« Cette année, on est envahi de pucerons sur les betteraves. Je n’ai jamais vu ça, explique Christophe Grison, agriculteur dans l’Oise et président de la coopérative Valfrance. On n’a jamais traité autant. » Depuis l’interdiction des traitements de semences à base de néonicotinoïdes le 1er septembre 2018, en cas d’attaque de pucerons qui sont vecteurs de la virose de la jaunisse, les agriculteurs n’ont pas d’autre choix que de traiter avec un insecticide leurs champs à plusieurs reprises.

 

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Abeilles et néonicotinoïdes faisaient bon ménage

« Après, on s’étonne que la consommation de phytos augmente ! » s’exclame Christophe Grison, qui siège au sein du plan Ecophyto. Pour lui, « le principe de précaution est poussé trop loin et l’évaluation des bénéfices et des risques [de l’interdiction des néonicotinoïdes] n’est pas prise en compte ».

 

« Au sein d’Ecophyto, sur 70 personnes, nous ne sommes que quatre agriculteurs », se désole-t-il, en expliquant le faible poids réservé à la profession agricole. « Même le ministère de l’Agriculture a une influence limitée puisque le plan gouvernemental regroupe quatre ministères » (Agriculture, Transition écologique, Santé et Recherche).

 

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L’exploitation de Christophe Grison héberge 80 ruches d’un apiculteur professionnel depuis dix ans. Avant leur interdiction, les enrobages avec des néonicotinoïdes étaient utilisés pour les betteraves et le colza. Et selon lui, « les ruches se portaient bien. Les betteraves ne fleurissant pas, les abeilles ne viennent pas les butiner. »

 

« Aujourd’hui, les traitements insecticides sont plus mauvais pour les abeilles que les traitements de semences, estime-t-il. Pour ce qui est du colza, la rémanence du Cruiser est de deux ou trois mois. L’insecticide n’est donc plus dangereux pour les abeilles à la floraison. »

95 % du produit ne sert à rien

« Pour moi, [l’interdiction des néonicotinoïdes] est un non-sens écologique », explique Grégoire Lhotte, agriculteur à Venette dans le même département, confronté à une pression de pucerons qu’il n’avait pas connue depuis 15 ou 20 ans. « La mortalité des abeilles ne baisse pas alors que le Gaucho est interdit depuis deux ans, assure-t-il Le vrai problème des abeilles, c’est le varroa. »

 

 

Pour Grégoire Lhotte, « les pulvérisations d’insecticides sont beaucoup plus dangereuses que les enrobages de semences ». Et d’ajouter qu’il traite ses betteraves alors qu’elles ne recouvrent que 5 % de la surface de la parcelle. « 95 % du produit ne sert à rien. »

 

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Une décision politique

Si Grégoire Lhotte reconnaît que les néonicotinoïdes peuvent être dangereux sur les plantes à floraison rapide, comme le tournesol, il ne comprend pas pourquoi elles sont interdites sur des plantes qui ne fleurissent pas. « Même si une abeille venait sur le feuillage de la betterave, il faudrait qu’elle le pique pour qu’elle soit touchée, ce qui n’est pas le cas. »

 

Et s’il faut interdire l’enrobage de semences sur les plantes à floraison, Grégoire Lhotte ne s’y oppose pas. « Mais il faut que la décision soit basée sur des éléments rationnels et scientifiques. Pour lui, les néonicotinoïdes étaient plutôt « l’homme à abattre », comme le glyphosate l’est maintenant.

 

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Pulvérisation localisée pour diminuer l’empreinte écologique

Insecticide, fioul, temps passé, usure du matériel, le changement de réglementation entraîne un surcoût pour les agriculteurs, sans compter leur exposition aux produits phyto. Mais le plus gros risque réside dans la perte de rendement. « Une betterave touchée par la jaunisse, c’est moitié moins de rendement. » À la récolte, le pourcentage de betteraves touchées peut atteindre jusqu’à 25 %, estime Grégoire Lhotte.

 

Pour Alain Carré, agriculteur à Luyères (Aube), cette décision est aussi un non-sens, « d’autant plus que nos voisins européens avec qui nous sommes en concurrence ne l’ont pas tous adopté ». Pour baisser l’incidence écologique et économique des traitements supplémentaires, Alain Carré opte pour la localisation du traitement insecticide.

 

Grâce à sa rampe de douze rangs, il divise par deux la dose d’insecticide utilisée. Cette technique est très chronophage car il lui a fallu trois jours complets pour pulvériser ses 60 hectares de betteraves. La diminution de la dose ne lui donne pas le droit à droit à davantage de passages.

 

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« Remettez le traitement de semences s’il vous plaît !!! »

Les betteraves ne sont pas les seules à pâtir de l’interdiction du Gaucho. De nombreuses parcelles d’escourgeon ont hébergé des pucerons qui leur ont transmis le virus de la jaunisse nanisante.

L’arrêt des néonicotinoïdes a rendu nécessaire par endroits un traitement avec un insecticide à l’automne, mais l’appréciation du niveau de risque n’était pas évidente. Xavier Bailleau, agriculteur à Blandainville dans l’Eure-et-Loir n’a pas opté pour l’insecticide : « J’ai suivi les conseils techniques que je recevais et je n’ai pas jugé utile de traiter », explique l’agriculteur qui a aujourd’hui de grande tache jaune dans ses champs. « L’année prochaine, je systématiserai ce traitement ».

 

D’autres n’ont pas pu réaliser ce traitement en raison des conditions climatiques de l’automne dernier.

Autres cultures, autres insectes

Dès la levée du lin, les altises se sont abattues sur les parcelles rendant plus que nécessaire des traitements insecticides très réguliers. Les exploitations agricoles d’Eure-et-Loir ont particulièrement souffert de cette attaque. Si certains de ses voisins sont passés tous les jours avec le pulvérisateur, Xavier Bailleau a finalement décidé de retourner sa culture après 4 insecticides. Le caractère motteux du sol offrait nombre de refuges aux altises pour se protéger du produit phytosanitaire.