie-Pierre Ellies-Oury, chercheuse à l’Inrae. Par ailleurs, une viande ne se résume pas à ses fibres ou à ses protéines. Quid de l’aspect nutritionnel et sensoriel des produits ? Nous l’ignorons à ce jour. »
À l’échelle mondiale, « 90 compagnies travaillent à produire de la viande cellulaire », a souligné à son tour Gabriel Lesveque-Tremblay, cofondateur de la start-up américaine Orbillion Bio, devant les académiciens. Il existe en France 40 programmes dédiés : Gourmey travaille ainsi à développer, à partir de cellules-souches, une alternative au foie gras, et Vital Meat, du groupe Grimaud, à produire de la fausse viande à partir de muscles de poulet.
Pour un produit breveté
Big Idea Ventures, un fonds d’investissement situé à New York et Singapour, a annoncé créer, à Paris, un incubateur dédié aux protéines alternatives, avec le groupe Bel parmi ses partenaires. Mais avant que l’un de ces acteurs produise une alternative à la viande acceptable par le consommateur et à un prix raisonnable, « certains tablent sur quinze ans », indique Céline Laisney. Cependant, même à longue distance, la course s’emballe. La carotte ne manque pas d’intérêt. Olivier Frey, consultant spécialiste de l’agroalimentaire, rappelle l’un des enjeux : « Le Saint Graal serait de remplacer la viande par un produit breveté disposant d’une propriété intellectuelle. » McDonald’s et Coca Cola sont de cette façon devenus deux des plus grandes entreprises alimentaires du monde cotées en Bourse.