INSTALLATION-TRANSMISSIONUn vrai défi à relever
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L’agriculture française devra faire face à de nombreux départs en retraite dans les années à venir. La transmission des fermes est un enjeu majeur pour le secteur, mais le chemin pour assurer la relève des générations est semé d’embûches.
En dix ans, le nombre de chefs d’exploitation agricole a chuté de 13 %. Une tendance qui risque de se confirmer : près de 227 000 exploitants ont aujourd’hui plus de 50 ans et à peine 58 % des départs sont compensés par des installations. La France agricole fait le point sur les 5 principaux freins à lever pour enrayer cette chute démographique.
1. Un manque de cohérence dans l’accompagnement
L’année dernière, 4 990 jeunes se sont installés avec la dotation jeune agriculteur (DJA), un nombre relativement stable par rapport aux années précédentes. Mais tous les jeunes éligibles ne passent pas par le dispositif. Celui-ci commence au Point accueil installation et se poursuit avec une multitude d’acteurs : chambre d’agriculture, Gab, DDT(M), MSA, CFE… « Il n’est pas forcément facile de savoir qui contacter », raconte Johann, installé en 2017 dans les Yvelines. C’est également ce que pointe du doigt Jeunes agriculteurs. « Il y a trop d’interlocuteurs, trop de discours incohérents qui perdent les porteurs de projets et peuvent les décourager, explique Loïc Quellec, responsable du dossier installation pour le syndicat. Nous cherchons plus d’union et de cohérence. » C’est l’un des objectifs du prochain rapport d’orientation voté par JA à la fin du mois d’octobre.
2. Une rémunération qui fait défaut
La valeur de reprise des exploitations qui grimpe en flèche et la faible rémunération du capital rendent les transmissions de plus en plus complexes. En juin 2020, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) reconnaissait , dans un avis, que « du fait de la valeur du foncier et du coût des matériels, des exploitations de plus en plus grandes et fortement capitalisées sont devenues difficilement accessibles ».
L’organisme soulignait également « les difficultés accrues pour financer les projets » en lien avec « les nouvelles modalités d’installation hors cadre familial », qui impliquent souvent de contracter des prêts plus importants. Par ailleurs, pour les projets qui ne s’inscrivent pas dans la simple reprise de l’activité existante, le manque de visibilité et l’absence de références économiques n’incitent pas les banques à prendre des risques, rapporte le Cese.
En élevage, la constitution d’un cheptel est un investissement qui pèse lourd et n’est souvent pas en rapport avec la rentabilité économique des structures. Elles font face à des difficultés importantes pour constituer de la trésorerie et au manque de visibilité sur l’avenir des filières, soulignait en 2019 la Confédération nationale de l’élevage (CNE) dans un livre blanc sur le renouvellement des générations en élevage. Même si aujourd’hui le chiffrage des reprises passe de plus en plus souvent par un compromis entre la valeur patrimoniale de la ferme et sa valeur économique (valeur de reprise permettant de financer des améliorations, de se rémunérer et d’avoir une marge de sécurité), il n’est pas certain que cela soit suffisant pour relancer la dynamique des installations. Alexandre Fouillade, associé dans un Gaec en Corrèze doit aujourd’hui faire face au départ de son coassocié. Producteur de lait, il s’estime « bloqué par des coûts de production toujours plus hauts et des prix qui ne permettent pas de se développer ». Et la promesse des États-généraux de l’alimentation d’un retour de la valeur ajoutée dans les fermes n’est pas encore une réalité, malgré la volonté du ministre de l’Agriculture de « maintenir la pression sur les distributeurs ».
3. Des terres de plus en plus rares
Même si des outils de régulation du marché foncier existent, la terre continue d’échapper aux jeunes. Un rapport parlementaire du 5 décembre 2018 pointait du doigt un accaparement des terres par certaines formes sociétaires d’exploitations et le développement de la délégation intégrale des travaux agricoles. La sous-traitance est notamment l’une des voies choisies par certains exploitants en fin de carrière compte tenu du faible montant des retraites agricoles, selon l’avis du Cese. La rigidité du statut du fermage pousse certains propriétaires à privilégier cette voie plutôt que de louer, souligne un autre rapport parlementaire du 22 juillet 2020.
La croissance de l’artificialisation des sols limite l’assise disponible pour renouveler les générations. Selon les derniers chiffres de la FNSafer, 30 900 hectares de surfaces agricoles ont été urbanisés en 2019. La « zéro artificialisation nette », ambitionnée par le Plan biodiversité de 2018, est encore loin d’être atteinte. La faute notamment à des dispositifs qui favorisent le bétonnage au mépris de la préservation des espaces naturels et agricoles (lire page 24).
4. Un recrutement en berne dès l’école
Susciter des vocations est l’un des rôles de l’enseignement. Même si la baisse des effectifs a été enrayée en 2019 et en 2020, les établissements agricoles peinent à recruter davantage. Un rapport, publié le 8 septembre par le CGAAER (1), l’explique par des campagnes de communication ratant leurs cibles et une méconnaissance des formations agricoles par les établissements de l’Éducation nationale. Pour Philippe Poussin, président du Cneap (Conseil national de l’enseignement agricole privé), cette panne d’aiguillage vers l’enseignement agricole s’explique par « un problème de relation entre le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Agriculture ». « Même si la relation est courtoise entre les deux ministres, celle entre leurs administrations est en deçà, souligne-t-il. C’est le fruit d’une très longue tradition d’ignorance mutuelle. »
5. Une ambition politique en panne
Durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, les syndicats agricoles ont souvent clamé le manque de vision politique agricole du gouvernement. Cela est sans doute d’autant plus vrai en matière d’installation. Certes, le président de la République a réalisé un grand discours face à 1 000 jeunes agriculteurs à la veille du Salon international de l’agriculture, en février 2018, mais peu de mesures ont depuis été mises sur la table. L’approche des élections présidentielles de 2022 et un calendrier législatif bousculé en raison du Covid-19 ne présagent pas de grandes avancées en ce sens. La dernière véritable impulsion politique en faveur de l’installation reste la loi d’orientation de l’agriculture de 2014. Mais au regard des chiffres, elle est loin d’avoir réussi son pari. Le temps presse, un tiers des exploitants aura atteint l’âge légal de départ à la retraite d’ici cinq ans.
(1) Conseil général de l’alimentation de l’agriculture et des espaces ruraux.
Dans un rapport d’études du 22 février 2019 consacré aux Nima (non-issus du monde agricole), l’Idele souligne que ces nouveaux profils pourraient partiellement stopper l’hémorragie démographique agricole. Ces installés proches de la quarantaine s’orientent plutôt vers la production maraîchère sur des exploitations de petite taille, et aspirent à la création de valeur ajoutée grâce à l’agriculture biologique, la diversification, la transformation ou la vente directe. Ayant connu d’autres expériences professionnelles, ces profils arrivent avec d’autres compétences (comptabilité, commerce, suivi administratif...), ainsi qu’un apport personnel plus important.

« Dans les années 2000, des repreneurs pouvaient racheter une exploitation pour un montant de 180 000 € à 220 000 € par UTH en système lait par exemple. Mais en quelques années, en Bretagne et Pays de la Loire, les montants des actifs et la taille des structures ont explosé. Soit, pour chaque repreneur, des montants de reprise de l’ordre de 280 000 €/UTH en bovins lait (environ 1 000 €/tonne de lait), autour de 350 000 €/UTH en bovins viande, et plus encore pour les productions hors sol. Sachant qu’il leur faudra souvent ajouter des investissements de mise aux normes, de modernisation ou de renouvellement. Un tel niveau de capitalisation est-il encore tenable ? Les candidats à l’installation arrivent aujourd’hui au bout de leur capacité de financement ! Il leur faudra innover dans des solutions financières telles que le concours d’investisseurs partenaires, qui achèteraient une part du capital en contrepartie d’un rendement annuel et d’un regard sur la solidité des comptes.
Actuellement, avant de prêter, les banques vérifient que les annuités d’emprunts sont en phase avec la rentabilité attendue, et qu’il reste une marge de sécurité. Elles veulent aussi partager le risque avec d’autres financeurs (groupement, coopérative, porteur de foncier par exemple) et demandent des garanties. De plus en plus, les banques prennent en compte des garanties “non-financières” : la compétence et le savoir-faire du porteur de projet, ou encore la charge de travail et l’organisation envisagée. La pérennité de l’exploitation est aussi analysée : en société, quelle est la stratégie s’il y a un départ et des rachats de parts à prévoir à moyen terme ? Ce sont autant de gages de confiance que le repreneur devra apporter à ses financeurs. »
Jean-Yves Morice, directeur des marchés agricoles au Cerfrance Mayenne-Sarthe

Quand en 2012, Patrice Ayrault embauche Anthony Maupoint sur son exploitation située à Beugnon-Thireuil (Deux-Sèvres), ni lui ni le jeune salarié ne se doutaient qu’ils seraient associés.
Après trois ans d’une collaboration sans nuage, Patrice sent que s’il veut garder son salarié, il doit le motiver. « J’avais 54 ans et je souhaitais partager les responsabilités. J’ai fait le premier pas, sourit Patrice. Je lui ai proposé de s’associer avec moi, à parts égales, dans l’EARL. Il fallait oser poser la question… Mais je ne voulais pas attendre et courir le risque qu’il parte ailleurs pour s’installer. »
Anthony n’hésite pas longtemps avant d’accepter : « La conduite technique du troupeau me plaisait, je m’entendais très bien avec Patrice, alors je me suis lancé. » En janvier 2016, il s’installe en rachetant 50 % des parts de l’EARL. Après de nouveaux investissements, l’exploitation atteint sa vitesse de croisière et des résultats satisfaisants rendent les deux hommes confiants pour relever un deuxième défi : trouver un successeur à Patrice, désireux de prendre sa retraite à 61 ans, en avril 2022.
C’est donc quatre ans avant, en 2018, qu’ils postent une offre de recherche d’associé sur le Répertoire départ-installation (RDI) et en parlent autour d’eux. « Je vois la transmission comme une passation de pouvoir : on fait entrer un jeune, on l’implique, puis le “vieux” prend la bretelle, et le TGV continue ! », résume Patrice. Mais en deux ans, ils ne reçoivent que deux visites, lesquelles n’aboutissent pas. « La conjoncture caprine est favorable, tous les voyants sont au vert, mais on ne trouve pas de candidat, regrette l’éleveur. À deux ans de mon départ, c’est trop tard pour trouver un associé. Nous allons nous réorganiser et chercher un jeune motivé, pour du salariat ou un parrainage. » Voir perdurer l’outil qu’il a construit serait une grande fierté.
S. Bergot