« Pendant deux ans, nous avons construit des propositions pour adapter la Pac aux enjeux du 21e siècle, a souligné Jérémy Decerle, le président de JA. Nous voulons une Pac qui soutienne les exploitations de type familial, viables, vivables et transmissibles sur tous les territoires ; une Pac qui agisse sur les marchés et qui accompagne les agriculteurs face à la volatilité des prix ; une Pac qui forme un nouveau pacte alimentaire avec les citoyens européens préservant la sécurité alimentaire et les ressources naturelles ».
L’inconnue budgétaire
En introduction du colloque, Stéphane Le Foll a rappelé que la première question concernant cette réforme serait budgétaire. « La sortie de la Grande Bretagne va avoir un impact assez lourd ». Et de donner un conseil stratégique à son successeur : « ne pas isoler la Pac, la négocier en même temps que le budget et les fonds de cohésion pour ne pas qu’elle subisse trop de pression. La Pac fait partie des fonds de solidarité européenne », a-t-il insisté.
Soutien de François Fillon et député européen, Michel Dantin conteste cette analyse. « C’est comme ça qu’on a gagné un milliard sur 7 ans sur le 2e pilier et perdu 1 md€ par an sur le 1er pilier ! » Pour lui, « il faut être lucide. Michel Barnier, négociateur du Brexit pour l’UE, a fait le tour des capitales européennes : personne ne veut verser un centime de plus, les pays du Nord veulent même verser moins et personne ne veut recevoir moins. Il va y avoir un débat vif car les pays d’Europe centrale se battront pour les fonds de cohésion. A l’Ouest de défendre la Pac sinon elle ne tiendra pas, assure-t-il. Et depuis 1962, c’est le Président français qui l’a fait. Les petits pays qui ont des intérêts agricoles ont toujours attendu que la France allume le feu pour l’alimenter ». Selon lui, c’est donc à la France de prendre le leadership sur la prochaine réforme. Et d’inviter les JA à travailler ensemble. « Nous devons faire nos arbitrages en interne pour porter dans les différents pays, un message à peu près unique. »
Les vœux de Le Foll
Pour le ministre de l’Agriculture, il y aura un débat sur les aides directes et notamment les lier ou non à l’emploi. « C’est un choix difficile qui aura des effets de transferts colossaux notamment pour la France et vers la Roumanie. Le paiement redistributif reste une clé d’entrée et est plus efficace que le plafonnement des aides », a-t-il mis en garde JA qui prône une certaine distribution en fonction de l’actif agricole. Autre sujet lourd : maintenir les aides couplées « difficilement arrachées en 2013 ». Il estime également que la compensation des handicaps naturels doit être mieux prise en compte, dans le 1er pilier de la Pac. Pour Michel Dantin, l’ICHN est une politique de solidarité qui doit redevenir une politique nationale et doit rester dans le 2e pilier de la Pac. « Le 1er pilier doit rester économique sinon on va à la catastrophe », assène-t-il.
Autre chantier : le verdissement. « Trop compliqué, il ne correspond plus aux enjeux et défis de l’agriculture. Le commissaire Hogan a intégré cette dimension », a noté le ministre qui prône une politique fondée sur le 4 pour 1 000. Enfin, le débat sur l’avenir de la Pac n’échappera pas à la question de sa simplification. « Nous travaillons à une solution : les zones homogènes, définies selon trois indices, la couverture, la matière organique et la microbiologie des sols », a rappelé Stéphane Le Foll. « Avec des éléments solides nous devons pouvoir convaincre Bruxelles de fixer des objectifs sur ces zones et non plus des normes figées », a-t-il dit en substance. Enfin, il estime nécessaire de mettre en place une épargne de précaution, avec une fiscalité adaptée, pour avoir du contracyclique (variation en fonction des prix) dans une politique à l’hectare qui ne le permet pas, via un prélèvement des aides du 1er pilier, déblocable une mauvaise année.
« Évidemment, au-delà de 20 ou 30 % de perte, la solidarité nationale jouerait ». Ce à quoi le représentant de la DG Agri rétorque qu’il existe déjà un système de stabilisation du revenu, que l’essentiel des États membres, dont la France, n’a pas souhaité utiliser. Il faut dire que ce dispositif nécessite de ne pas déclencher le paiement des aides directes une ou plusieurs années. Encore une décision politique difficile à prendre quand on voit l’inefficacité des aides directes en période de crise…
Un modèle familial
De son côté, Jeunes Agriculteurs a développé sa vision de la prochaine réforme. Pour assurer le renouvellement des générations, JA estime d’abord que chaque Etat membre doit obligatoirement mettre en place une politique d’installation européenne, avec des outils communs : majoration des aides, prise en charge complète des dispositifs assurantiels. Il veut aussi que soit renforcée l’aide « top-up » du 1er pilier mise en place lors de la dernière réforme. En même temps, il appelle à l’élaboration d’une définition européenne de l’agriculteur actif, adaptable dans chaque pays et fondée sur l’acte de production, des critères de revenu et de temps de travail. Une définition qui exclut les retraités.
« Cette définition doit permettre de favoriser l’accès au foncier en limitant les situations de rente, de cibler les aides vers les agriculteurs qui vivent véritablement de l’agriculture ». Pour les agriculteurs en fin de carrière, JA souhaite conditionner le maintien des aides aux agriculteurs à un projet de transmission, y compris pour les parts détenues en société. JA souhaite également que l’Europe soutienne le développement de l’agriculture de groupe.
Une action sur les marchés
JA n’a pas peur de formuler des propositions délicates à porter. « La Pac doit diminuer progressivement les aides découplées au profit d’outils de sécurisation du revenu des agriculteurs, qui devront avoir une part de leur gouvernance publique ». Il veut mettre en place des dispositifs contracycliques, renforcer les outils assurantiels et mettre en place de nouveaux outils associant mécanismes publics et privés (assurances, fonds de pension), adaptés aux spécificités des territoires et attractifs pour le maximum d’agriculteurs.
Le syndicat réclame aussi un renforcement des fonds de mutualisation, plutôt transversaux, pour qu’ils bénéficient à l’ensemble des maillons de la filière et pas seulement les agriculteurs. Avec une prise en charge d’une part conséquente des dispositifs de gestion des risques pendant les dix premières années d’installation.
Pour agir sur les marchés, JA prône un troisième levier : l’appui à la structuration des filières. « Les aides couplées, à nos yeux essentielles, doivent être considérées comme un support à la mise en place de stratégies de filières et de territoires, facilitant la contractualisation, le regroupement de l’offre et la création de valeur ajoutée. »
Préserver la sécurité alimentaire
C’est le troisième volet essentiel de la réforme pour JA. Pour y parvenir, le syndicat veut mettre en place des objectifs de résultats plutôt que de moyens dans la mise en œuvre des politiques de gestion des ressources (notamment verdissement), au service de la sécurité, de la diversité et de la qualité alimentaire. Il souhaite augmenter les fonds alloués au développement agricole en assurant une complémentarité entre les fonds stratégiques européens, favoriser les projets collectifs, prendre en compte les territoires difficiles, favoriser les innovations ou encore, exclure les questions agricoles des négociations commerciales internationales.
[summary id = "10024"]