C’est la meilleure audience pour un documentaire sur France 2 depuis deux ans. Pensiez-vous rassembler 5 millions de personnes sur France 2, autour de l’agriculture ?

Non, nous ne pouvions pas nous attendre à une audience aussi exceptionnelle. Et cela nous touche particulièrement. Ce travail a été réalisé sur trois années. Ce genre de films est toujours un peu compliqué. Mais aujourd’hui, nous goûtons pleinement ce moment. Ce que nous voulions exprimer a été perçu!  Et ce n’est pas rien.

Quel message vouliez-vous faire passer ?

Nous avons voulu rappeler que l’histoire des agriculteurs est bien plus riche et importante que la seule question des phytosanitaires, du bio ou du pas bio, ou encore du menu avec ou sans viande. Je suis toujours frappée par la pauvreté des débats autour de l’agriculture. Nous avons souhaité élargir le propos en revenant sur un siècle d’histoire agricole.

 

Notre objectif était de rappeller le lien entre l’agriculture et l’alimentation et de faire un film qui «tend la main». Il était très important pour moi que l’on prenne conscience du travail réalisé par ceux qui produisent notre alimentation. Il est temps que la nourriture et l’agriculture retrouvent leur place.

 

Dans les années 1950-1960, la moitié du budget d’un foyer partait dans l’alimentation. Les consommateurs doivent s’intéresser à tout cela, et ne plus tout mettre sur le dos des agriculteurs. Le pays est quand même passé de 80 % d’agriculteurs à 2 % seulement aujourd’hui.

 

Il est également passé d’une agriculture de subsistance, où chacun produit de quoi se nourrir et travaille la terre, à une agriculture qui nourrit les Français et qui exporte, mais avec des agriculteurs qui ont dû mal à en vivre.

Les critiques envers le monde agricole témoignent d’une société plutôt divisée sur le sujet. Qu’est-ce qui, selon vous, a touché de manière si large dans votre documentaire ?

Par rapport à d’autres pays, comme l’Angleterre ou l’Allemagne, la France a connu un basculement plus tardif d’une société plutôt rurale à une société plutôt urbaine. Chacun de nous garde en mémoire des parents ou des grands-parents paysans. Et cette mémoire, particulièrement en ce moment, nous fait du bien. Cela explique aussi en partie pourquoi le documentaire a bénéficié de cette audience.

 

Pour ma part, j’ai pris beaucoup de plaisir à plonger dans cette parole de paysans et de paysannes et faire en sorte qu’elle soit entendue. Il s’agissait de faire passer cet enthousiasme, et de rappeler que l’agriculture touchait à quelque chose d’essentiel. C’est aussi ce que le Covid nous a rappelé. Nous avons re-découvert que la sécurité alimentaire était quelque chose de précieux.

Comment avez-vous choisi vos témoins ?

Avec Fabien Béziat, le co-réalisateur, nous avons commencé par écrire un premier récit historique et repérer les événements qui allaient nous servir pour le rythmer : la révolte des vignerons de 1907, la saignée de la guerre, la crise des années 1930, etc. Si Fabien s’est consacré aux archives, j’ai de mon côté discuté avec un maximum de personnes.

 

Lorsque j’ai rencontré Vincent Fleurot, auteur d’une thèse sur la JAC (la Jeunesse agricole catholique), j’étais alors à la recherche d’une femme susceptible de me parler de l’association. Je voulais absolument des femmes dans le film. Et en trouver demande un peu plus de travail, mais il faut le faire, c’est indispensable. Vincent Fleurot m’a dirigé vers Marie-Thérèse Lacombe.

 

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Ça tombait bien, j’avais lu son livre « Pionnières ! », que j’avais offert à ma mère. Mes parents étaient tous les deux agriculteurs en Bourgogne, aux portes du Morvan. La rencontre s’est donc faite ainsi. L’historien Pierre Cornu m’a dit, de son côté : « Il faut absolument que vous rencontriez André Pochon ».

 

Et j’ai fait la connaissance de Geneviève Callerot grâce à un écomusée très actif dans sa région. Tous nos témoins sont agriculteurs ou agricultrices, nous y tenions. Nous voulions avec Fabien, qu’ils en soient le cœur battant. Ce sont eux qui nous déroulent leur passé, qui nous entraînent dans leur histoire et qui nous ouvrent leur album de photos de famille.

Comment avez-vous procédé dans vos recherches pour les archives ?

Pendant que j’arpentais la France, pour trouver des paysans, Fabien Béziat a plongé dans les archives. Il a regardé tous les fonds des Régions, mais aussi ceux de Pathé, l’Ina… Et il a vraiment débusqué des trésors, notamment les images sur les chemises vertes que certains historiens experts n’avaient jamais vues.

 

Ce qui est intéressant aussi, et cela marque la catégorie sociale à laquelle les paysans appartiennent, ils détiennent très peu de photos personnelles, si ce n’est celle des mariages. Souvent, quand il en existe, c’est parce que quelqu’un de la ville, venu au village, les a faites. Elles sont donc très rares.

 

La chance que nous avons eue par ailleurs est que les personnes que nous sommes allées voir, s’étaient déjà exprimées par le passé, Marie-Thérèse Lacombe avait par exemple donné des interviews filmées, André Pochon également.

Pourquoi avoir choisi de ne faire témoigner que les agriculteurs ?

Les agriculteurs sont les premiers experts de leur domaine. On a beaucoup trop tendance à notre époque, à leur dire ce qu’il faut faire, et à leur décerner des bons et des mauvais points. Avec Fabien, nous voulions montrer leur expertise.

 

Les agriculteurs et agricultrices d’aujourd’hui savent très bien ce qu’ils font. Ils ont des milliers de décisions à prendre autour du sol, de la météo, la géopolitique, les cours boursiers… Ce sont des experts qui se tiennent au croisement de très nombreux domaines.

Mais cette expertise des agriculteurs parvient-elle, selon vous, à répondre aux attentes sociétales ?

Nous sommes allés voir des agriculteurs et des agricultrices qui ne pensent pas uniquement à leur survie, mais aussi aux enjeux environnementaux, à la biodiversité, au territoire où ils vivent. Nous les avons aussi questionnés sur les phytosanitaires. D’ailleurs, en même temps que je regardais le documentaire mardi soir, j’ai suivi les réactions sur Twitter. Et j’ai pu constater quelques crispations sur cette deuxième partie.

 

Mais il était important pour moi de montrer que la chimie fait partie du travail, et que dans le même temps, comme le dit Grégory Bordes, le jeune arboriculteur du Lot-et-Garonne, si les agriculteurs souhaitent continuer à l’utiliser, c’est en la rationalisant, et en la liant à la biologie. Les agriculteurs ne sont pas, comme on l’entend, en dehors des attentes sociétales en matière d’environnement, ils les devancent même parfois.

 

Les jeunes générations notamment sont complètement en phase avec la société d’aujourd’hui, mais, ils le disent : « Donnez-nous du temps ! » Et j’ajouterai : donnez de la valeur à leur travail en faisant attention à ce que vous mangez. C’est bien de regarder un film, c’est bien aussi d’avoir envie que les agriculteurs soient payés pour ce qu’ils font.