À 10 heures, la réunion s’est ouverte par l’allocution de Phil Hogan, le commissaire européen mal aimé d’une grande partie des agriculteurs européens, notamment français. Sa prise de conscience de l’ampleur de la crise a été tardive, peut-être parce qu’elle commence seulement à toucher l’Irlande, son pays. Mais depuis quelques semaines, il ne cesse de marteler que la crise est « profonde ».
« Nous avons besoin de trouver une solution et nous devons donner des garanties à nos agriculteurs et la confiance aux marchés. […] Je suis déterminé à montrer aujourd’hui que la Commission jouera pleinement son rôle dans le soutien aux agriculteurs européens, en utilisant tous les outils à ma disposition », mais dans la limite d’un budget contraint.
Les ressources utilisées en septembre (le superprélèvement sur le lait) pour débloquer les 500 millions d’euros ne sont plus disponibles, a-t-il prévenu. Pour autant, il reste réticent à utiliser la réserve de crise (sur ce point, lire l’article : Réserve de crise/UE : Farm Europe milite pour son utilisation). À ce stade, il n’est pas encore précisé d’où viendra l’argent.
Sur plus d’une centaine de propositions émanant des États membres, la Commission européenne a retenu douze mesures ayant reçu un large soutien. Elles sont très proches des demandes françaises.
1 – Limitation de la production laitière
S’il n’est pas question de réintroduire les quotas laitiers ou tout autre dispositif similaire, Phil Hogan se dit prêt à activer l’article 222 de l’OCM qui permet aux opérateurs, à titre exceptionnel et temporaire, de déroger aux règles de la concurrence en limitant la production. Mais il semble plutôt enclin à le limiter aux OP, interprofessions et coopératives et à l’ouvrir sur une base volontaire, ce qui réduirait nettement son impact sur les marchés.
2 – Relèvement du plafond des aides d’État
Plusieurs pays ont demandé le relèvement temporaire du plafond des aides de minimis (crédits d’impôt, apports de trésorerie remboursable…) de 15 000 euros sur trois ans à 20 000 ou 30 000 €. Pour le commissaire Hogan, une telle décision nécessiterait sept mois de procédure. Il propose donc une solution alternative : une aide d’État plafonnée à 15 000 € par an et par exploitation sans plafond national. La mesure, elle aussi temporaire, pourrait n’être ouverte que pour 2016. Les modalités précises doivent encore être travaillées. Mais certains Etats membres opposent des budgets nationaux impossibles à mobiliser.
3 – Relèvement du plafond d’intervention
À la demande d’un nombre important d’États membres, la Commission propose de doubler les plafonds d’intervention sur la poudre de lait et le beurre, actuellement à 109 000 € et 50 000 € par an pour les porter à 218 000 et 100 000 €. Là encore, c’est plus que ce que demande la France, respectivement 160 000 et 80 000 €. Mais, d’où viendra l’argent, la réponse n’est pas encore tranchée.
4 – Mesures structurelles en lait
Plusieurs pays ont demandé la mise place d’un groupe à haut niveau. Ce à quoi Phil Hogan répond « task force », ce groupe d’experts qu’il a déjà mis en place et doit rendre ses conclusions à l’automne, notamment pour rééquilibrer la position des producteurs dans la chaîne alimentaire. Pour satisfaire les États membres, il a proposé que leurs représentants se réunissent avec la task force.
5 – Porc : aide au stockage privé
Phil Hogan a proposé de rouvrir l’aide au stockage privé sur le porc. Ouverte en janvier, elle avait permis de retirer du marché 90 000 tonnes de produits en trois semaines, pour un coût de 28 millions d’euros. La Commission doit encore réfléchir aux modalités d’ouverture de la mesure compte tenu de la saisonnalité du produit.
6 – Observatoire des marchés
Le Commissaire répond favorablement à la demande de plusieurs pays, dont la France, de mettre en place un observatoire des marchés de la viande de bœuf et de porc, à l’image de celui sur le lait dont « les analyses de marchés ont été très utiles au secteur », a-t-il souligné.
7 – Nouveaux marchés
Phil Hogan a assuré de ses efforts continus pour trouver de nouveaux marchés : Colombie, Mexique, Chine, Japon, Vietnam, Indonésie… Il s’est également dit déterminé à défendre les intérêts européens dans les négociations sur le TTIP et le Mercosur.
8 – Budget promotionnel
Phil Hogan promet encore d’augmenter l’enveloppe destinée à la promotion des produits européens sur les marchés tiers comme le marché intérieur. 30 millions d’euros avaient déjà été débloqués en septembre pour le lait et le porc. Là encore, le cofinancement des États est requis (30 % et beaucoup invoque leur impossibilité d’abonder le budget européen pour l’instant de 111 millions d’euros.
9 – Levée de l’embargo russe
Jusqu’ici, les négociations ont échoué, les Russes refusant toutes les propositions européennes. « L’échec n’est pas imputable à un manque d’effort de notre côté », a insisté le commissaire, qui travaille aussi sur les barrières tarifaires et non tarifaires avec plusieurs pays. « Des progrès notables » ont été faits avec le Brésil et l’Ukraine notamment, a-t-il déclaré.
10 – Mise en place d’instruments financiers
Phil Hogan a indiqué qu’il était prioritaire de développer avec la banque européenne d’investissement (BEI) des outils financiers appropriés pour soutenir les agriculteurs et l’investissement dans les exploitations afin de les restructurer pour améliorer leur compétitivité. Les instruments existent mais peu d’États membres les utilisent, souvent par méconnaissance. La plupart des pays se sont montrés très intéressés.
11 – Crédits à l’exportation
Le commissaire y est favorable. La BEI (Banque européenne d’investissement) prévient qu’ils devront respecter les règles de concurrence édictées par l’OMC. La Commission européenne étudie donc leur faisabilité.
12 – Fruits et légumes
Phil Hogan propose de prolonger d’un an (jusqu’au 30 juin 2017) les mesures exceptionnelles prises pour les fruits et légumes confrontés à l’embargo russe.
13 – Programmes de développement rural régionaux
Le commissaire propose une plus grande flexibilité pour revoir les programmes de développement rural régionaux afin de mieux adapter les aides du second pilier.
Malgré la demande de quelques pays, en particulier la Belgique, les discussions ne se sont pas poursuivies au-delà de l’horaire prévu initialement (17h00). À l’issue de la réunion, la présidence néerlandaise a publié ses conclusions, dans la lignée des mesures « volontaires » de la Commission. Rendez-vous est pris au conseil de juin à Luxembourg pour faire un point sur la mise en œuvre de ces mesures de marché, leurs faisabilités au regard du droit de la concurrence et du budget notamment et leurs conséquences sur les marchés.
Dans un communiqué, le ministère de l’Agriculture indique qu’« en marge du conseil, la Commission a donné un accord de principe à la France pour expérimenter l’étiquetage de l’origine des viandes et du lait dans les produits transformés ».
Réactions
Stéphane Le Foll, cité dans le communiqué, a déclaré : « Le conseil d’aujourd’hui marque une prise de conscience à l’échelle de toute l’Europe de la gravité de la situation et de la nécessité d’agir vite pour endiguer la crise. Le commissaire a pris acte de l’utilité de permettre aux acteurs d’assumer leur responsabilité dans la régulation temporaire de l’offre par dérogation aux règles de la concurrence et je salue cette évolution. La voix de la France partagée par de nombreux pays européens a été entendue, et à travers elle, la nécessité de rétablir un équilibre indispensable entre l’offre et la demande. »
Michel Dantin, député européen (PPE) a réagi aux annonces faites lors du conseil des ministres européens. « Je tiens à saluer l’effort diplomatique français qui a permis de faire bouger les lignes avec les annonces faites aujourd’hui par la Commission européenne et la Présidence en exercice. »
« Néanmoins, la mobilisation de l’article 222 de l’OCM pour six mois n’implique qu’une réduction volontaire de la production laitière et non obligatoire. Cette réduction devra être décidée en concertation avec les différents États membres et opérateurs privés, et elle dépendra au final de leur bon vouloir, explique l’eurodéputé. Compte tenu de l’opposition des pays nordiques (pays en forte croissance de production laitière) à cette mesure, je me demande si le risque n’est pas que la France et les autres pays continentaux réduisent effectivement leur production tandis que les pays nordiques continuent leur trajectoire de surproduction. »
« Concernant les autres mesures proposées, elles ne règleront pas fondamentalement la crise que traversent le secteur porcin et celui des fruits et légumes », ajoute Michel Dantin.
De son côté, l’eurodéputé socialiste, Eric Andrieu, évoquant « la gestion volontaire de la production, l’augmentation des plafonds de stockage pour le lait en poudre et le beurre, la mise en place d’un observatoire européen de la viande, ou encore la réouverture d’une aide au stockage privée pour la viande porcine », s’est dit « satisfait des mesures annoncées par la commissaire à l’Agriculture ».
Le vice-président de la commission de l’agriculture du Parlement européen reste cependant « prudent quant aux modalités qui accompagneront ces premières propositions », rappelant que leur application reste subordonnée à la coopération des autres États membres au sein du conseil. « Tout va dépendre maintenant de la bonne volonté des 28 à jouer le jeu de la solidarité européenne ! », explique-t-il.