Future Pac
Que restera-t-il de commun ?
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Dans l’état actuel du projet, l’essentiel de la politique agricole serait concrètement élaboré au niveau des États et approuvé par la Commission.
Les propositions législatives pour la future Pac, présentées par le commissaire européen à l’Agriculture Phil Hogan (photo page ci-contre) le 1er juin, sont fidèles à sa communication du 29 novembre 2017. Et à peine plus détaillées, puisque la Commission se borne désormais à fixer les grandes lignes. Avec un volume de textes ainsi réduit par rapport aux précédentes réformes, elle espère que les négociations en trilogue iront vite. Objectif : boucler les débats en neuf mois pour aboutir à un accord avant les élections européennes du printemps 2019. Le Parlement pourrait être réticent à donner son feu vert à un projet qui le dépouille de ses prérogatives, puisque l’essentiel de la politique agricole serait concrètement élaboré au niveau des États et approuvé par la Commission. Quant aux États membres, s’ils peuvent être séduits par les nouvelles marges de manœuvre offertes, ils partagent assez largement la crainte des distorsions de concurrence. Entre le besoin de cohérence et celui de souplesse, l’enjeu des négociations qui s’ouvrent sera de trouver où placer les curseurs.
Notamment sur le volet environnemental. La Commission, à qui on a longtemps reproché d’aller jusqu’à réglementer la taille des haies, se place désormais en retrait. À elle la fixation des objectifs généraux, aux États la déclinaison opérationnelle de ces objectifs, dans des plans stratégiques qui détailleront les enjeux identifiés et les moyens d’y répondre. « Plus aucune mesure ne sera définie précisément par l’Union européenne : ce sera aux États de le faire pour qu’elles soient plus efficaces », insiste la DG Agri. Et ce, aussi bien pour les exigences réglementaires que pour les dispositifs volontaires.
Verdissement à la carte
Les premières seront compilées dans la « nouvelle conditionnalité renforcée », qui intégrera les exigences de l’actuelle conditionnalité et du verdissement et y ajoutera de nouvelles, comme la préservation des tourbières et la réalisation d’un bilan des nutriments à l’échelle de l’exploitation. Les seconds seront de deux sortes. En complément des démarches volontaires financées sur le second pilier (telles que les actuelles MAEC), les États devront proposer un « éco-dispositif » volontaire financé sur le premier pilier — donc sans cofinancement national. Cet « éco-dispositif », que les États seront libres de « concevoir comme ils l’entendent », visera des pratiques allant plus loin que la conditionnalité. Leur rémunération, sous forme de paiements/ha ou d’indemnisation des surcoûts, grignotera l’enveloppe des aides directes.
Sans cadrage communautaire, certains États se contenteront d’un éco-dispositif restreint afin de conserver des montants moyens d’aides/ha élevés. D’autres placeront l’ambition environnementale au premier plan, y consacrant une part prépondérante de leur premier pilier… La Commission admet dans ses études d’impact que le niveau d’ambition environnementale des États est impossible à prédire. Et l’obligation de consacrer au moins 40 % de leur enveloppe Pac globale et 30 % du second pilier à des actions en faveur de l’environnement et du climat ne suffira pas à assurer une homogénéité. La définition du niveau d’exigence du socle de base communautaire sera un enjeu de négociation crucial.
Le ciblage des aides voulu par la Commission laisse aussi les coudées franches aux États membres. Bruxelles pose le principe : réserver les aides aux « vrais agriculteurs » et favoriser les « exploitations familiales ». Mais, elle laisse les États définir la notion de « vrai » agriculteur et fixer les modalités de redistribution des aides (quel montant, sur combien d’hectares…). Les définitions risquent de beaucoup varier d’un pays à l’autre…
Face aux craintes de renationalisation, la Commission promet des « garanties sur la mise en œuvre » : l’approbation et les suivis annuels et pluriannuels des plans stratégiques nationaux assureront une cohérence européenne. « On conserve des objectifs communs et des moyens d’intervention communs », insiste-t-elle.
Où est l’ambition ?
Mais quid de l’ambition commune ? La France craint que ce ne soit déjà du passé. « Avec les coupes budgétaires annoncées, il sera extrêmement difficile de transformer la politique agricole dans le sens souhaité au départ, regrette-t-on au ministère de l’Agriculture. On risque un repli sur soi de certains États membres qui chercheront seulement à sauver les meubles. »
Rien n’est perdu puisque le budget de l’Union est encore en négociation. La semaine dernière, Stéphane Travert et cinq de ses homologues européens ont signé une déclaration sollicitant une hausse du budget proposé pour la future Pac. Ils espéraient rallier d’autres pays lors du conseil informel des 4 et 5 juin, avant d’en débattre lors du conseil des ministres du 18 juin. Parallèlement, la France a identifié un autre sujet de bataille. Pour poursuivre le processus de convergence externe, Bruxelles veut prélever un pourcentage sur les enveloppes d’aides directes des États dont les montants d’aide/ha sont supérieurs à la moyenne européenne, et les reverser aux États ayant des montants plus faibles. Le ministère ne l’entend pas de cette oreille : « En France, les montant/ha sont dans la moyenne européenne. Mais, parce qu’elle a la plus grosse enveloppe d’aides directes, la France contribue le plus à la convergence externe. Il serait plus juste que les pays qui ont les montants/ha les plus élevés soient ceux qui contribuent proportionnellement le plus… » En attendant de sauver la Pac, la France aussi veut sauver ses meubles.
Le nouveau modèle de gouvernance est censé apporter de la simplification. Ce sera sûrement le cas pour la Commission, moins certainement pour les agriculteurs et les administrations nationales… Tout dépendra de la forme que devront prendre les plans stratégiques, qui déclineront dans chaque État les objectifs globaux de la Pac.
En France, où la régionalisation du second pilier a été vécue douloureusement, le ministère reste assez circonspect. Et souhaite « que les plans stratégiques ne rentrent pas dans le même système de validation que les plans de développement rural, pour lesquels on a eu des contrôles à la virgule près… » Autre crainte : que le degré de subsidiarité accru se traduise par des obligations supplémentaires en termes de reporting de la part des États membres. « Le passage à une logique de résultat est intéressant si on allège vraiment la pression des contrôles », estime le ministère. De nouvelles technologies sont disponibles, mais « tout l’enjeu sera de définir les bons indicateurs à mesurer ». Les administrations nationales et communautaires y travaillent.

La Commission tente par tous les moyens de minimiser l’impact économique et financier de ses propositions. À commencer par le budget global, présenté en jouant sur l’inflation pour atténuer sa baisse…
Sur le second pilier, encore plus amputé que le premier, Bruxelles propose de neutraliser la baisse en augmentant le taux de cofinancement national de 10 points. Les États opposés à une diminution de budget pourraient ainsi mettre la main à la poche pour maintenir les aides du second pilier à leur niveau actuel. Mais, si cette hausse du taux de cofinancement national est imposée, tous les États n’auront pas la capacité de rassembler assez de crédits nationaux pour activer les fonds européens. Le risque serait de sous-utiliser ces derniers… qui remonteraient au niveau communautaire pour être utilisés ailleurs !
Pour camoufler la chute du revenu agricole, la Commission sort des arguments encore plus contestables. D’après l’étude d’impact réalisée par ses services, le budget proposé pour 2021-2027 ferait chuter de 10 % environ le revenu agricole moyen en Europe. Et jusqu’à — 10 % supplémentaires selon les options retenues dans les plans stratégiques nationaux (lire aussi p. 23). Bruxelles veut faire avaler cette baisse moyenne en mettant en avant un meilleur ciblage des soutiens, vers les bénéficiaires les plus vulnérables et/ou les plus légitimes. Le plafonnement des aides pour les grosses exploitations (1), notamment, doit libérer des sommes qui seront redistribuées aux petites et moyennes exploitations. Mais cela ne compensera pas les montants perdus par la moyenne des agriculteurs : en France (comme en Allemagne), 0,3 % des exploitations seraient soumises à la dégressivité !
(1) Dégressivité dès 60 000 € et plafonnement à 100 000 €, coût du travail déduit.